Archives de catégorie : Formule entière

Hors du coffret de laque aux clous d’argent, parmi — 1866 (23)

Le Parnasse contemporain

Le lys

Hors du coffret de laque aux clous d’argent, parmi
Les fleurs du tapis jaune aux nuances calmées,
Le lourd collier massif qu’agrafent deux camées
Ruisselle et se répand sur la table à demi.

Un oblique rayon l’atteint. L’or a frémi.
L’étincelle s’attache aux perles parsemées,
Et midi darde moins de flèches enflammées
Sur le dos somptueux d’un reptile endormi.

Cette splendeur rayonne et fait pâlir des bagues
Eparses où l’onyx a mis ses reflets vagues,
Et le froid diamant sa claire goutte d’eau.

Et comme dédaigneux du contraste et du groupe,
Plus loin, et sous la pourpre ombreuse du rideau,
Noble et pur, un grand lys se meurt dans une coupe.

François Coppée

Q15 – T14 – banv

L’Ecclésiaste a dit: Un chien vivant vaut mieux — 1866 (21)

Le Parnasse contemporain

L’Ecclésiaste

L’Ecclésiaste a dit: Un chien vivant vaut mieux
Qu’un lion mort. Hormis, certes, manger et boire,
Tout n’est qu’ombre et fumée. Et le monde est très vieux,
Et le néant de vivre emplit la tombe noire.

Par les antiques nuits, à la face des cieux,
Du sommet de sa tour comme d’un promontoire,
Dans le silence, au loin laissant planer ses yeux,
Sombre, tel il songeait sur son siège d’ivoire.

Vieil amant du soleil, qui gémissais ainsi,
L’irrévocable mort est un mensonge aussi,
Heureux qui d’un seul bond s’engloutirait en elle!

Moi, toujours, à jamais, j’écoute, épouvanté,
Dans l’ivresse et l’horreur de l’immortalité,
Le long rugissement de la vie éternelle.
Charles-Marie-René Leconte de Lisle

Q8 – T15

Le quadrige divin, en de hardis élans, — 1866 (20)

Le Parnasse contemporain

La chasse

Le quadrige divin, en de hardis élans,
Monte au faîte du ciel, et les chaudes haleines
Ont fait onduler l’or bariolé des plaines.
La Terre sent le feu circuler dans ses flancs.

La lumière filtrant sous les feuillages lents,
Dans l’ombre où rit le timbre argentin des fontaines,
Fait trembler à travers les cimes incertaines,
Au caprice du vent, ses jeux étincelants.

C’est l’heure flamboyante, où, par les hautes herbes,
Bondissant au milieu des molosses superbes,
Dans les clameurs de mort, le sang et les abois,

Faisant voler les traits de la corde tendue,
Les cheveux dénoués, haletante, éperdue,
Invincible, Artémis épouvante les bois!

José-Maria de Heredia

Q15 – T15

La reine Nicosis, portant des pierreries, — 1866 (19)

Le Parnasse contemporain

La Reine de Saba

La reine Nicosis, portant des pierreries,
A pour parure un calme et merveilleux concert
D’étoffes, ou l’éclair d’un flot d’astres se perd
Dans les lacs de lumière et les flammes fleuries.

Son vêtement tremblant chargé d’orfèvreries
Est fait d’un tissu rare et sur la pourpre ouvert,
Où l’or éblouissant, tour à tour rouge et vert,
Sert de fond méprisable aux riches broderies.

Elle a de lourds pendants d’oreilles, copiés
Sur les feux des soleils du ciel, et sur ses pieds
Mille escarboucles font pâlir le jour livide.

Et fière sous l’éclat vermeil de ses habits,
Sur les genoux du roi Salomon elle vide
Un vase de saphir d’où tombent des rubis.
Théodore de Banville

Q15 – T14 – banv

Une nuit grise emplit le morne firmament. — 1866 (17)

Le Parnasse ContemporainRecueil de vers nouveaux – (première livraison) –

Sonnet estrambote

Une nuit grise emplit le morne firmament.
Comme un troupeau de loups, errant à l’aventure
Dans la nuit, et rôdant autour de leur pâture,
Le vent funèbre hurle épouvantablement.

Le brouillard, que blanchit un tourbillonnement
Neigeux, se déchirant ainsi qu’une tenture,
On voit, parfois, au fond d’une sombre ouverture,
Le soleil rouge et froid qui luit obscurément.

Mais, tous deux, ayant clos les rideaux des fenêtres,
Mollement enlacés et mêlant nos deux êtres
Dans un fauteuil profond devant un feu bien clair:

Nous nous aimons. Nos yeux parlent avec nos lèvres
Frémissantes. Et nous sentons dans notre chair
Courir le frisson chaud des amoureuses fièvres.

Tu peux durer longtemps encore, ô sombre hiver.
Car, réchauffés toujours au feu de leurs pensées,
Nos coeurs ne craignent pas tes ténèbres glacées.
Louis-Xavier de Ricard

Q15 – T14 +eff (trois tercets) – banv

Il existe en Ecosse un bien antique usage — 1866 (16)

Charles Joliet in L’Artiste

La Saint-Valentin

Il existe en Ecosse un bien antique usage
Qui s’appelle le jour de la Saint-Valentin ;
Devançant le signal des coqs du voisinage,
L’amoureux vient siffler un air de grand matin.

Au seuil de sa maison le père l’entourage :
Ca, garçon, as-tu peur ? Vide ce pot d’étain »
Alors, à la croisée ouverte, un frais visage
Se montre en souriant avec un air mutin.

‘ Veux-tu, dit l’amoureux, être ma Valentine ? ‘
Je le veux, dit la fille à la voix argentine,
Et son bras nu lui jette un long baiser joyeux.

Escaladant l’appui de la fenêtre basse,
Le Valentin la prend sur son cœur et l’embrasse
Si fort, qu’il fait monter les larmes plein des yeux.

Q8  T15  Charles d’orléans est bien oublié !

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant — 1866 (15)

Verlaine Poèmes saturniens

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse? – Je l’ignore.
Son nom? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Q15 – T14 – banv

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle, — 1866 (14)

Verlaine Poèmes saturniens

Après trois ans

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu’éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle.

Rien n’a changé. J’ai tout revu: l’humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin….
Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
Chaque alouette qui va et vient m’est connue.

Même j’ai retrouvé debout la Velléda
Dont le plâtre s’écaille au bout de l’avenue,
– Grêle, parmi l’odeur fade du réséda.

Q15 – T14 – banv

L’élégante à la mode a mis de côté — 1866 (11)

Eugène de Lonlay (sans titre)

La Vénus moderne – Sonnet de onze pieds

L’élégante à la mode a mis de côté
La pudeur d’autrefois qui faisait son charme,
Elle porte culotte et son pied botté
Imite à s’y tromper le pan d’un gendarme.

Le cigare à sa lèvre et l’oeil effronté
Sont même pour les fous un sujet d’alarme ;
La femme perd ses droits à la royauté
Quand elle ne sait plus répandre une larme.

Le chapeau de travers et le ton mutin
Vont à ravir sans doute à toute lorette
Mais de l’hymen jamais ne font la conquête:

A la fille qui prend un air masculin
L’homme le plus épris hésite à se rendre
Il craint de n’épouser qu’un amas de cendre

Q8 – T30 – 11s             Monsieur de Lonlay signale fièrement son emploi de l’hendécasyllabe, bien négligé jusque là dans le siècle

Nez moyen. Oeil très-noir. Vingt ans. Parisienne. — 1866 (10)

Albert MératLes chimères

Passe-port

Nez moyen. Oeil très-noir. Vingt ans. Parisienne.
Les cheveux bien plantés sur un front un peu bas.
Nom simple et très-joli, que je ne dirai pas.
Signe particulier: ta maîtresse, ou la mienne.

Une grâce charmante et tout à fait paiënne;
L’allure d’un oiseau qui retient ses ébats;
Une voix attirante, à ramper sur ses pas
Comme un serpent aux sons d’une flute indienne.

Trouvée un soir d’hiver sous un bouquet de bal;
Chérissant les grelots, ivre de carnaval,
Et vous aimant … le temps de s’affoler d’un autre.

Une adorable fille, une fille sans coeur,
Douce comme un soupir sur un accord moqueur.
Signe particulier: ma maîtresse, ou la vôtre.

Q15 – T15