Archives de catégorie : 1-fem

sonnets à première rime féminine (Malherbe)

C’est une once de sable, en un cristal fragile, — 1833 (8)

Léon Buquet Miscellanées

Le sablier

C’est une once de sable, en un cristal fragile,
Et chaque instant du jour là-dedans est compté ;
Et le plus léger grain de ce sable argenté,
Emporte, dans sa chute, un peu de notre argile.

C’est l’horloge, du temps d’Homère et de Virgile,
Et leurs chants, qui des Dieux d’alors ont hérité,
Dans sa course pourtant ne l’ont pas arrêté
Le vieillard séculaire, au pied toujours agile.

Comme ce sable est fin ! dirait-on pas de l’eau ? …
Oh ! qui croirait à voir ce liquide nouveau,
Que, d’un cylindre à l’autre incessamment ruisselle,

Qu’il mesure la vie à tout être jeté
Dans ce monde fatal, et parcelle à parcelle,
Précipite en tombeau l’âme à l’éternité !

Q15  T14 = banv

Je compte maintenant mes jours, heure par heure, — 1833 (7)

Charles Brugnot Poésies

Sonnet

Je compte maintenant mes jours, heure par heure,
Comme un pâle blessé, sur la terre étendu,
Qui, parmi les flots noirs du sang qu’il a perdu,
Sent sa vie échapper, goutte à goutte, et la pleure ;

Ma jeunesse sans joie, avide du passé
Ne rêvant qu’avenir, que fruits d’or au rivage,
Et, le soir, abordant une grève sauvage,
Ainsi qu’un nageur nu dont le bras s’est lassé.

Rien hier, rien demain ! – Rien dans toute ma vie
Qu’un flot après un flot ; – Frêle barque suivie
D’un sillage léger, qu’une brise aplanit ;

Au moins si j’emportais aux rives éternelles,
Pauvre oiseau, regrettant mes forêts maternelles,
Une herbe, un brin de jonc pour me faire mon nid !

Q63  T15

Voici venir pour moi le déclin de l’Automne, — 1833 (6)

Philarète Chasles (trad. Shakespeare) Caractères et paysages

Le déclin de la vie

Voici venir pour moi le déclin de l’Automne,
Où la feuille jaunit, où l’on voit tous les jours
Le bois perdre un fragment de sa belle couronne:
Temple où le rossignol soupirait ses amours.
Temple en ruine, hélas! – Voici venir cette ombre
Qui couvre l’univers, quand le soleil s’enfuit;
Quand la terre et les cieux attendent la nuit sombre,
Image de la mort, cette éternelle nuit!
Sur le foyer éteint, les cendres de ma vie,
Je rêve tristement. J’aimai, je fus aimé;
Quelques instants encor, ma carrière est remplie:
Ce feu qui m’a nourri m’aura donc consumé!
Tes yeux voyent pâlir le flambeau de ma vie,
Et tu m’aimes toujours, mon ange! Ah! Sois bénie!

Q59 – T19 – sns – sh –

Ces traductions des sonnets 29 (When in disgrace with fortune and men’s eyes) et 73 (The time of year thou mayst in me behold) de Shakespeare sont les premières (et de longtemps les seules) à reproduire la disposition des rimes (abab  cdcd  efef  gg) et la non-séparation des strophes, caractéristiques de cette sous-espèce de la forme-sonnet.

D’un regard sans pitié les hommes me flétrissent; — 1833 (5)

Philarète Chasles (trad. Shakespeare) Caractères et paysages

La consolation
D’un regard sans pitié les hommes me flétrissent;
Seul, rebuté du monde et maudissant mon sort,
Mes inutiles cris dans les airs retentissent:
Le ciel est sourd: je pleure, et désire la mort.
D’autres ont des amis, d’autres ont la richesse;
Ils ont reçu du ciel, le repos, d’heureux jours,
Les honneurs, la beauté, la gloire, la sagesse;
Inestimables biens qui me fuiront toujours.
Dans ces pensers amers, quand tout mon coeur se noie,
Je pense à toi! – Mon âme heureuse en son réveil,
S’élance et fait jaillir l’hymne ardent de sa joie,
Comme part l’alouette au lever du soleil.
Doux souvenir! amour! mon bonheur! ma couronne!
Tu suffis à ma vie, et tu vaux mieux qu’un trône.

ababcdcdefefgg – sns – sh – La formule de rimes est celle des sonnets de shakespeare

Du temps de notre enfance étourdie et légère, — 1833 (4)

Marie Nodier-Mannessier in Soirées littéraires de Paris

A mademoiselle ***

Du temps de notre enfance étourdie et légère,
Souvent, oh! bien souvent, j’aime à m’entretenir,
Et le front dans mes mains, rêveuse, à retenir
Tout ce qui m’est resté de ma douce chimère.

Que j’aime à retrouver, timide et passagère,
Ton image d’enfant dans le doux souvenir
De mon bonheur d’alors que rien n’a pu ternir,
Et que jamais ne voile une pensée amère.

Bien des jours ont passé sur ces premiers beaux jours;
Pour nous rien n’est changé, nous nous aimons toujours,
Et mon coeur dans le tien comme autrefois sait lire,

Et comprendre l’esprit qui se joue en tes yeux,
En tes yeux transparents, sur ton front gracieux,
Et dans ta voix si pure, et dans ton frais sourire.

Q15 – T15

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère: — 1833 (1)

Félix ArversMes heures perdues

Sonnet imité de l’italien

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère:
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.

Hélas! j’aurai passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, & pourtant solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite, sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas;

A l’austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle:
« Quelle est donc cette femme? » et ne comprendra pas.

Q10 – T15 – arv

Le fameux ‘sonnet d’Arvers’ commence ici sa carrière. Il a bien failli passer inaperçu, le pauvre. Personne ne le remarque à l’époque. Une bonne vingtaine d’années ont été nécessaires pour qu’il s’impose comme un des sonnets (et même poèmes) les plus souvent cités du dix-neuvième siècle (du vingtième finissant même: une recherche sur le net débusque d’innombrables références en un grand nombre de langues; la plupart n’étant dues, à vrai dire, qu’au fait de sa mise en chanson par Serge Gainsbourg).

Louis AigoinNotice sur Félix Arvers et variations sur les rimes de son sonnet, (1897), cite Banville (1878): ‘ce petit poème exquis, achevé, que citent toutes les Anthologies, qui est dans toutes les mémoires, qui pour vivre n’avait pas besoin de l’imprimerie, et qui a été appelé excellement, par un usage qui a prévalu: le Sonnet d’Arvers. « . Il évoque ensuite la question posée à l’époque de la redécouverte du sonnet. « On s’est demandé s’il était vraiment ‘imité de l’italien’ « . On n’a pas trouvé le modèle italien prétendu. Alors?  » Arvers a voulu, dans le milieu où était né le sonnet, dissimuler sa passion, écarter les soupçons, et éviter de compromettre une jeune femme récemment mariée. C’était mettre le comble à une délicatesse de sentiment dont le sonnet lui-même est la preuve irrécusable.  » Une seconde question se pose:  » .. le point de savoir si le sonnet d’Arvers est l’expression d’un amour réellement ressenti. Mais le doute est-il possible? En le lisant n’entend-on pas s’exhaler la plainte de l’amant méconnu? N’entend-on pas un cri de douleur sortir de son coeur déchiré? Et c’est à ces accents si vrais qu’est dû tout le succès du petit poème ».

Il ne reste plus qu’à découvrir la femme.  » Les chercheurs ont prononcé deux noms: madame Victor Hugo, et Mademoiselle Marie Nodier; devenue madame Mennessier (auteur du sonnet 4 ci-dessous)… On est allé jusqu’à prétendre que le sonnet, signé d’Arvers, était sorti de la plume de Sainte-Beuve, le grand critique follement épris de la femme du grand poète. Nous pouvons affirmer qu’il s’agit de l’autre  » . (Monsieur Aigoin aurait eu des témoins).

« Oh ! me changent les Dieux en odorante rose ! » — 1832 (8)

Polydore Bounin Poésies et poèmes

SONNET
Change me, some God, into that breathing Rose !
Wordsworth

« Oh ! me changent les Dieux en odorante rose ! »
Soupire en son caprice un fol adolescent,
Et son œil porte envie au bouton languissant
Qui sur le sein d’Emma suavement repose ;

Ou bien il est jaloux d’un jeune oiseau qui glose
En sa cage auprès d’elle ; ou bien, gazon naissant,
Il aimerait céder à son pied caressant :
Mais celui-là veut trop qui veut pareille chose.

Il en est dont le cœur est calme en ses désirs,
Et qui sauraient borner ici-bas leurs plaisirs
A vivre, simple fleur au vallon négligée,

Herbe éclose à l’abri d’un épineux buisson,
Ou libre roitelet mariant sa chanson
Au doux gazouillement d’une source ombragée.

Q15  T15

D’Hébé, jeune et vive, la fraicheur éclatante — 1832 (7)

– Jeannet Desjardins Mes souvenirs d’Angleterre

XIV – Hébé

D’Hébé, jeune et vive, la fraicheur éclatante
Eclipse les roses mêlées à ses cheveux ;
L’émail éblouissant de sa robe flottante
Est moins resplendissant que l’éclat de ses yeux.
Un jour en versant dans la coupe fumante
Le nectar qu’à longs traits savourent tous les dieux,
Elle glisse, chancelle, et tombe dans les cieux.
Combien les déesses, jalouses de ses charmes,
Goûtèrent de plaisirs à la vue de ses larmes !
La seule qui fut triste est mère de l’amour !
L’immortelle assemblée la bannit sans retour,
Donnant à Ganymède aussitôt son office,
Et son petit faux pas causa ce grand supplice.

Métrique très irrégulière. 13v !

Poëte ingénieux, ta muse, au vol agile, — 1832 (1)

J-B. Claray de Crest-VollandSonnet … à M. C.L. Mollevault

Poëte ingénieux, ta muse, au vol agile,
De la double colline a franchi les hauteurs.
Anacréon, Properce, et Tibulle, et Virgile
Revivent dans tes vers, applaudis des lecteurs.

Tu ne cueillis jamais une palme fragile;
Le mérite t’appelle au trône des auteurs;
Tant que vivra le goût sur ce globe d’argile,
Nos neveux rediront tes accords enchanteurs.

C’est à toi d’emboucher la trompette héroïque,
De chanter un grand roi, philosophe stoïque,
Qui fit régner Minerve où régnait le Dieu Mars.

Dans un hameau charmant, moderne Lucrétile,
Où tu sais marier l’agréable à l’utile,
Tu consacres ta vie au culte des beaux-arts.

Q8 – T15 – y=x : e=a

A toi, qui descendis, jeune encor, dans l’arène ; — 1831 (4)

Charles Lassailly in L’Almanach de Muses

Hommage

A toi, qui descendis, jeune encor, dans l’arène ;
Méprisant le vulgaire aveugle et ses bravos,
Loin de l’ornière antique où la foule se traîne,
D’une gloire précoce étonnes tes rivaux ;

A toi que, tout enfant, une belle marraine
Initiait en songe à des secrets nouveaux ;
A toi, dont le génie est un cheval sans rêne,
Car une voix t’a dit : Je sais ce que tu vaux !

A toi, qui juge seul le conquérant avide
Dont la chute ébranla son siècle encore vide.
A toi qui pouvais prendre un glaive au lieu d’un luth ;

Puis à toi, qui chantas tes chants comme un prophète,
Avec son dieu qui parle, à toi, le grand poète ;
A toi qui seras roi, Victor Hugo, Salut !

Q8  T15