Archives de catégorie : 1-fem

sonnets à première rime féminine (Malherbe)

Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse, — 1854 (6)

Gérard de Nerval Les Chimères

Myrtho

Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse,
Au Pausilippe altier, de mille feux brillant,
A ton front inondé des clartés d’Orient,
Aux raisins noirs mêlés avec l’or de ta tresse.

C’est dans ta coupe aussi que j’avais bu l’ivresse,
Et dans l’éclair furtif de ton oeil souriant,
Quand aux pieds d’Iacchus on me voyait priant,
Car la Muse m’a fait l’un des fils de la Grèce.

Je sais pourquoi là-bas le volcan s’est rouvert …
C’est qu’hier tu l’avais touché d’un pied agile,
Et de cendres soudain l’horizon s’est couvert.

Depuis qu’un duc normand brisa tes dieux d’argile,
Toujours, sous les rameaux du laurier de Virgile,
Le pâle hortensia s’unit au Myrte vert!

Q15 – T21

Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille — 1854 (4)

Baudelaire in Lettre non signée à madame Sabatier


L’aube spirituelle

Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille
Entre en société de l’Idéal rongeur,
Par l’opération d’un mystère vengeur
Dans la brute assoupie un ange se réveille.

Des Cieux Spirituels l’inaccessible azur,
Pour l’homme terrassé qui rêve encore et souffre,
S’ouvre et s’enfonce avec l’attirance du gouffre.
Ainsi, chère Déesse, Etre lucide et pur,

Sur les débris fumeux des stupides orgies
Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,
A mes yeux agrandis voltige incessamment.

Le soleil a noirci la flamme des bougies;
Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,
Ame resplendissante, à l’immortel soleil!

Q63 – T30

Ils marchent devant moi, ces yeux pleins de lumières, — 1854 (3)

Baudelaire in Lettre non signée à madame Sabatier

Le flambeau vivant

Ils marchent devant moi, ces yeux pleins de lumières,
Qu’un Ange très-savant a sans doute aimantés;
Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères,
Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.

Me sauvant de tout piège et de tout péché grave,
Ils conduisent mes pas sans la route du Beau;
Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave;
Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.

Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique
Qu’ont les cierges brûlant en plein jour, le soleil
Rougit, mais n’éteint pas leur flamme fantastique;

Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil;
Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,
Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme.

Q59 – T23 Sonnet envoyé à Mme Sabatier avec ses seuls mots: « After a night of pleasure and desolation, all my soul belongs to you »

O soleil, vieux soleil, voyageur solitaire, — 1853 (2)

Evariste Boulay-PatySonnets

Au Soleil

O soleil, vieux soleil, voyageur solitaire,
Qu’en poudroyant la nue entoure avec mystère,
Du haut du firmament que vois-tu sur la terre?
Que vois-tu, dis-le moi, Soleil, pourquoi te taire?

– Homme je vois d’ici Tyr, Ninive, Sidon,
Babylone, pour qui le temps fut sans pardon,
Squelettes de cités, grand os dans l’abandon,
Que rougit le désert, que verdit le chardon.

Homme, je n’aperçois que races écoulées
Ou peuples vieillissants, que villes écroulées
Ou murailles déjà sur leur base ébranlée.

Je ne vois, sur le sol de ton vaste univers,
Que morts d’hier, ou bien mourants promis au vers,
Que des tombeaux fermés ou des tombeaux ouverts.

A4B4C3D3

Blanche beauté, douce merveille, — 1853 (1)

Evariste Boulay-PatySonnets

A une jeune fille

Blanche beauté, douce merveille,
Chaste enfant, légère et vermeille,
Je suis saisi d’un tremblement
Rien qu’à t’effleurer seulement;

O jeune fille sans pareille,
Bouton de rose, svelte abeille,
Non, non, je n’ose pas vraiment
T’entourer la taille un moment;

Je sens une frayeur étrange,
J’ai peur que tu ne sois un ange,
Et que tout à coup, à mes yeux,

Entre tes épaules si belles
Tu n’ouvres d’invisibles ailes,
Et ne retournes dans les cieux.

Q1 – T15 – octo

Il est une contrée où la France est bacchante, — 1852 (4)

Alfred de Vigny ed. Pléiade


À ÉVARISTE BOULAY-PATY

Il est une contrée où la France est bacchante,
Où la liqueur de feu mûrit au grand soleil,
Où des volcans éteints frémit la cendre ardente,
Où l’esprit des vins purs aux laves est pareil.

Là près d’un chêne, assis sous la vigne pendante,
Des livres préférés j’assemble le conseil ;
Là, l’octave du Tasse et le tercet de Dante
Me chantent l’Angélus à l’heure du réveil.

De ces deux chants naquit le sonnet séculaire.
J’y pensais, comparant nos Français au Toscan.
Vos sonnets sont venus parler au solitaire.

Je les aime et les roule, ainsi qu’un talisman
Qu’on tourne dans ses doigts, comme le doux rosaire,
Le chapelet sans fin du santon musulman.

Q8  T20 s sur s

Pendant les guerres de l’Empire, — 1852 (1)

Théophile GautierEmaux et camées

Préface

Pendant les guerres de l’Empire,
Goethe, au bruit du canon brutal,
Fit le Divan occidental ,
Fraîche oasis où l’art respire.

Pour Nisami quittant Shakespeare,
Il se parfuma de çantal,
Et sur un mètre oriental
Nota le chant qu’Hudud soupire.

Comme Goethe sur son divan
A Weimar s’isolait des choses
Et d’Hafiz effeuillait les roses,

Sans prendre garde à l’ouragan
Qui fouettait mes vitres fermées,
Moi, j’ai fait Emaux et Camées.

Q15 – T30 – octo

Lorsque, dans son trajet, vers minuit ramenée — 1851 (9)

Charles-Simon-Frédéric Devert Poésies


La dernière heure de l’année, sonnet

Lorsque, dans son trajet, vers minuit ramenée
L’aiguille, sur l’émail achèvera son tour,
Quand sonnera cette heure où finit chaque jour,
Avec son dernier bruit expirera l’année.

Pour toi, fille du temps, par ton père entrainée,
Le terme est arrivé d’un règne, hélas! bien court ! …
Dans l’abîme éternel tu tombes sans retour ;
Une nouvelle sœur succède à son ainée.

Si le passé n’obtient qu’un faible souvenir,
Notre espérance avide accueille l’avenir ;
Trop lent à notre gré chaque soleil se lève …

Et chacun d’eux, témoin de nos vœux insensés,
Les verra, dans son cours, déçus et dispersés,
De même qu’au réveil s’évanouit un rêve ! …

Q15  T15

O toi qui fus si jeune enlevée à la terre, — 1851 (8)

Albert Richard d’Orbe Poésies

Sonnet traduit du portugais de Camoens

O toi qui fus si jeune enlevée à la terre,
Qu’un bonheur éternel t’enivre dans les cieux !
Qu’à ce prix, s’il le faut, je porte solitaire
Longtemps encor le poids de mes jours malheureux !

Mais parmi les élus, au séjour de lumière,
S’il reste un souvenir de ces funèbres lieux,
Rappelle-toi l’amour, l’amour pur et sincère
Dont naguère tu vis étinceler mes yeux.

Et si ce coup fatal, si la noire tristesse,
Le désespoir sans borne où ton trépas me laisse,
Paraissent mériter de toi quelque retour,

Au Dieu qui dans sa fleur trancha ton existence
Demande que je meure et vienne en ta présence,
Beauté qu’il a si tôt ravie à mon amour !

Q8  T15  tr

Gloire à vous, Térésa, vous dont la main légère — 1851 (7)

Félix Dortée Poésies

Sonnet à Mademoiselle Teresa Milanollo

Gloire à vous, Térésa, vous dont la main légère
Produit des sons si purs et si mélodieux,
Car vous êtes un ange envoyé sur la terre,
Pour nous donner sans doute un avant-goût des cieux !

Oui, d’admiration tressaillant tout entière,
Si vous n’eussiez caché vos ailes à ses yeux,
La foule aurait courbé son front vers la poussière,
Dans un ravissement long et silencieux.

Poursuivez en tous lieux votre mission sainte ;
Prodiguez ces accords dont l’ineffable empreinte
D’un être surhumain est le révélateur.

Pourquoi même nier sa nature angélique,
Un archer sous vos doigts est un sceptre magique
Qui vous assujettit et l’oreille et le cœur.

Q8  T15

Teresa, l’aînée des filles Milanollo, est née à Savigliano, le 28 août 1827. Elle aurait été touchée par la grâce, alors qu’elle assistait à la messe où se produisit un violoniste. A son père qui lui demanda si elle avait bien prié Dieu, elle répondit : « Non Père, j’ai seulement écouté le violon ». Elle étudie l’instrument dès l’âge de quatre ans, se produit avec éclat en concert et vient s’installer à Paris, avec ses parents, en 1835. Elève de Lafont et Habeneck, Teresa entame une carrière de concertiste à quatorze ans. Ses débuts, à la société des concerts du Conservatoire de Paris, le 18 avril 1841, enthousiasment Berlioz : « A la dernière mesure, une acclamation, un cri, un hourra de toute la salle renvoyé en écho par les musiciens de l’orchestre ont salué la sortie de mademoiselle Milanollo qui, sans être autrement émue que s’il se fût agi de quelques compliments à elle adressés dans un salon, s’en est allée souriante embrasser sa mère qui comprenait mieux que quiconque l’importance d’un pareil succès, en pareil lieu, devant un aussi terrible aréopage ». La jeune prodige abandonne les tournées après son mariage. Elle meurt à Paris le 25 octobre 1904. Est enterrée au Père-Lachaise