Archives de catégorie : 14s

vers de 14 syllabes

Quatorze pieds! Pourquoi mes vers ont-ils quatorze pieds? — 1919 (7)

Henry Céard Sonnets de guerre

Explication

Quatorze pieds! Pourquoi mes vers ont-ils quatorze pieds?
C’est que lassé, depuis longtemps, par l’antique hexamètre
Ankylosé, fourbu, boiteux, j’ai prétendu lui mettre
Deux béquilles, deux pieds de plus, comme aux estropiés.

Hardiment, j’ai rayé l’alexandrin de mes papiers!
Et l’avenir, hors du néant, me tirera peut-être
Pour d’inusités vers, ouvrés sans modèle, sans maître
Et sur aucun patron connu, coupés ou copiés.

Suivant l’accent, je place et déplace la césure.
J’en mets une, deux trois, quatre, et le sens et la mesure
Au lieu de se trouver gênés demeurent agrandis.

La règle peut changer: tout change. Alors risquons l’épreuve
De transformer des procédés trop pratiqués jadis.
– Si l’essai n’est pas bon du moins la tentative est neuve.

Q15 – T14 – banv – 14s – Illusion: il y a déjà eu des sonnets en vers de quatorze syllabes!

Je voudrais t’enguirlander de mille phrases enclose — 1900 (17)

Nathalie Clifford-BarneyQuelques portraits-sonnets de femmes

XIV

Je voudrais t’enguirlander de mille phrases enclose
En des rythmes gracieux aussi cambrés que tes pieds,
Talonner les mots de rouge afin que, si ça te plaît,
Tu puisses marcher dessus, haussant ta beauté mi-close.

Qui donc te réveillera, l’âme gaie où se repose
Tout un souriant jadis couronné de menuets,
Où se mêle au decorum plus d’un propos indiscret
Fait pour enrichir celui qui les joliment propose ?

Belle de cour, cheveux poudrés, audaces de clair minuit,
Que le madrigal polit l’avide regard qui luit
Sur les cous frêles et blancs de si mignonnes marquises !

« Oh ! les jeunes gens banals ! » et leurs brusques flirtations !
Qu’ils heurtent brutalement les demi-vierges exquises
D’un passé glorifié par ton imagination !

Q15  T14 – banv –   14s

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux, — 1893 (5)

Romain Coolus in Revue Blanche

Incantations, IV

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux,
Tes yeux aux longues perspectives de toute lumière
Dont le regard s’évade et fuit ainsi qu’une rivière
De clarté progressant vers des lointains prestigieux.

Et leur cher en-aller est pour moi si contagieux
Qu’ils dérivent mon coeur des habitudes coutumières
Et l’incitent au désir soudain des douceurs premières
Parmi le pays où vivre est un mot religieux.

J’attends ainsi les heures en élégies savoureuses
Où je déchifferait ton âme en vouloir d’être heureuse,
Quête vaine où s’épuisent nos tendresses douloureuses

Tandis qu’ensorcelant mes pensées au soleil fictif
Qui survit au soleil mort en tes yeux votifs
Je me cheminerai moi-même de rêves furtifs.

Q15 – T5 – 14s

Vous m’avez pris dans un moment de calme familier — 1891 (34)

Verlaine ed. pléiade (Dédicaces)

A Aman-Jean

Sur un portrait enfin reposé qu’il avait fait de moi

Vous m’avez pris dans un moment de calme familier
Où le masque devient comme enfantin comme à nouveau.
Tel j’étais, moins la barbe et ce front de tête de veau,
Vers l’an quarante-huit, bébé rotond, en Montpellier.

J’allais dans les Peyroux, tranquillement, avec ma bonne,
J’y faisais mille et mille fortins de sable inexpugnables
Et des fossés remplis, mon Dieu des eaux les moins potables
Suivant l’exemple que Gargantua pompier nous donne.

J’y voyais passer des processions, des pénitents
Et proclamer la République en ces candides temps
Où tant d’un tas d’avis n’étaient pas encore inventés.

Mais malgré ce souci de nos jours qu’il agite et trouble
Et d’autres ! au tréfonds de mes moelles encor butés,
Je demeure assuré, __ conforme à votre excellent double.
Hôpital Broussais, décembre 1891

Q63  T14  14s quatrains à rimes masculines

Le prêtre en chasuble énorme d’or jusques aux pieds — 1890 (7)

Paul VerlaineDédicaces

Laurent Tailhade

Le prêtre en chasuble énorme d’or jusques aux pieds
Avec un long pan d’aube en guipures sur les degrés;
Le diacre et le sous-diacre aux dalmatiques chamarrées
D’orerie et de perle à quelque Eldorado pillées;

Le Sang Réel par Qui toutes fautes sont expiées,
Dans un calice clair comme des flammes mordorées;
L’autel tout fuselé sous six cierges démesurés,
Et ces troublants Agnus Dei qu’on dirait pépiés;

Et ces enfants de choeur plus beaux que rien qui soit au monde,
Leurs soutanettes écarlates, leurs surplis jolis,
Et les lourds encensoirs bercés de leurs mains appalies;

Cependant que, poète au front royal sur tout haut front,
Laurent Tailhade, tel jadis Bivar, Sanche et Gomez,
Erect, et beau chrétien, et beau cavalier, suit la messe.

aaa*a* a*a*aa c*dd* cee* – 14s – Le vers 1 n’a que treize syllabes dans l’ed.Pléiade

Lorsque l’hiver approche, j’aime à contempler les grues — 1880 (15)

Narzale Jobert Klimax

XIV ter
Césure après la 8ème syllabe
Les grues

Lorsque l’hiver approche, j’aime à contempler les grues
Qui vont traversant le brouillard en un tige acéré
Afin de mieux pertuiser l’air qui n’est plus azuré
Car les lumières du soleil pour lors ont disparu.

Elles palpitent au-dessus des toits, et de nos rues
Et poussent un long cri qui semble un appel timoré
A leurs compagnons dont le vol se serait arriéré.
Si quelqu’une allait faire brèche en leurs lignes si drues! …

Et cette infortune survient, hélas, plus d’une fois.
Bien souvent un chasseur rodant dans les champs, dans les bois,
Elève son arme, un coup part, et tombe une émigrante.

Soudain glisse parmi les rangs un frisson d’épouvante …
Abandonnez, ô villageois, ce trop barbare jeu,
Et laisser en paix les oiseaux gagner le ciel bleu

Q15 – T13 – 14s (8+6) (HN) pertuiser: percer (terme vieilli)

Aussi, la créature était par trop toujours la même, — 1874 (23)

Verlaine Parallèlement

Le sonnet de l’homme au sable

Aussi, la créature était par trop toujours la même,
Qui donnait ses baisers comme un enfant donne aux lois,
Indifférente à tout, hormis au prestige suprême
De la cire à moustache et de l’empois des faux-cols droits.

Et j’ai ri, car je tiens la solution du problème :
Ce pouf était dans l’air dès le principe, je le vois ;
Quand la chair et le sang, exaspérés d’un long carême,
Réclamèrent leur dû, – la créature était en bois.

C’est le conte d’Hoffmann avec de la bétise en marge,
Amis qui m’écoutez, faites votre entendement large,
Car c’est la vérité que ma morale ; et la voici :

Si, par malheur, – puisse d’ailleurs l’augure aller au diable
Quelqu’un de vous devait s’emberlificoter aussi,
Qu’il réclame un conseil de revision préalable.

Q8  T14  14 s.

Quand j’étais faible enfançon, l’objet des soins de ma mère, — 1841 (2)

Paul AckermannChants d’amour. suivis de poésies diverses –

Souvenir

Quand j’étais faible enfançon, l’objet des soins de ma mère,
Et que, joyeux, j’ignorais l’ennui, les sombres fureurs
Et les désirs insensés, qui sourdent au fond des coeurs,
Je riais des passions et de l’amoureux mystère:

Mais bientôt, pour agiter mon existence légère,
La jeune fille aux yeux noirs, sur une route de fleurs,
Sut ma jeune âme enflammer par l’espoir de ses faveurs,
Puis le ciel me la reprit, me laissant seul sur la terre.

Doux amour de mon enfance, ombrage de mon chemin,
De vos flots voluptueux vous inondâtes mon sein,
Et je les vis s’écouler comme une vague rapide.

Ainsi, quand sur l’horizon brille une flamme rapide
L’orage éclate et bondit, trouble la source au front pur,
Et de noirs habits de deuil se vêt la plaine d’azur

Q15 – T13 – 14s

Paul Ackermann, qui se dit ‘professeur de langue française à Berlin », réinvente le sonnet en vers de quatorze syllabes. (Il y en a un chez Pierre Poupo, dans sa Muse Chrétienne de 1590) (après lui Verlaine, et d’autres, jusqu’à Réda)

(a.ch) ce type de vers est signalé par Richelet.