Archives de catégorie : octo

octosyllabe

La mort – inévitable écueil — 1879 (26)

Jules Jouy in Le Tintamarre (février)

La mort de Daumier

La mort – inévitable écueil
Où vient se briser toute barque
– Sous l’œil farouche de la Parque
Vient d’engloutir un grand cercueil.

Notre caricature en deuil
Pleure son homme de Plutarque.
Dans l’ombre, Basile-Aristarque
Dissimule un joyeux clin d’oeil.

Salut à ton char funéraire,
Maître ! toi que l’on porte en terre
Sans le goupîllon des bedeaux !

Tambours noirs, grondez une charge
Au soldat tombé sur le dos,
A Daumier, Kléber de la charge !

Q15 – T14 – octo

Brr ! qu’il fait froid ! chère frileuse, — 1879 (23)

Alfred Aubert Caprices et boutades

Sonnet d’hiver

Brr ! qu’il fait froid ! chère frileuse,
Pose tes pieds sur le chenêts,
Tes pieds mignons que je connais
Etends-toi bien sur la causeuse .

Que les coussins ploient sous ton corps
Afin que d’une main fiévreuse
Je parcoure, ô mon amoureuse
L’écrin de tes tièdes trésors.

Depuis un mois pour toi, Ninette,
Ainsi qu’un pauvre anachorète
Je tiens bon devant Brididi*.

Le cœur si vite est refroidi !
Ravivons la chaude amourette
Depuis minuit jusqu’à midi.

Q52  T10 – octo

*Danseur professionnel

Les riens sont souvent bien des choses ! — 1879 (20)

L’Hydropathe

–       Georges Lorin

La cigarette

Les riens sont souvent bien des choses !
Et rien ne vaut ces riens de rien.
Cigarette, tu le vois bien,
Tu m’es plus chère que les roses.

Offerte, à titre de maintien
Par la saisisseuse de poses,
(L’effet est plus grand que les causes)
Désormais te voilà mon bien.

Je parle, je tourne, et t’oublie,
Je sors, dans un papier te plie,
Avec l’espoir de revenir.

En vain, tu veux être allumée,
Et t’évanouir en fumée,
De toi, je fais un souvenir.

Q15  T15  octo

L’aérostat est une bulle — 1879 (16)

Félicien Champsaur in L’Hydropathe

Voyage dans les airs

L’aérostat est une bulle
Et, lent, monte vers le soleil.
La brise d’avril, en éveil,
Au-dessous, dans la nue, ondule.

Il va, le ballon minuscule,
Monte dans le matin vermeil,
Rose, bleu, violet, pareil
A l’aile d’une libellule.

Le filet est tracé de fils
De la vierge, ténus, subtils.
Une étoile encore étincelle.

Il va, soutenant avec art
Un myosotis pour nacelle,
Et puis, dedans, Sarah Bernhardt.

Q15  T14 – banv –  octo Allusion au voyage en ballon de l’actrice, dont le récit avait été publié à l’occasion nouvel an par l’éditeur de Flaubert, Charpentier, à la place d’un des Trois Contes (St Julien l’hospitalier) initialement prévu. Flaubert s’en plaint dans une lettre à Tourgueniev.

Des bavards je suis revenu; — 1879 (10)

– (Philibert Le Duc, ed) Sonnets curieux et Sonnets célèbres.

Profession de foi

Des bavards je suis revenu;
C’est pourquoi de ma république
Je bannis tout poëte épique.
Pour Voltaire, c’est convenu;

Et lui-même, le grand classique,
Homère m’a toujours déplu,
J’en fais l’aveu très ingénu,
Par sa longueur kilométrique.

Parlez-moi de quatorze vers,
Fussent-ils forgés de travers;
Etre sobre est ma loi suprême;

Et m’est avis que mon sonnet
Bien que clochant un tantinet,
Ennuira moins qu’un long poëme.

de Berluc-Perussis

Q16 – T15 – octo – s sur s

Eh bien, oui! j’aime un plat canaille — 1879 (3)

Albert GlatignyOeuvres

Sonnets spartiates, II

Eh bien, oui! j’aime un plat canaille
Bien mieux que ces combinaisons
Qu’un chef alambique et travaille
Ainsi qu’Enili ses poisons,

Sur le banc de bois où me raille
Le merle chantant aux buissons,
Le cabaret et sa muraille
Que charbonnent les polissons.

Là, je vois des vins populaires
Où Suresnes met ses colères
Et qui font le nez bourgeonné,

Et, pour irriter la fringale,
Cyniquement je me régale
D’un plat de hareng mariné.

Q8 – T15 – octo

C’est le premier de l’an, mignonne — 1878 (9)

? in Revue de la Société littéraire de l’Ain

Caprice de jeune fille

C’est le premier de l’an, mignonne
Je suis prêt à combler tes vœux.
A tes désirs je m’abandonne,
Quand je saurai ce que tu veux.

Que faudra-t-il que je te donne ?
Veux-tu quelques chiffons soyeux?
A des journaux vraiment joyeux
Préfères-tu que je t’abonne ?

Veux-tu des livres, mon trésor ?
J’en ai de tout chamarrés d’or
Choisis dans ma bibliothèque.

Veux-tu poser pour nos portraits ?
-Non, dit la fille; je voudrais
Voir guillotiner un évêque.

Q9  T15  octo

De vos traits mon âme est navrée —1877 (5)

Paul Poirson et Louis Gallet Cinq-Mars

(Le Berger – il chante le sonnet qu’il vient d’écrire)

De vos traits mon âme est navrée
Vous allez toujours m’enflammant
Et m’opposez incessamment
Des froideurs dignes de Borée.

Dois-je l’invoquer vainement
Cette heure, hélas! tant désirée
Ou de votre lèvre adorée
J’attendais quelque apaisement?

Nul ne peut rien pour ma blessure,
De cette peine que j’endure
A qui dirai-je A qui dirai-je le secret?

De vos yeux seuls vient ma souffrance,
De vos yeux seuls vient ma souffrance,
Seuls, ils ont assez de puissance
Pour guérir le mal qu’ils m’ont fait
Pour guérir le mal qu’ils m’ont fait

Le Berger offre alors à Aminte le sonnet; celle-ci le prend et le déchire avec dédain. – Désespoir du Berger.

Q15 – T15 – octo – Ce sonnet fait partie du livret de l’opéra de Gounod, Cinq-Mars. Le texte imprimé du livret rétablit la forme usuelle du sonnet; nous tenons compte ici de la partition (la transcription nous a été aimablement communiquée par mr Vincent Giroud)

J’ai fait chibis. J’avais la frousse — 1876 (6)

Jean Richepin La chanson des gueux

Autre sonnet bigorne – Argot moderne

J’ai fait chibis. J’avais la frousse
Des préfectanciers de Pantin.
A Pantin, mince de potin!
On y connaît ma gargarousse,

Ma fiole, mon pif qui retrousse,
Mes calots de mec au gratin.
Après mon dernier barbotin
J’ai flasqué du poivre à la rousse.

Elle ira de turne en garno,
De Ménilmuche à Montparno,
Sans pouvoir remoucher mon gniasse.

Je me camoufle en pélican –
J’ai du  pellard à la tignasse.
Vive la lampagne du cam!

Q15 – T14  – banv – octo

(trad. A ch)

AUTRE SONNET ARGOTIQUE – Argot moderne.

Je me suis évadé. J’avais peur
Des agents de police de Pantin.
A Pantin, attends un peu, le tapage !
On y connaît mon gosier,

Ma gueule, mon nez retroussé,
Mes yeux de souteneur au travail.
Après mon dernier vol,
J’ai fui la police.

Elle ira de logis en garni,
De Ménilmontant à Montparnasse,
Sans pouvoir me voir en face.

Je me camoufle en paysan –
J’ai du foin dans les cheveux.
Vive la campagne !

Je me suis aidé du glossaire annexé par l’auteur à l’édition illustrée et tardive que j’ai sous la main (Modern’Bibliothèque, s. d..) un seul mot manque : gratin (et cabri, et camoufle, qui sont du français non argotique) Dans le 2, je prend gratin dans le sens de travail (et non de beau monde). »

Luysard estampillait six plombes. — 1876 (5)

Jean Richepin La chanson des gueux

Sonnet bigorne – Argot classique

Luysard estampillait six plombes.
Mezigo roulait le trimard,
Et jusqu’au fond du coquemart
Le dardant riffaudait ses plombes.

Lubre, il bonissait aux palombes:
« Vous grubiez comme un guichemard, »
Puis au sabri: « Birbe camard,
Comme un ord champignon tu plombes ».

Alors aboula du sabri,
Moure au brisant comme un cabri,
Une fignole gosseline,

Et mezig parmi le grenu
Ayant rivanché la frâline,
Dit « Volants, vous goualez chenu ».

Q15 – T14 – banv –  octo

trad (par l’auteur)

Le soleil marquait six heures,
Je marchais sur la grand’route,
Et jusqu’au fond de la marmite
L’amour brûlait mes reins.

Triste, je disais aux pigeons:
 » Vous grognez comme un guichetier »
Puis aux bois: « vieux sans nez,
Comme un sale champignon tu pues »

Alors arriva dans le bois
Une gentille fillette.
Je couchai avec la compagnonne,

Et dis: « foin, dans mon lit
Tu parfumes ma chevelure de hère;
O pigeons, vous chantez très bien. »

trad. Alain Chevrier)
SONNET ARGOTIQUE – Argot classique

Le soleil marquait six heures,
Je marchais sur la grand’route,
Et jusqu’au fond du chaudron
L’amour me brûlait les reins.

Triste, je disais aux palombes,
« Vous grognez comme un guichetier »
Puis au bois : « Vieux camard,
Tu pues comme un champignon pourri. »

Alors s’en vint du bois
Minois au vent comme un cabri,
Une gentille gamine,

Et moi, parmi les blés,
Ayant couché avec la camarade,
Je dis : « Oiseaux, comme vous chantez bien ! »