Archives de catégorie : Formule entière

La brise pleine de chansons — 1891 (16)

Le concours de La Plume
(concours n° 96)

La brise pleine de chansons
Apporte des senteurs marines
Qui vont réjouir vos narines,
O calmes filles des boxons!

C’est l’heure tendre où les garçons
S’en vont vider dans les latrines
Les vases remplis des urines
Des marins danois ou saxons.

L’oeil pesant et suivant l’Idée,
Clarisse, à sa table accoudée,
Songe à des vers pour son amant.

De liliales tourterelles
Roucoulent extatiquement
Aux fenêtres des maquerelles.

Q15 – T14 – banv – octo

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame, — 1891 (12)

Henri Meilhac Le concours de La Plume

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame,
Qu’il me faudra trouver trois rimes à sonnet?
Madame, heureusement, rime avec âme et flamme
Et le premier quatrain me semble assez complet.

J’entame le second, le second je l’entame,
Et prends en l’entamant un air tout guilleret.
Car ne m’étant encor point servi du mot âme
Je compte m’en servir et m’en sers en effet.

Vous m’accorderez bien, maintenant, j’imagine,
Qu’un sonnet sans amour ferait fort triste mine,
Qu’il aurait l’air boiteux, contrefait, mal tourné.

Il nous faut de l’amour, il nous en faut quand même,
J’écris donc en tremblant: je vous aime, je t’aime,
Et voilà, pour le coup, mon sonnet terminé

Q8 – T15 – s sur s

O créer, avec fièvre un rien: quatorze vers — 1891 (11)

Le concours de La Plume

Gaston Sénéchal

Le Dahlia bleu

O créer, avec fièvre un rien: quatorze vers
Délicats, spéciaux, rares, heureux d’éclore;
Un bouquet effaçant, par le choix de sa flore,
La vieille rhétorique et les jeunes prés verts!

Y mettre le secret de mon coeur, comme Arvers,
Et les vocables doux par lesquels on implore,
Et sous un nom vraiment rythmique, Hélène ou Laure,
Oser vous y parler d’amour, à mots couverts.

Vous les liriez, non pas comme ceux qu’on renomme,
Comme les dieux, avec sollicitude, et comme
Ce sonnet sans défaut vaudrait bien un baiser,

Après l’avoir touché presque du bout des lèvres,
Vous iriez doucement, doucement, le poser,
Sur l’étagère où sont les coupes de vieux Sèvres.

Q15 – T14 – banv – s sur s

L’homme, plus malheureux que le porc ou le veau, — 1890 (31)

Alfred Ruffin Poèmes variés et nouveaux chants

Philanthropophagie

L’homme, plus malheureux que le porc ou le veau,
Le poulet qu’on engraisse ou le lièvre qui broute,
Se voit, dès qu’il est mort, scellé sous une voûte
Où tout son corps pourrit jusqu’au dernier lambeau.

Combien j’aimerais mieux, dépouillé de ma peau,
Bien coupé, devenir un civet qui ragoûte,
Ou plutôt en pâté dormir dans une croûte,
Qui des cercueils serait, à mon gré, le plus beau !

Ainsi, du corbillard narguant les tristes planches,
Aux horreurs du tombeau j’échapperais par tranches,
Arrosé de bon vin et de fine liqueur,

Et, d’un repas joyeux appréciant l’aubaine,
Les amis qui, vivant, me portaient dans leur coeur,
S’en iraient me portant, charmés, dans leur bedaine.

Q15  T14

L’enfant blême est au lit ; le père frémissant, — 1890 (29)

Arthur de Beauplan in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

La montre à secondes

L’enfant blême est au lit ; le père frémissant,
L’œil fixé sur sa montre où court l’aiguille agile,
Compte les bâtements du pouls dans cette argile,
Le doigt sur une artère où bouillonne le sang.

Le mal comme le flux monte ; l’homme impuissant
Oppose vainement sa science fragile ;
Il faudrait un miracle ainsi qu’en L’Evangile,
Pour prolonger la vie en cet agonisant.

C’est fini ! … De draps blancs on décore la porte ;
Le corps est sur un char … il est l’heure … on l’emporte …
Les larmes sous les yeux ont creusé leur ravin.

L’aiguille d’or pourtant trotte toujours, altière ;
Et le ressort d’acier, la montre, la matière,
Survit à l’oeuvre où Dieu mit son souffle divin.

Q15  T15

O mon noble pays ! ils avaient cru naguère, — 1890 (27)

Alcide Chapeau in L’Aurore

Patrie
Gloire à la France au ciel joyeux,
Si douce au cœur, si belle aux yeux,
Sol béni de la Providence,
Gloire à la France
P.DEROULÈDE

O mon noble pays ! ils avaient cru naguère,
Ces bandits d’Outre-Rhin, t’asservir à jamais ;
Des désordres sanglants de leur brutale guerre
Te croyant impuissante à supporter le faix !

Se ruant sur ton sol, et traitant de chimère,
De tes fils opprimés la gloire et les hauts faix,
Dans leur coupable orgueil, ils avaient cru sur terre
Anéantir jusqu’au nom si beau de français !

Forte de ton mandat, ô ma France adorée,
Va, poursuis ici-bas ta mission sacrée :
Tu ne saurais périr, flambeau du genre humain !

Aussi, vers le progrès qui grandit et féconde,
C’est toi, longtemps encor, qui conduira le monde,
Quoique puisse tenter l’audacieux Germain.

Q8  T15  bi  poème couronné au premier concours de l’Aurore

Un jour au cabaret, dans un moment d’ivresse, — 1890 (26)

G. de Viney in L’Aurore

Mots carrés syllabiques

Un jour au cabaret, dans un moment d’ivresse,
L’ivrogne Mathurin en se disputant fort,
A son ami Denis cherchait dernier sans cesse
Armé de son couteau pour lui donner la mort.

Il fond sur lui soudain et fortement le blesse ;
Arrêté sur le champ en prison il s’endort.
Ensuite condamné, pour la Nouvelle, en laisse,
On le conduit ; mais lui mécontent de son sort,

S’évade dans le bois et rencontre un deuxième
Que l’on nomme premier. de cet homme méchant
Il craint la dent cruelle, et veut, en se cachant

Echapper à la mort et se sauver quand même …
Plus loin un caïman, au milieu des roseaux,
Le happant en passant, l’entraîne au fond des eaux.

Q8  T30

Minet te guette, cher petit, — 1890 (24)

– « Black » in L’Aurore

Anagramme-sonnet

Minet te guette, cher petit,
Gare-toi de son vol rapide ;
Crois-moi, ne fais pas l’intrépide
Pour contenter son appétit.

Sur toi son œil s’appesantit ;
Il trompe, son regard stupide …
Vois du gourmand la gueule avide
Qui t’enserre et qui t’engloutit ! –

Lentement je vais à la fosse,
Moi qu’on nommait un sacerdoce
Et qui ne suis qu’un vil métier !

Le peintre vend .. de la céruse ;
Et le poète vend … sa muse …
C’est à qui sera le moins fier !

Q15  T14  octo

Ah ! plaignez mon destin, sensible et bon lecteur, — 1890 (22)

Cirederf Ybl. in L’Aurore

Enigme-sonnet
dédiée aux lectrices langonnoises

Ah ! plaignez mon destin, sensible et bon lecteur,
Car il est peu d’humains, sur la terre et sur l’onde,
Qui ne se sente pris d’une pitié profonde
Au récit émouvant de mon cruel malheur.

Dans un boudoir parmi des meubles de valeur
Ou bien dans une chambre où la richesse abonde
L’on me couche et voyez la cruauté du monde
Chacun me foule aux pieds et m’écrase le cœur !

Mais là n’est pas le terme, hélas ! de mon martyre,
Poussé par je ne sais quel infernal délire,
Un monstre au bras nerveux, au regard sombre et dur,

Me soulève et s’armant d’un bâton – oh ! l’infâme ! –
Frappe et me bat si fort qu’aussitôt je rends l’âme
Fin nuage poudreux qui se perd dans l’azur …

Q15  T15