Archives de catégorie : Formule entière

Je ne sais pas ce que je dis, — 1900 (11)

Camille Mauclair Le sang parle

Epilogue, I

Je ne sais pas ce que je dis,
Car c’est un autre qui le dit:
Moi, vous me connaissez, mais lui seul vous connaît
Et vous mourez lorsqu’il renaît.

Je ne sais pas, mais il sait tout,
Puisqu’il est Dieu, j’ai l’air d’un fou
N’écoutez pas, puisqu’il entend,
Méprisez-moi, il me pardonne.

Tout ce que j’ai, je vous le donne,
C’est lui qui me l’avait donné:
Voici mes fleurs qui sont des fleurs,

Voici mes pleurs qui sont ses larmes,
Voici mon cœur qui vient de lui,
Prenez-moi pour l’amour de Lui.

aabb ccxd dyz uee – octo sauf vers 3

Vous qui écoutez dans ces rimes éparses — 1900 (10)

Hippolyte Godefroy Poésies complètes de François Pétrarque

Canzoniere,1

Vous qui écoutez dans ces rimes éparses le son de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur dans ma première erreur juvénile quand, en partie, j’étais un autre homme que je ne suis.

Pour le style varié dans lequel je pleure et je raisonne au milieu des vaines espérances, des vaines douleurs, partout où l’amour se trouve, de tout homme qui, par expérience, pourra comprendre ma douleur; eh bien, de celui-là, je pourrai trouver la pitié, non moins que le pardon!

Mais je vois bien maintenant que moi, qui ai été si longtemps la fable de tout le peuple, que souvent, j’en suis venu à avoir honte de moi-même;

Je rougis en secret de tous les fous délires, je me reproche ce que j’ai fait et je suis fermement convaincu que tout ce que le monde appelle le plaisir, n’est en réalité qu’un vain songe.

pr – tr

Il n’est honte devant laquelle la luxure — 1900 (9)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 129

Il n’est honte devant laquelle la luxure
Recule pour pouvoir librement s’assouvir.
Cruelle jusqu’au sang, déloyale, parjure,
Sauvage, vile, infâme, elle est tout à plaisir.

Mais le mépris la suit avec sa flétrissure;
Comme il fut follement poursuivi, son désir,
Aussitôt satisfait, est maudit sans mesure,
Tel le poison qu’enferme un perfide élixir.

Et c’est toujours ce but, qui n’admet pas de halte,
Vers lequel néanmoins sa démence s’exalte,
Faible bonheur qu’attend un réveil trop amer,

Délice qui finit dans la poudre du rêve!
L’homme sait tout cela; pourtant il bat sans trêve
Le céleste chemin qui mène à cet enfer.

Q8 – T15 – tr

Je suis comme le riche assuré de pouvoir — 1900 (8)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 52

Je suis comme le riche assuré de pouvoir
Retrouver son trésor en ses coffres fidèles
Et qui n’émousse pas, par de continuelles
Visites, le plaisir qu’il goûte à l’aller voir.

C’est ainsi que l’on trouve, en les voyant échoir
Moins fréquentes dans l’an, les fêtes bien plus belles;
Les pierres d’un collier, lorsqu’il existe en elles
Plus d’espace, se font de même mieux valoir.

En vous gardant pour moi, le Temps est ma cassette,
L’armoire où j’ai fermé mon beau manteau de fête,
Et j’attends le moment de désemprisonner,

Pour l’étaler encor, votre magnificence.
Heureux êtes-vous donc, vous qui pouvez donner,
Présent, tant de bonheur; – absent, tant d’espérance!

Q15 – T14  – banv –  tr (sh52)

Tu marches on dirait — 1900 (5)

Nathalie Clifford-BarneyQuelques portraits-sonnets de femmes

Portrait inachevé

Tu marches on dirait
Une affiche qui danse:
……………………..
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……………………..
……………………..
……………………..
……………………..
……………………..
Tes coupes sont nos lèvres,
Et nos bras tes prisons.

6s – s.lacunaire

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant; — 1900 (4)

Arsène VermenouzeEn plein vent

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant;
S’ils ont l’accoutrement fruste du pauvre hère,
Qu’il couche, tout vêtu, dans la grange, sur l’aire,
C’est parce qu’ils sont fils d’un barde paysan,

D’un barde et d’un chasseur: je les fais en chassant.
Dans les brousses où le renard a son repaire,
Sur les hauts mamelons où le genêt prospère,
Je vais, baguenaudant, rêvant, rimant, musant.

Cependant mon sonnet prend forme, s’élabore:
Comme un sauvageon, qu’en plein champ on voit éclore.
Il naît, agreste, mais sentant bien le terroir,

Sentant bien l’herbe fraîche et la feuille des hêtres,
Et les fougères que j’emporte dans mes guêtres:
Il est encor tout chaud, quand je l’écris, le soir.

Q15 – T15 – s sur s

Je m’isolais pour vivre en mon âpre Désir, — 1900 (3)

Hady-Lem (E. Bouve?) – Ophir – sonnets –

Je m’isolais pour vivre en mon âpre Désir,
L’Esprit d’un paradis, devenu lors mon culte;
Je m’isolais; jamais je n’ai pu le saisir
Ce souffle des Esprits de l’Imprécis occulte.

Tout en moi, devenait agent excitateur;
Tout dansant sous mes yeux me chantait leur caresse:
Musique, danse, chant, geste, parfum, couleur,
Corps à corps délicieux sur des lits de paresse.

…Et toujours je vivais les choses par les soirs;
Soupirant les chansons qu’ont les vents de l’Automne,
Je défeuillais mon âme en des larmes d’Espoir:
Mon Désir assouvi, lors, lui, plus ne chantonne.

Il semble un exhumé devenu revenant
Sans force, sans esprit; un exhumé mourant.

shmall 2-3 Les deux sonnets ont la disposition de rimes shakespearienne; le premier a la répartition standard des strophes, le second le découpage barbiero-mallarméen.

La chair tiède où le sang gonfle, anime et nourrit — 1900 (1)

Henri de Régnier Les médailles d’argile

Contraste

La chair tiède où le sang gonfle, anime et nourrit
Ta peau voluptueuse et souple qu’il colore
D’une rougeur de pêche et d’un reflet d’aurore
T’a faite, en ton corps, femme et femme par l’esprit.

Ton oreille est docile et ta bouche sourit
A toute la nature odorante et sonore,
Et ta jeune beauté semble toujours éclore,
Sensible à ce qui naît, chante, embaume et fleurit;

Mais Elle, taciturne à jamais, la Statue
Qui, immobile au bronze, attentive, s’est tue,
Semble écouter en elle et méditer tout bas,

Dans le métal durci qui moule sa stature
Et la dresse debout et se croisant les bras,
Le secret anxieux de la matière obscure.

Q15 – T14 – banv

Au seul souci de voyager — 1899 (48)

Mallarmé Poésies

additions de l’éd. Deman

Au seul souci de voyager
Outre une Inde splendide et trouble
— Ce salut soit le messager
Du temps, cap que ta poupe double

Comme sur quelque vergue bas
Plongeante avec la caravelle
Ecumait toujours en ébats
Un oiseau d’annonce nouvelle

Qui criait monotonement
Sans que la barre ne varie
Un inutile gisement
Nuit, désespoir et pierrerie

Par son chant reflété jusqu’au
Sourire du pâle Vasco.

shmall – octo

Toute Aurore même gourde — 1899 (47)

Mallarmé Poésies

additions de l’éd. Deman

Hommage

Toute Aurore même gourde
A crisper un point obscur
Contre des clairons d’azur
Embouchés par cette sourde

A le pâtre avec la gourde
Jointe au bâton frappant dur
Le long de son pas futur
Tant que la source ample sourde

Par avance ainsi tu vis
O solitaire Puvis
De Chavannes jamais seul

De conduire le temps boire
A la nymphe sans linceul
Que lui découvre ta Gloire

Q15 – T14 – banv –  octo