Archives de catégorie : 1-fem

sonnets à première rime féminine (Malherbe)

Si des siècles mon nom perce la nuit obscure, — 1831 (3)

Alfred de Vigny (d’après l’éd. Pléiade)

Si des siècles mon nom perce la nuit obscure,
Ce livre, écrit pour vous, sous votre nom vivra.
Ce que le temps présent déjà tout bas murmure,
Quelqu’un dans l’avenir, tout haut le redira.

D’autres yeux ont versé des pleurs, une autre bouche
Dit des mots que j’avais sur vos lèvres rangés,
Et qui vers l’avenir (cette perte nous touche)
Iront de voix en voix moins purs et tout changés.

Mais qu’importe! – après nous ce sera peu de chose;
La source en jaillissant est belle, et puis arrose
Un désert, de grands bois, un étang, des roseaux.

Ainsi jusqu’à la mer où va mourir sa course.
Ici destin pareil. Mais toujours à la source,
Votre nom bien gravé se lira sous les eaux.

Q59 – T15

Dédicace manuscrite d’un exemplaire de sa pièce La Maréchale d’Ancre à Marie Dorval

Sur le ciel bleu du soir où l’étoile étincelle — 1831 (2)

Théodore Carlier – in Annales Romantiques

A une jeune fille

Sur le ciel bleu du soir où l’étoile étincelle
Jamais le pâle éclair ne traîne de lueur;
Jamais, ô belle enfant, la rêveuse douleur
Sur un front de quinze ans n’ose poser son aile.

Et pourtant sérieuse, à vos yeux infidèle,
Fuyant, comme un témoin, cette bruyante soeur
Dont le rire enfantin poursuit votre rougeur,
Vous allez aussi douce, aussi naïve qu’elle,

Retrouver votre mère et lui dire en pleurant,
Que l’on souffre beaucoup alors qu’on a quinze ans.
Oui, certes, vous souffrez, car votre regard brille;

Oui, certes, vous souffrez, car votre sein de lis
Palpitant sous la robe en enfle tous les plis;
Oui, vous souffrez … qui donc aimez-vous, jeune fille?

Q15 – T15

Les passions, la guerre ; une ame en frénésie, — 1830 (15)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet
imité de Wordsworth

Les passions, la guerre ; une ame en frénésie,
Qu’un éclatant forfait renverse du devoir ;
Du sang ; des rois bannis, misérables à voir ;
Ce n’est pas là-dedans qu’est toute poésie.

De soins plus doux la Muse est quelquefois saisie ;
Elle aime aussi la paix, les champs, l’air frais du soir,
Un penser calme et fort, mêlé de nonchaloir ;
Le lait pur des pasteurs lui devient ambroisie.

Assise au bord de l’eau qui réfléchit les cieux,
Elle aime la tristesse et ses élans pieux ;
Elle aime les parfums d’une ame qui s’exhale,

La marguerite éclose, et le sentier fuyant,
Et, quand Novembre étend sa brume matinale,
Une fumée au loin qui monte en tournoyant.

Q15  T14 – banv

En ces heures souvent que le plaisir abrège, — 1830 (14)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

En ces heures souvent que le plaisir abrège,
Causant d’un livre à lire et des romans nouveaux,
Ou me parlant déjà de mes prochains travaux,
Suspendue à mon cou, tu me dis : Comprendrai-je ?

Et, ta main se jouant à mon front qu’elle allège,
Tu vantes longuement nos sublimes cerveaux,
Et tu feins d’ignorer … Sais-tu ce que tu vaux,
Belle Ignorante, au blonds cheveux, au cou de neige ?

Qu’est toute la science auprès d’un sein pâmé,
Et d’une bouche en proie au baiser enflammé,
Et d’une voix qui pleure et chante à l’agonie ?

Ton frais regard console en un jour nébuleux ;
On lit son avenir au fond de tes yeux bleus,
Et ton sourire en sait plus long que le génie.

Q15  T15

Chacun en sa beauté vante ce qui le touche ; — 1830 (13)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

Chacun en sa beauté vante ce qui le touche ;
L’amant voit les attraits où n’en voit point l’époux ;
Mais que d’autres, narguant les sarcasmes jaloux,
Vantent un poil follet au-dessus d’une bouche ;

D’autres, sur des seins blancs un point comme une mouche ;
D’autres, des cils bien noirs à des yeux bleus bien doux,
Ou sur un cou de lait des cheveux d’un blond roux ;
Moi, j’aime en deux beaux yeux un sourire un peu louche :

C’est un rayon mouillé ; c’est un  soleil dans l’eau,
Qui nage au gré du vent dont frémit le bouleau ;
C’est un reflet de lune au rebord d’un nuage ;

C’est un pilote en mer, par un ciel obscuruci,
Qui s’égare, se trouble, et demande merci,
Et voudrait quelques Dieu, protecteur du voyage.

Q15  T15

Sur un front de quinze ans les cheveux blonds d’Aline, — 1830 (12)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

Sur un front de quinze ans les cheveux blonds d’Aline,
Débordant le bandeau qui le voile à nos yeux,
Baignent des deux côtés des sourcils gracieux :
Tel un double ruisseau descend d’une colline.

Et sa main, soutenant ce beau front qui s’incline,
Aime à jouer autour, et dans les flots soyeux
A noyer un doigt blanc, et l’ongle curieux
Rase en glissant les bords où leur cour se dessine.

Mais, au sommet du front, où le flot séparé
Découle en deux ruisseaux et montre un lit nacré,
Là, je crois voir Amour voltiger sur la rive ;

Nager la Volupté sur deux vagues d’azur ;
Ou sur un vert gazon, sur un sable d’or pur,
La Rêverie assise, aux yeux bleus et pensive.

Q15  T15

Adieu ! je pars, Madame, et pour toujours peut-être ! — 1830 (9)

Antoine Fontaney d’après René Jasinski : Une amitié amoureuse, Marie Nodier et Fontaney (1925)

A madame Marie Manessier

Adieu ! je pars, Madame, et pour toujours peut-être !
Il faut boire à longs traits dans le calice amer ;
Bien que le temps soit gros, il faut tenir la mer ;
L’oiseau doit s’exiler du ciel qui le vit naître.

Où sont les jours plus purs dont je me suis cru maître ?
Ces hautes amitiés dont mon cœur était fier ?
Les consolations dont je rêvais hier ?
Tout s’engloutit et meurt, et n’a fait qu’apparaître.

Insensé qui voulait enchaîner l’avenir !
Je livre à son courant ma vie aventureuse :
Vous aimez, on vous aime, et je vous laisse heureuse.

Ah ! gardez quelque temps un vague souvenir
De celui qui plongeant dans les flots de votre âme
Y vit tant de trésors. – Adieu, je pars, Madame.

Q15  T30

Fontaney n’a pas oublié son Misanthrope et en place un hémistiche au début et à la fin de son sonnet (procédé qu’il emploie dans les autres sonnets de lui ici choisis. Il ne me semble pas qu’il ait eu des imitateurs)

Ami, l’art nous échappe et pour bien des années, — 1830 (8)

Antoine Fontaney in Vincent Laisné, L’Arsenal romantique

A mon ami Charles Nodier

Ami, l’art nous échappe et pour bien des années,
Comme un timide enfant, aux bruits de liberté,
Au fracas du canon il fuit épouvanté,
Sur son aile emportant nos jeunes destinées.

Nos fleurs de poésie au matin sont fanées.
Nos fruits ne viendront pas à leur maturité,
Mais que t’importe, à toi, qui jouis de l’été ?
Tes couronnes, déjà, tu les as moissonnées.

Amarre donc ta nef. Le lac est traversé.
Ton génie a rendu sa muse familière ;
Près du fouer, lutine encor la batelière.

Avec ses blonds cheveux ton laurier est tressé ;
Car à toi la science et les grâces attiques,
A toi les frais parfums dans les vases antiques.

Q15  T30

Autrefois j’admirais, dans mes veilles, le Dante, — 1830 (4)

André Van Hasselt in Almanach des Muses

Amour & Poésie – sonnet

Autrefois j’admirais, dans mes veilles, le Dante,
Comme Orphée à son luth, enchaînant les enfers.
Shakespeare agrandissant la scène indépendante,
Et Tasse l’immortel qui languit dans les fers.

Schiller que dévora son âme trop ardente,
Homère avec sa tête où se meut l’univers;
Byron livrant sa nef à la vague grondante,
Et Virgile versant l’ambroisie en ses vers.

Et j’appelle aujourd’hui, pour faire mes délices,
Deux grands yeux, fleurs d’azur, qui penchent leurs calices
D’où tombe la rosée en gouttes le matin;

Un sein blanc qui palpite, une bouche mourante
Qui, coupant de baisers quelque phrase expirante,
Brûle mon âme avec ses lèvres de satin.

Q8 – T15

Avec ce siècle infâme il est temps que l’on rompe; — 1830 (3)

Théophile GautierPoésies

Sonnet VII

Avec ce siècle infâme il est temps que l’on rompe;
Car à son front damné le doigt fatal a mis
Comme aux portes d’enfer: Plus d’espérance!  – Amis,
Ennemis, peuples, rois, tout nous joue et nous trompe.

Un budget éléphant boit notre or par sa trompe;
Dans leurs trônes d’hier encor mal affermis,
De leurs aînés déchus ils gardent tout, hormis
La main prompte à s’ouvrir et la royale pompe.

Cependant en juillet, sous le ciel indigo,
Sur les pavés mouvants, ils ont fait des promesses
Autant que Charles X avait ouï de messes!

Seule la poésie incarnée en Hugo
Ne nous a pas déçus, et de palmes divines,
Vers l’avenir tournée, ombrage nos ruines.

Q15 – T30

Théophile Gautier vient aussi au sonnet très tôt, mais après Musset, et se singularise par de la rime: – ompe, qui introduit chez lui le thème de l’éléphant qui se voit aussi, beaucoup plus loin, dans un registre coquin (  ); et – go, ‘indigo’ introduisant Hugo. Il affectionne par la suite les sonnets à couplet final, comme ici.