Archives de catégorie : Mètre

J’ai vu le soleil dur contre les touffes — 1873 (23)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Duel aux camélias

J’ai vu le soleil dur contre les touffes
Ferrailler. – J’ai vu deux fers soleiller,
Deux fers qui faisaient des parades bouffes;
Des merles en noir regardaient briller.

Un monsieur en linge arrangeait sa manche;
Blanc, il me semblait un gros camélia;
Une autre fleur rose était sur la branche,
Rose comme … Et puis un fleuret plia.

– Je vois rouge… Ah oui! c’est juste: on s’égorge –
… Un camélia blanc – là – comme Sa gorge …
Un camélia jaune, – ici – tout mâché …

Amour mort, tombé de ma boutonnière.
– À moi, plaie ouverte et fleur printanière!
Camélia vivant, de sang panaché!
Veneris Dies 13 ***

Q59 – T15 – tara

Un chant dans une nuit sans air …. — 1873 (22)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Le crapaud

Un chant dans une nuit sans air ….
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.

… Un chant; comme un écho, tout vif.
Enterré, là, sous le massif…
– Ça se tait: Viens, c’est là, dans l’ombre…

– Un crapaud! – Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle!
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue … – Horreur! –

– Il chante. – Horreur!! – Horreur pourquoi?
Vois-tu pas son oeil de lumière…
Non: il s’en va, froid, sous sa pierre.
……………………………………………….

Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.

Ce soir, 20 juillet.

s.rev: eec ddc b’a’a’b’ baab – octo – 15v – La ligne de points en fait un sonnet renversé de quinze vers.

Bâtard de Créole et Breton, — 1873 (19)

Tristan Corbière Les Amours Jaunes

Paris

Bâtard de Créole et Breton,
Il vint aussi là – fourmillière,
Bazar où rien n’est en pierre,
Où le soleil manque de ton.

– Courage! On fait queue … Un planton
Vous pousse à la chaîne – derrière! –
… Incendie éteint, sans lumière;
Des seaux passent, vides ou non. –

Là, sa pauvre Muse pucelle
Fit le trottoir en demoiselle,
Ils disaient: Qu’est-ce qu’elle vend?

– Rien. – Elle restait là, stupide,
N’entendant pas sonner le vide
Et regardant passer le vent ….

Q15 – T15 – octo

J’ai pénétré bien des mystères — 1873 (18)

Charles Cros Le coffret de santal

Heures sereines

J’ai pénétré bien des mystères
Dont les humains sont ébahis:
Grimoires de tous les pays,
Etres et lois élémentaires.

Les mots morts, les nombres austères
Laissaient mes espoirs engourdis;
L’amour m’ouvrit ses paradis
Et l’étreinte de ses panthères.

Le pouvoir magique à mes mains
Se dérobe encore. Aux jasmins
Les chardons ont mêlé leurs haines.

Je n’en pleure pas; car le beau
Que je rêve, avant le tombeau,
M’aura fait des heures sereines.

Q15 – T15 – octo  – Les rimes des deux quatrains n’ont pas la même consonne d’appui.

J’ai bâti dans ma fantaisie — 1873 (16)

Charles Cros Le coffret de santal

Sonnet

J’ai bâti dans ma fantaisie
Un théâtre aux décors divers:
– Magiques palais, grand bois verts –
Pour y jouer ma poésie.

Un peu trop au hasard choisie,
La jeune première à l’envers
Récite quelquefois mes vers.
Faute de mieux je m’extasie.

Et je déclâme avec tant d’art
Qu’on me croirait pris à son fard,
Au fard que je lui mets moi-même.

Non. Sous le faux air virginal
Je vois l’être inepte et vénal,
Mais c’est le rôle seul que j’aime.

Q15 – T15 – octo

Beau corps, mais mauvais caractère. — 1873 (13)

Charles Cros–  Le coffret de santal

Croquis

Beau corps, mais mauvais caractère.
Elle ne veut jamais se taire,
Disant, d’ailleurs d’un ton charmant,
Des choses absurdes vraiment.

N’ayant presque rien de la terre,
Douce au tact comme une panthère.
Il est dur d’être son amant:
Mais qui ne s’en dit pas fou, ment.

Pour dire tout ce qu’on en pense
De bien et de mal, la science
Essaie et n’a pas réussi.

Et pourquoi faire? Elle se moque
De ce qu’on dit. Drôle d’époque
Où les anges sont faits ainsi.

Q1 – T15 – octo

Bibelots d’emplois incertains, — 1873 (12)

Charles Cros–  Le coffret de santal

Préface

Bibelots d’emplois incertains,
Fleurs mortes aux seins des almées,
Cheveux, dons de vierges charmées,
Crêpons arrachés aux catins,

Tableaux sombres et bleus lointains,
Pastels effacés, durs camées,
Fioles encore parfumées,
Bijoux, chiffons, hochets, pantins,

Quel encombrement dans ce coffre!
Je vends tout. Accepte mon offre,
Lecteur. Peut-être quelque émoi,

Pleurs ou rire, à ces vieilles choses
Te prendra. Tu paieras, et moi
J’achèterai de fraîches roses.

Q15 – T14 – octo

Tout s’en va, mes amis: la foi, l’antique foi, — 1873 (6)

Joseph Autran Sonnets capricieux

La vieille orthographe

Tout s’en va, mes amis: la foi, l’antique foi,
L’honnêteté première et la vieille droiture,
L’amour et le respect que l’on vouait au roi,
Le menuet, la valse et même l’écriture.

L’orthographe, jadis, valait une peinture:
Représenter aux yeux, telle en était la Loi.
Une lettre peignant l’objet d’après nature,
L’objet, ami lecteur, se dressait devant toi.

L’y dans le mot lys en doublait le prestige;
C’est la fleur elle-même et le bout de sa tige.
L’h dans le mot thrône était un vrai fauteuil.

Depuis qu’on écrit lis la fleur semble fanée;
Et le trône vacant ne dit plus rien à l’oeil,
Depuis que l’h est condamnée!

Q11 – T14 – 2m (v.14: octo ) Joseph Autran contribue à la ‘querelle de l’orthographe’, qui ne date pas d’hier.

(a.ch) Le sonnet La Vieille Orthographe pour l’exemple du lis évoque le long poème du même titre, de Méry :
« …Tandis que d’une tige et d’une fleur formé,
Le lys était pour nous un y embaumé. »

(C’est un avatar du cratylisme.)

Comme eux, faut-il entrer en lice — 1872 (41)

–                La Ligue des poètes

Comme eux, faut-il entrer en lice
Avec un sabre de carton ?
Pour moi ce serait un supplice,
Car j’ai de la barbe au menton.


Mais, s’il faut boire à ce calice,
Moi, vieux disciple de Caton,
Je veux, pour punir leur malice,
Armer mon bras d’un gros bâton.


Guerre aux ennemis de la LIGUE !
Sachons opposer une digue
Aux erreurs dont ils sont imbus,


Pour ne pas tomber dans leur trappe,
Amis, il est temps que l’on frappe
Sur l’ignorance et ses abus !

Le Vicomte C. de Roussillon

Q8  T15  bouts-rimés   octo