Archives de catégorie : Formule entière

« Tu parleras, mourant, quand mon soir nuptial — 1885 (14)

René Ghil in Revue Wagnérienne

Hymen – la musique

« Tu parleras, mourant, quand mon soir nuptial
T’étonneras de Toi, ne parle pas : mon geste
N’est pas d’amour et, vois, ô Drame ! que proteste
L’assentiment de mon vouloir impartial.

Mon Grand Rêve à mi-voix montait en l’air astral
Voilé par le midi de ma déserte sieste,
Quand il vint, ce Wagner ! qui ne veut pas que reste
Au vide isolement mon souhait théâtral.

Hélas ! et ma verdeur te doit rendre, ô vieux Drame !
Ta virilité sûre un soir d’épithalame :
Lui, c’est l’homme, sois tout le Combat ! et pourtant,

Souviens-Toi que mes seins sont de vierge égoïste,
O Sacre ! et qu’en les Yeux du Mage inquiétant
Je ne sais quel vœu vague et mortuaire existe – »

Q15  T14 – banv

Je ne vous cache pas que je suis amoureux — 1885 (11)

Victor HugoToute la LyreRoman en trois sonnets

II

Je ne vous cache pas que je suis amoureux.
Je ne vous cache pas que vous êtes charmante,
Soit; mais vous comprenez que ce qui me tourmente,
C’est, ayant le coeur plein, d’avoir le gousset creux.

On fuit le pauvre ainsi qu’on fuyait le lépreux;
Pour Tircis sans un sou Philis est peu clémente,
Et l’amant dédoré n’éblouit point l’amante;
Il sied d’être Rothschild avant d’être Saint-Preux.

N’importe, je m’obstine; et j’ai l’audace étrange
D’être pauvre et d’aimer, et je vous veux, bel ange;
Car l’ange n’est complet que lorsqu’il est déchu;

Et je vous offre, Eglé, giletière étonnée,
Tout ce qu’une âme, hélas, vers l’infini tournée,
Mêle de rêverie aux rondeurs d’un fichu.

Q15 – T15

En tout temps, comme en tout séjour, — 1885 (9)

Emile Blémont La belle aventure

Sonnet galant

En tout temps, comme en tout séjour,
Ils remporteront la victoire
Vos yeux pleins de lumière noire,
Vos yeux bruns imprégnés d’amour.

A quoi bon porter tour à tour
L’or, l’argent, le satin, la moire?
Dévoilez plutôt votre gloire,
Beauté plus belle que le jour!

Aimons-nous sans menteuses luttes!
Un baiser de quelques minutes
Vaut toute une heure à babiller.

Faire toilette vous amuse:
Parez-vous, ma petite muse,
Puis laissez-vous déshabiller.

Q15 – T15 – octo

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables, — 1885 (8)

Rodolphe DarzensLa nuit

L’incomparable

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables,
Et pour dire en mes vers dociles ta Beauté
J’ai vainement cherché des mots, de tout côté,
Qui pussent exprimer tes formes adorables.

Car  » le vermeil éclat de la fleur des érables »
N’est pas ta lèvre, où rit ta rouge cruauté;
Et,  » neige, marbre, lis  » candides, Royauté
Triple de la blancheur, paraissent misérables

Auprès du flamboiement mystique de tes seins!
Qu’est-ce ‘la nuit « , auprès de tes cheveux malsains
Où, dans les replis lourds, rôde un arôme louche?

Tes cheveux sont obscurs plus que le firmament:
Ta bouche est rouge comme est seulement ta bouche,
Et tes seins sont pareils à tes seins seulement.

Q15 – T14 – banv

C’est en jaspe sanguin, de vieil or incrusté, — 1885 (7)

Stanislas de Guaita Rosa mystica

A Charles Baudelaire
« O mort, vieux capitaine…  »

C’est en jaspe sanguin, de vieil or incrusté,
Maître, que le poëte au coeur chaud t’édifie
Un sépulcre: le jaspe fraternel défie,
– Comme tes vers – l’affront de l’âpre vétusté.

Or l’envie est muette; et le siècle, dompté
Par ton rythme en chantant, Maître, te déifie,
De Paris à Moscou – jusqu’à Philadelphie,
Et ton nom, clair de gloire, aux astres est monté.

L’Ame mystique vit son rêve d’outre-tombe!
Montre-toi donc, poëte, et que le rideau tombe,
Qui voile l’Elysée où sont les demi-dieux!

Ouvre un oeil agrandi d’extase coutumière
Sur le choeur prosterné de tes enfants pieux
Qui font vibrer vers toi leur hymne de lumière!

Q15 – T14 – banv

Pour avoar du bonne mékéroni, il fallait avoar du bonne fromédje. — 1885 (2)

Mac Nab Poèmes mobiles

Le Mékéroni!
sonnet britannique en prose
A M. Plet

Pour avoar du bonne mékéroni, il fallait avoar du bonne fromédje.
Aoh! …
Mais, pour avoar du bonne fromèdje, il fallait avoar des bonnes pétiourédjes.
Aoh! …
Et, pour avoar des bonnes pétourèdjes, il fallait bôcoup d’ârgent.
Aoh! Compréné vos,
Jé keuntiniou:
Pour avoar bôcoup d’ârgent,

il fallait vender baôcoup de keuteune.
Mais, pour vénder baôcoup de keuteune,

il fallait avoar le canal de Souez.
Donc, pour avvoar du bonne mékéroni,

il fallait avoar le canal de Souez!

bl – m.irr

Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière, — 1884 (19)

Leconte de Lisle Poèmes tragiques

A un poète mort

Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière,
De la couleur divine au contour immortel
Et de la chair vivante à la splendeur du ciel,
Dors en paix dans la nuit qui scelle ta paupière.

Boire, entendre, sentir? Vent, fumée et poussière.
Aimer? La coupe d’or ne contient que du fiel.
Comme un Dieu plein  d’ennui qui déserte l’autel,
Rentre et disperse-toi dans l’immense matière.

Sur ton muet sépulcre et tes os consumés
Qu’un autre verse ou non les pleurs accoutumés,
Que ton siècle banal t’oublie ou te renomme;

Moi, je t’envie, au fond du tombeau calme et noir,
D’être affranchi de vivre et de ne plus savoir
La honte de penser et l’horreur d’être un homme!

Q15 – T15

Quand je le contemplai, de l’Acteur gigantesque, — 1884 (18)

Le Chat Noir

Jules Jouy

X
Fréderick- Lemaître

Quand je le contemplai, de l’Acteur gigantesque,
De l’Artiste, protée énorme et sans rivaux,
Au génie acclamé par d’illustres bravos,
Il restait un vieillard, par l’âge brisé presque.

Parfois, pourtant, fouillant son front michélangesque,
Cet Hercule affaissé, las des anciens travaux,
Trouvait, pour le graver en nos jeunes cerveaux,
Un geste inimitable: immense et pittoresque.

Rien n’était merveilleux, étrange, saisissant
Comme ce beau lutteur torturé, s’efforçant
De rompre, des vieux ans, le lourd carcan de glace.

Et j’assistais, songeant aux triomphes d’antan,
Blême, l’horreur sacrée empreinte sur la face,
A cet écroulement superbe d’un Titan.

Q15 – T14 – banv

– Un comédien? Point : un type — 1884 (16)

Le Chat Noir

Jules Jouy
Sonnets de l’Entracte


VIII Lassouche

– Un comédien? Point : un type
Bouffon, sur la scène tombé.
Corps grêle, élégamment courbé…
Comme le tuyau de ma pipe.

Aspect rugueux… comme un Principe.
Pantomime au geste embourbé.
Masque figé de vieil abbé,
Où l’oeil, révolté, s’émancipe.

Lazzi pesants et gros accents
D’un gavroche de quarante ans;
Gamin vieilli. Bref, une touche

A tenter Chem ou Traviès.
Tel est le baron de La Souche,
Rejeton du geolier d’Agnès.

Q15 – T14 – banv – octo

Je ne veux pas savoir le nombre d’hématies — 1884 (15)

– coll. Le Parnasse Hippocratique

– G.Camuset

Chlorose – Sonnet médical

Je ne veux pas savoir le nombre d’hématies
Que la chlorose avare a laissé dans ton sang;
Je ne veux pas compter sur ton front languissant
Les pétales restés à tes roses transies.
Pauvre enfant! le nerf vague aux mille fantaisies
Donne seul à ton coeur son rythme bondissant;
Seul il rougit parfois ton visage innocent
De l’éclat sans chaleur des pudeurs cramoisies.
Pour la dompter, veux-tu connaître un moyen sûr?
N’épuises plus en vain les sources martiales,
Mais laisse-toi conduire aux choses nuptiales.
Au soleil de l’amour ouvre tes yeux d’azur,
Suis la loi; deviens femme, et qu’en ton sein expire
Dans les blancheurs du lait, la pâleur de la cire.

Q15 – T30 – sns