Archives de catégorie : Formule entière

Dieu mit sur votre front la fierté d’une reine ; — 1991 (33)

Louis Capillery in L’année des poètes

Sans cœur

Dieu mit sur votre front la fierté d’une reine ;
Puis, prenant deux saphirs sur son royal bandeau,
Lui-même, il cisela vos grands yeux de sirène,
Brillants, comme au soleil brillent deux gouttes d’eau.

Quand il vous eut donné cet air de souveraine,
Il mit dans votre voix un ramage d’oiseau,
Quelque chose de doux, de languissant, qui traîne
Comme le chant lointain que soupire un roseau.

Sur vos lèvres qu’entr’ouvre un sommeil, il fit naître
Ce sourire de sphinx, si profond que, peut-être,
Nul ne saura jamais s’il est triste ou moqueur.

Alors, vous contemplant, il vous trouva si belle
Que, n’osant plus toucher à son oeuvre nouvelle,
Sous votre sein d’ivoire il oublia le cœur.

Q8  T15

Le Sonnet, ce léger poème en miniature, — 1991 (32)

Emmanuel Gosselin in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

Le sonnet

Le Sonnet, ce léger poème en miniature,
De plus d’un lapidaire a tenté le ciseau.
Le cadre n’est pas grand, soit, mais qui donc mesure
Le talent de l’artiste à l’ampleur du tableau ?

La toile importe peu : tout est dans la peinture
Lorsqu’une main habile a tenu le pinceau.
Ne comptons pas les vers, voyons la ciselure
Pétrarque ou Meissonnier, l’idéal, c’est le beau !

Quand l’Art pur guide seul la plume ou la palette,
Il transforme en chef-d’oeuvre une simple bluette
Et loge le printemps dans un pli de gazon.

Dans un coin de falaise il met la mer profonde,
Nous montre l’infini dans un bout d’horizon,
Et dans l’étroit Sonnet fait tenir tout un monde.

Q8  T14  s sur s (Pétrarque= Meissonnier. On frémit)

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes, — 1991 (28)

Ivanhoe Rambosson in Le Saint-Graal

Les Possédés
à Rémy  de Gourmont

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes,
En l’île de tristesse au fond des noirs jardins, –
Avec quel faste mortuaire nous allâmes
Vers la Tour de l’Aurore, où sont les paladins.

Quand on nous eut déclos l’huis d’or gardé de flammes,
Quand nous eûmes gravi les lumineux gradins,
Nous vîmes les guerrier du Christ et nous clamâmes :
Elus immaculés comme les séraphins,

Chevaliers, chevaliers, abolisseurs de sorts,
Belzébuth nous voudrait mener à mâle mort
Et nous vous conjurons en peur de nos folies

D’exorciser au nom du Verbe qui fut chair
Le succube égotant de nos mélancolies,
Qui nous pousse, perdus, vers le gouffre d’enfer !

Q8  T14  bi

La nuit l’eau calme des bassins — 1991 (27)

Léon Blum in La Conque

Sonnet

La nuit l’eau calme des bassins
Au reflet des lumières vagues
Forme d’imaginaires vagues
Et de fantastiques dessins.

Ce sont de bizarres coussins
Brodés de colliers et de bagues
Des chevaliers dressant leurs dagues
Des fleurs larges comme des seins …

… Des formes chétives et frêles
Des femmes et des sauterelles
D’oiseaux clairs et de papillons

Dansent aussi sur l’eau tranquille
Dont l’éclair fuyant des rayons
Respecte le rêve immobile.

Q15  T14 – banville –   octo Ce frêle sonnet octosyllabique n’annonce pas encore le Président du Conseil du Front Populaire, le lâche administrateur de la Non-Intervention, ni l’inventeur du ‘cycle infernal des salaires et des prix’

Le Jardin, le grand jardin se boursoufle de tertres — 1891 (24)

La Conque

Maurice Quillot

La comédie de la mort
à Stéphane Mallarmé

Le Jardin, le grand jardin se boursoufle de tertres
Où pousse des touffes d’adorables chrysanthèmes
Dans les enclos fermés de cadenas et de chaînes!
– Comme si l’on craignait que les âmes se perdent.

On écrit leurs noms sur des Croix dans les herbes vertes:
Et dans l’ombre du soir, les parents vont tout blêmes,
Parce qu’ils ont peur de voir les Morts, hors de leurs gaînes,
S’en venir leur dire avec des bouches trop ouvertes:

 » Que venez vous ici, ridicules trouble-fêtes;
Allez, ce grand calme est bon pour nos pauvres têtes,
Et nos cheveux sont le gazon des lentes charmilles.

Comme les Dieux immortels, nous vivons sans querelles;
Nous disons nos ‘Ave’ sous les petites chapelles
Où sont inscrits nos noms dans les Caveaux des Familles! »

Q15 – T15 – 13s – Rimes approximatives (assonnances).

Vieil idéal manchot des mornes architectes — 1891 (23)

L’Ermitage

Georges Fourest

A la Vénus de Milo
‘Aux quinze-vingts le vieil Homère et toi cascade, Hortense, ma fille’ Jules Vallès

Vieil idéal manchot des mornes architectes
Sortis premiers de l’Ecole des Vilains-Arts;
Paros mal retrouvé par les benêts hasards,
Keulla-Reduction pour cracheurs de Pandectes

Plâtre durci sur la tronche pleine d’insectes
Des petits Italos, article de bazars,
Nulle en bizarre et bon nanan des vieux busards
Chez Balandard sur la pendule où tu t’objectes!

Paganisme des quincaillers! Bronze en toc! Zinc!
Sache que les adorateurs du marquis Tseng,
Ceux qu’un magot, poussah falot, séduit et botte,

O mijaurée, ont renversé ton piédestal
Et qu’ils ont mis dans un Panthéon de cristal
Ta Soeur négresse aux longs têtons: la Hottentote!

Q15 – T15

Il évoque, en un bois thessalien, Orphée, — 1891 (22)

L’Ermitage

Paul Valéry

Paradoxe  sur l’architecte

Il évoque, en un bois thessalien, Orphée, sous les myrthes, et le soir antique descend. Le bois sacré s’emplit lentement de lumière, et le dieu tient la lyre entre ses doigts d’argent. Le dieu chante et, selon le rythme tout-puissant, s’élèvent au soleil les fabuleuses pierres, et l’on voit grandir vers l’azur incandescent, les murs d’or harmonieux d’un sanctuaire.
Il chante, assis au bord du ciel splendide, Orphée! Son oeuvre se revêt d’un vespéral trophée, et sa lyre divine enchante les porphyres. Car le temple érigé par ce musicien, unit la sûreté des rythmes anciens, à l’âme immense du grand hymne sur la lyre! …

pr

Déjà paru la même année dans La Conque (revue de Pierre Louÿs), il est dissimulé en prose à la fin du texte. On remarque  que le vers 8 du sonnet, ‘ Les hauts murs d’or harmonieux d’un sanctuaire ‘, est, dans la prose, privé d’une syllabe. Elle n’est pas rétablie dans l’éd. Pléiade. Elle ne l’était pas non plus dans l’édition de 1931. Est-ce une erreur non corrigée par Valéry; ou une omission volontaire? Par ailleurs, ‘Orphée se trouve deux fois à la rime, aux vers 1 et 9. La disposition des rimes du sonnet est excentrique.

Les genêts luisent dans la lande désolée; — 1891 (21)

Francis Jammes Six sonnets

I
La fièvre

Les genêts luisent dans la lande désolée;
Sur l’ocre des côteaux la bruyère est de sang:
Mais tu ne peux guérir mon coeur triste où descend
Le souvenir de ma pauvre enfance en allée.

Viens: elle est d’émeraude et d’argent la vallée:
Douce comme ta voix, l’eau chuchote en passant,
Et clair comme ton rire est l’angélus croissant:
Fraîche comme ta bouche est la mousse mouillée.

J’ai la fièvre: Viens là, près de ces romarins,
Près de ce puits glacé que ronge l’herbe fraîche;
Viens, pleurons et mourons, fillette aux yeux sereins;

Nous sommes las: moi, las de sentir une brêche
En mon coeur mort d’amour lors de son mois de mai.
Toi, lasse en ton printemps de n’avoir pas aimé.

Q15 – T23

Sur les autels de pourpre ornant les cathédrales — 1891 (18)

Le concours de La Plume
(concours, premier prix)

Les vrais crucifiés, ce sont les amoureux
Jean Richepin

Sur les autels de pourpre ornant les cathédrales
Qu’élève un coeur mystique à la seule Beauté,
Des Madones, nimbant leurs fronts purs de clarté,
S’érigent dans l’orgueil de leurs robes astrales.

Les Christs crucifiés aux peintures murales
Lèvent leurs yeux pâmés d’amère volupté:
A leurs lèvres du sang de leur sein dévasté
Monte un baiser d’amour avec leurs derniers râles.

La Déesse, invincible aux regards des fervents,
S’épand et se transforme en songes décevants
Qui flottent doucement dans la pâleur des cierges.

Et mêlés aux parfums des encensoirs dorés
Plus haut que l’hosannah des pleurs désespérés,
Planent les chants subtils des implacables Vierges.

Marcel Noyer

Q15 – T15

D’un concours de Sonnets — 1891 (17)

Le concours de La Plume

Au Concours

D’un concours de Sonnets
L’idée est excellente
Et je t’en complimente;
Car ne sachant jamais

Où prendre mes sujets
Tolère que je chante,
Au lieu de mon amante,
Le concours de Sonnets.

Oui, je te glorifie
O concours, stimulant
L’art de la Poésie!

Par contre, maintenant,
Comme à Vénus la pomme,
Donne-moi le diplôme!

Q15 – T23 – 6s