Archives de catégorie : Formule entière

Midi! des cieux brûlants, plombés de pâleur mate. — 1896 (9)

Léonce de Joncières L’âme du sphinx

La fille à la girafe

Midi! des cieux brûlants, plombés de pâleur mate.
Midi! l’écorce d’or des fruits trop mûrs éclate.
Près du lac, les ibis dorment sur une patte,
Leur souple col plié sous leur aile d’ouate.

Par la fenêtre Ouarda, la fille du grammate,
Laisse pendre, le long de la muraille plate,
Son bras de la couleur rosée et délicate
Du verre de Chaldée. Or, sous l’ombreuse natte,

La girafe, qui tend son licol écarlate,
Vient lécher le bras frêle et le plaisir dilate
Ses naseaux noirs. Ouarda la caresse et la flatte,

Lui parle, en minaudant comme une jeune chatte,
Et rit, en lui tendant sur un plateau d’agate
Un petit tas de riz surmonté d’une datte.

monorime

Danseurs exaspérés des mornes menuets, — 1896 (8)

Henry Jean-Marie Levet (Le courrier français 1895-6)

Parades
A Mademoiselle Fanny Zaëssinger

Danseurs exaspérés des mornes menuets,
Sur les tréteaux menteurs et fragiles que foulent
Des marquis épaissis et des marquises goules,
Peuple épris de parade, exaucent tes souhaits.

Leurs jeux ont pollué la prairie aux bluets,
Les cuivres écrasés les flûtes qui roucoulent;
Des lampîons fumeux les soulignent aux foules,
La lune se taisant aux violons muets.

Ne sachant pas, aussi, ces gens, d’affèterie
Canailles encrassés, et de grâces flétries,
Réclament à nouveau le baisemain fripé;

Les trompettes sacrant d’éclats leur dernier leurre,
L’amant masqué de la beauté morte qu’on pleure
Se drapait des plis noirs de son manteau coupé.

Q15 – T15

O mer, o mer immense qui déroules — 1896 (6)

Auguste AngellierA l’amie perdue


Le sacrifice, XX

O mer, o mer immense qui déroules
Sous les regards mouillés de ces millions d’étoiles,
Les longs gémissements de tes millions de houles,
Lorsque dans ton élan vers le ciel tu t’écroules;

O ciel, ô ciel immense et triste, qui dévoiles,
Sur les gémissements de ces milliers de houles,
Les regards pleins de pleurs de tes milliers d’étoiles
Quand l’air ne cache point la mer sous de longs voiles;

Vous qui, par des milliers et des milliers d’années,
A travers les éthers toujours remplis d’alarmes,
L’un vers l’autre tendez vos âmes condamnées

A l’éternel amour qu’aucun temps ne consomme,
Il me semble, ce soir, que mon étroit coeur d’homme
Contient tous vos sanglots, contient toutes vos larmes!

abaa babb – T25 – toutes les rimes sont féminines

Dame sans trop d’ardeur à la fois enflammant — 1896 (1)

Mallarmé in Le Figaro, lundi 10 février

A la fin de son article sur l’élection de Mallarmé comme Prince des Poètes, André Maurel écrit: « Le grand public connaît peu M. Mallarmé. Afin de donner aux lecteurs du Figaro une conception assez nette du choix des jeunes poètes, j’ai demandé au nouveau Prince de vouloir bien m’envoyer quelques vers inédits que je pourrais publier ici.
Très gracieusement, M. Mallarmé a répondu à ma demande, en y joignant cette réserve:
 » sur votre demande gracieuse de tout à l’heure, voici un rien, sonnet « causé », qui ne peut, je crois détonner, malgré que, selon moi, les vers et le journal se font tort réciproquement »


Dame
sans trop d’ardeur à la fois enflammant
La rose qui cruelle ou déchirée, et lasse
Même du blanc habit de pourpre, le délace
Pour ouïr dans sa chair pleurer le diamant

Oui, sans ces crises de rosée et gentiment
Ni brise quoique, avec, le ciel orageux passe
Jalouse d’apporter je ne sais quel espace
Au simple jour le jour très vrai du sentiment

Ne te semble-t-il pas, disons, que chaque année
Dont sur ton front renaît la grâce spontanée
Suffise selon quelque apparence et pour moi

Comme un éventail frais dans la chambre s’étonne
A raviver du peu qu’il faut ici d’émoi
Toute notre native amitié monotone.

Q15 – T14 – banv

Je te croyais, mon cœur, aux chocs plus résistant ! — 1895 (18)

Alexis Chavanne Murmures

Vains remparts

Je te croyais, mon cœur, aux chocs plus résistant !
D’un triple airain j’avais cuirassé de bonne heure
Ton épiderme trop subtil, que rien n’effleure
Sans y laisser empreint un strigmate irritant.

Voilà qu’en se jouant une flèche furtive
A transpercé soudain bouclier et chair vive !
Que l’œil noir d’une femme est un habile archer !

En tes veines circule une subite ivresse :
Le dard qui l’apporta, tu ne veux l’arracher.
C’est avec volupté que l’angoisse t’oppresse.

Cependant la coquette au regard séduisant,
Dont l’image obstinée en tes veines demeure,
Sur d’autres, comme toi victimes de ce leurre,
Au hasard & d’instinct s’exerce en s’amusant !

QTTQ

Emmi l’esseulement des joncs et des roseaux, — 1895 (14)

Alban Roubaud Pour l’idole

L’étang

Emmi l’esseulement des joncs et des roseaux,
L’étang vient d’endormir les frissons de sa moire
Où flottaient mes désirs, voguant vers la nuit noire,
Et le lune surgit et se mire en les eaux.

Bonheurs enfuis, frêles oiseaux,
Volez du fond de ma mémoire,
Le nuit où mes espoirs vont boire
Est  là qui vos tend ses réseaux …

Alors dans mon âme damnée,
C’est comme une tourbe effrénée
De regrets, de remords anciens …

Et dans le paysage triste,
Où j’erre seul, où rien n’existe,
Je me souviens, je me souviens ! …

Q15  T15  2m (octo : Q2 T1 T2)

La laide et maigre Guimard, prêtresse de Terpsichore, — 1895 (5)

Tony d’UrbinoSonnets fantaisistes

La Guimard

La laide et maigre Guimard, prêtresse de Terpsichore,
A des adorateurs que séduisit ses mollets,
Ses mollets faits au tour, virant dans les ballets,
Avec un art savant qu’on admire encore.

Elle s’enrichit, mais n’est point pécore,
Bien que ses protecteurs, ses valets
Lui fassent cadeau d’un palais
Qu’un peintre épatant décore.

Pour elle écrit Collé
Qu’elle a racolé
Pour son théâtre.

L’Opéra
Paîra
L’âtre.

Q 15 – T15 – bdn – Boule de neige métrique fondante stricte

La vie, en ces jours, a moins de saveur. — 1895 (4)

F.H. BaudryPauca Meis – sonnets –

Pensées d’automne

La vie, en ces jours, a moins de saveur.
La fleur nous délaisse, après l’hirondelle,
Le soleil aux yeux semble être infidèle:
On devient rêveur.

Au ciel les chrétiens cherchent leur Sauveur;
Leur âme, à sa vue, ouvre mieux son aile,,
Le monde et ses deuils font grandir en elle,
Espoir et ferveur.

Le coeur plus sevré d’humaines délices,
Plus ardent, aspire aux divins calices
De félicité.

Tout passe ici-bas: fleur, joie, et nous même;
Là-Haut tout demeure – et Là-haut tout aime
Pour l’éternité.

Q15 – T15 –  2m : tara ( v.4, v.8, v.11, v.14: 5s)

Toute l’âme résumée — 1895 (3)

Mallarmé in Le Figaro – Supplément Littéraire

Toute l’âme résumée
Quand lente nous l’expirons
Dans plusieurs ronds de fumée
Abolis en d’autres ronds

Atteste quelque cigare
Brûlant savamment pour peu
Que la cendre se sépare
De son clair baiser de feu

Ainsi le choeur des romances
A la lèvre vole-t-il
Exclus-en si tu commences
Le réel parce que vil

Le sens trop précis rature
Ta vague littérature

shmall – 7s