Archives de catégorie : octo

octosyllabe

L' »Albert Hall », au dôme bizarre — 1888 (22)

Le Chat Noir

London Fog

L' »Albert Hall », au dôme bizarre
Semble un formidable encrier.
Nous prendrons pour presse-papier
Un lion de ‘Trafalgar Square’.

De la « Banque », spectacle rare,
Nous ferons un vaste casier;
Et « Marble Arch » change en plumier
Son précieux bloc de Carrare.

Le ‘Monument’ est le crayon
Et la ‘Colonne de Nelson’
Devient un porte-plume étrange.

Cependant le soleil surpris
Met sur un ciel de buvard gris
Son pain à cacheter orange.

Stationer

Q15 – T15 – octo

Moi, je vis la vie à côté, — 1888 (17)

Charles CrosLe Collier de griffes

Sonnet

Moi, je vis la vie à côté,
Pleurant alors que c’est la fête.
Les gens disent: « Comme il  est bête! »
En somme, je suis mal coté.

J’allume du feu dans l’été,
Dans l’usine je suis poète;
Pour les pitres je fais la quête.
Qu’importe! J’aime la beauté.

Beauté des pays et des femmes,
Beauté des vers, beauté des flammes,
Beauté du bien, beauté du mal.

J’ai trop étudié les choses;
Le temps marche d’un pas normal:
Des roses, des roses, des roses!

Q15 – T14 – banv –  octo

Les fillettes sont bien grandies — 1888 (16)

Charles CrosLe Collier de griffes

Almanach

Les fillettes sont bien grandies
Qu’on faisait sauter dans ses mains!
Que de cendres sont refroidies!
Voici refleuris les jasmins.

Il est un charme aux lendemains,
Un bercement aux maladies.
Les roses perdent leurs carmins
Mais restent de nobles ladies.

Sans être ni riche ni fort
On attend doucement la mort
En contemplant le ciel plein d’astres.

Mais il vient des mots étouffants:
On laissera les chers enfants
Livrés à de vastes désastres.

Q11 – T15 – octo

Si mon âme claire s’éteint — 1888 (15)

Charles CrosLe Collier de griffes

Testament

Si mon âme claire s’éteint
Comme une lampe sans pétrole,
Si mon esprit, en haut, déteint
Comme une guenille folle,

Si je moisis, diamantin,
Entier, sans tache, sans vérole,
Si le bégaiement bête atteint
Ma persuasive parole,

Et si je meurs, soûl, dans un coin
C’est que ma patrie est bien loin
Loin de la France et de la terre.

Ne craignez rien, je ne maudis
Personne. Car un paradis
Matinal, s’ouvre et me fait taire.

Q8 – T15 – octo  – L’ed. Pléiade affirme bizarrement que le vers 7 est un heptasyllabe (ce qui est faux) et suggère de compter ‘bégaiement’ pour 4 positions, ce qui est bête. Mais c’est le vers 4 qui n’a que 7 syllabes.

C’était un vrai petit voyou, — 1888 (14)

Charles CrosLe Collier de griffes

Cueillette

C’était un vrai petit voyou,
Elle venait on ne sait d’où,
Moi, je l’aimais comme une bête.
Oh! la jeunesse, quelle fête!

Un baiser derrière son cou
La fit rire et me rendit fou.
Sainfoin, bouton d’or, pâquerette,
Surveillaient notre tête à tête.

La clairière est comme un salon
Tout doré; les jaunes abeilles
Vont aux fleurs qui leur sont pareilles;

Moi seul, féroce et noir frelon
Qui baise ses lèvres vermeilles,
Je fais tache en ce fouillis blond.

Q1 – T28 – octo

L’océan d’argent couvre tout — 1888 (12)

Charles CrosLe Collier de griffes

Banalité

L’océan d’argent couvre tout
Avec sa marée incrustante.
Nous aurons rêvé jusqu’au bout
Le legs d’un oncle ou d’une tante.

Rien ne vient. Notre cerveau bout
Dans l’Idéal, feu qui nous tente,
Et nous mourons. Restent debout
Ceux qui font le cours de la rente.

Etouffé sous les lourds métaux
Qui brûlèrent toute espérance,
Mon coeur fait un bruit de marteaux.

L’or, l’argent, rois d’indifférence
Fondus, puis froids, ont recouvert
Les muguets et le gazon vert.

Q8 – T23 – octo

Le vent impur des étables — 1888 (11)

Charles CrosLe Collier de griffes

Liberté

Le vent impur des étables
Vient d’Ouest, d’Est, du Sud, du Nord.
On ne s’assied plus aux tables
Des heureux, puisqu’on est mort.

Les princesses aux beaux rables
Offrent leurs plus doux trésors.
Mais on s’en va dans les sables
Oublié, méprisé, fort.

On peut regarder la lune
Tranquille dans le ciel noir.
Et quelle morale? … aucune.

Je me console à vous voir,
A vous étreindre ce soir
Amie éclatante et brune.

Q8 – T20 – octo

Inscriptions cunéiformes, — 1888 (8)

Charles CrosLe Collier de griffes

Epoque perpétuelle

Inscriptions cunéiformes,
Vous conteniez la vérité;
On se promenait sous des ormes,
En riant aux parfums d’été;

Sardanapale avait d’énormes
Richesses, un peuple dompté,
Des femmes aux plus belles formes,
Et son empire est emporté!

Emporté par le vent vulgaire
Qu’amenaient pourvoyeurs, marchands,
Pour trouver de l’or à la guerre.

La gloire en or ne dure guère;
Le poète sème des chants
Qui renaîtront toujours sur terre.

Q8 – T17 – octo

J’ai balayé tout le pays — 1888 (7)

Charles CrosLe Collier de griffes

Conquérant

J’ai balayé tout le pays
En une fière cavalcade;
Partout les gens se sont soumis,
Ils viennent me chanter l’aubade.

Ce cérémonial est fade;
Aux murs mes ordres sont écrits.
Amenez-moi (mais pas de cris)
Des filles pour la rigolade.

L’une sanglote, l’autre a peur,
La troisième a le sein trompeur
Et l’autre s’habille en insecte.

Mais la plus belle ne dit rien;
Elle a le rire aérien
Et ne craint pas qu’on la respecte.

Q10 – T15 – octo

Pour un civet, il faut un lièvre: — 1887 (6)

Le Chat Noir,

Armand Masson

Bouchée à la reine

Pour un civet, il faut un lièvre:
Il faut une idée au sonnet.
Prenez-là délicate et mièvre,
Un déjeuner de sansonnet.

Dans une coupe de vieux Sèvre
Faites-là fondre un tantinet
Avec ces mots doux à la lèvre
Où Benserade butinait.

Saupoudrez de rimes parfaites,
Poivre, piments, cannelle, et faites
Un trait précieux pour la fin:

Vous aurez une chose exquise,
Un plat de petite marquise,
– Bon pour les gens qui n’ont pas faim.

Q8 – T15 – octo  – s sur s