Archives de catégorie : 1-fem

sonnets à première rime féminine (Malherbe)

Ce livre est toute ma jeunesse; — 1840 (6)

Alfred de Musset Poésies complêtes


Au lecteur

Ce livre est toute ma jeunesse;
Je l’ai fait sans presque y songer.
Il y paraît, je le confesse,
Et j’aurais pu le corriger.

Mais quand l’homme change sans cesse,
Au passé pourquoi rien changer?
Va-t-en pauvre oiseau passager;
Que Dieu te mène à ton adresse!

Qui que tu sois, qui me liras,
Lis-en le plus que tu pourras,
Et ne me condamne qu’en somme.

Mes premiers vers sont d’un enfant,
Les seconds d’un adolescent,
Les derniers à peine d’un homme.

Q9 – T15 – octo

Rien n’est grand qu’avec Dieu; sa pensée est l’essence — 1840 (5)

Auguste Barbier Rimes Héroïques


Christophe Colomb

Rien n’est grand qu’avec Dieu; sa pensée est l’essence
Des nobles actions, des sublimes exploits;
Il élargit la tête, et donne la puissance
Aux plus frêles humains qui marchent à sa voix:
Heureux l’homme qui fonde en lui son espérance,
Et qui pour lui s’embarque en une tâche  immense!

C’est Dieu qui t’inspira, magnanime Génois,
Quand ton esprit rêvait une nouvelle terre.
C’est lui qui ranima ton courage aux abois
Dans l’ouragan sans fin de la rude misère;
C’est lui qui chez les rois d’un orgueil saint et beau,
T’arma contre la vie et son lâche troupeau.

En vain autour de toi l’Océan en colère
Roula sa verte écume et ses montagnes d’eau,
Dieu te fit sans terreur traverser l’onde amère,
Et rencontrer le monde enfant de ton cerveau.

babaa bcbcdd cdcd – disp: 6+6+4 – 16v

Auguste Barbier fait preuve d’audace en ajoutant deux vers plats au premier quatrain (faisant écho aux premiers vers habituels des tercets). Les critiques l’ont incité à ramener le poème à plus de sagesse ; ce qu’il fit dans une édition ultérieure.

Amis, à nous la lyre à défaut de l’épée! — 1840 (1)

– comte Ferdinand de GramontSonnets

Ferdinand de Gramont est félicité par Gautier pour avoir choisi (abondamment, en presque 200 exemples) « cette forme si artistement construite, d’un rythme si justement balancé et d’une pureté qui n’admet aucune tache »

Proemium

Amis, à nous la lyre à défaut de l’épée!
Les gaulois sont vainqueurs; de la race des Francs
Nos pères auront clos la royale épopée;
Leurs noms de leurs destins cessent d’être garants.

Puisqu’échappe l’empire à notre main trompée,
Retournons vers les Dieux, laissons, indifférents,
Peser aux révoltés leur puissance usurpée;
Notre gloire à jamais nous chasse de leurs rangs;

Partons donc! et tandis qu’acharnés à la terre
Ils fouilleront ses flancs pour y fonder leur ère,
Le ciel abritera nos malheurs expiés.

Et nous vous atteindrons, couronnes immortelles!
Et nous humilierons, sous l’ombre de nos ailes,
Ces trônes autrefois l’escabeau de nos pieds!

Q8 – T15

A l’heure où Jésus-Christ, au sommet du Calvaire, — 1839 (16)

Antoni Deschamps Résignation

Sonnet imité de Gianni

A l’heure où Jésus-Christ, au sommet du Calvaire,
Poussa le grand soupir et mourut sur la terre,
Dans l’autre monde Adam fut ému de pitié ;
Dans sa couche de fer se levant à moitié,
Tout pâle il se pencha sur Eve, notre mère,
Puis, en la regardant d’un œil triste et sévère :
« Femme, s’écria-t-il d’une funèbre voix
C’est pour vous que ce juste expire sur la Croix ! »

aabbaabb 8v  tr (une sérieuse condensation de l’original !)

Ma Laure au doux regard, ô ma sœur bien-aimée, — 1839 (14)

Louis de Ronchaud Premiers chants

A Laure

Ma Laure au doux regard, ô ma sœur bien-aimée,
Douce fleur qui fleuris sous des abris secrets,
Gente fleur, au matin, de grâce parfumée,
Ta jeunesse est encor l’image de la paix.

Ta jeunesse innocente est encor sans regrets,
Ton âme est une source aux feux du jour fermée,
Qui s’épand doucement sur l’herbe ranimée,
Et de ta mère seule a reflété les traits.

Un jour viendra, ma sœur, que l’époux de ton âme,
Celui qui t’apprendra les pensers d’une femme,
De fleurs, pour t’accueillir, couronnera son seuil.

Alors un toit nouveau d’une nouvelle hôtesse,
Se verra réjoui, tandis que la tristesse,
Viendra prendre sa place à nos foyers en deuil.

Q10  T15

Il est de par le monde une vierge immortelle, — 1839 (13)

Charles Woinez Hier et demain


La poésie

Il est de par le monde une vierge immortelle,
Qui va semant partout le baume de ses vers ;
Pouvant prendre sans cesse une forme nouvelle :
Tantôt fleur des forêts, tantôt oiseau des airs.

Suspendus, en naissant, à sa pure mammelle,
Les peuples ont dormi, bercés par ses concerts :
Vainement on nierait sa puissance éternelle,
Son empire a grandi dans les siècles divers.

Qu’importe que les rois et leurs valets infâmes
S’efforcent d’arracher la poésie aux âmes ?
Plus forte qu’eux, son front domine leur fierté !

Elle ensevelira leurs fausses espérances,
Car, brisant à jamais d’ignobles résistances,
La poésie un jour sera la liberté.

Q8  T15

Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme — 1839 (12)

Auguste Desplaces Une voix de plus

Sonnet A M. Hippolyte Fauche*

Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme
Si vanté de Boileau qui redoutait ses lois ;
Poème italien, dont la facture alarme
Plus d’un rimeur qui n’ose y hasarder sa voix.

Mais contre sa rigueur sa grâce me désarme ;
Et sans dure fatigue, à mon aise, à mon choix,
Je répands, selon l’heure, en ce vase une larme,
Ou d’un rayon d’amour j’en dore les parois.

Oui, cette forme étrange a pour moi peu d’entrave,
Et dans ce champ borné, libre, jamais esclave,
J’ai bien encor, tu vois, le loisir et le lieu

De dire tes élans, ta verve de poète,
Ta prose chatoyante et taillée à facette,
De te donner la main et le salut d’adieu.

Q8  T15  s sur s

* traducteur du sanscrit

Que souvent, aux rayons de tes prunelles noires, — 1839 (9)

Marceline Desbordes-Valmore

A la voix de mademoiselle Mars

Que souvent, aux rayons de tes prunelles noires,
Au bruit de ton nom pur et de tes pures gloires,
Aux magiques pâleurs dont se voilent parfois
Le bonheur sur ton front et le ciel dans ta voix,

J’ai dit de cette voix où l’age se devine,
De ce souffle pudique, et des saintes amours,
Qu’on écoute une fois pour l’entendre toujours,
Que l’on sent se mouiller d’une larme divine!

Ta voix a des parfums, des formes, des couleurs;
Parles-tu d’une fleur, dès que tu l’as nommée,
De ta bouche entr’ouverte elle sort embaumée.

Souffres-tu de l’amour les brûlantes douleurs?
Cette voix dans nos sens verse des étincelles.
Parles-tu d’un oiseau? Tes accents ont des ailes.

Q57 – T30

Un des très rares sonnets de cet auteur . quatrains à quatre rimes, disposition très rare: aabb  a’b’b’a’

Rebuté des humains, flétri par l’infortune, — 1839 (8)

Louis Ayma Les préludes

XXII – Imité de Shakespeare

Love’s Consolation

Rebuté des humains, flétri par l’infortune,
Seul comme en un désert, je déteste mon sort;
Je fatigue le ciel de ma plainte importune,
Et jetant l’oeil sur moi je désire la mort.

J’ai convoité de l’un la féconde espérance,
De l’autre les trésors et les amis nombreux,
De celui-ci les arts, la beauté, la naissance;
Car je n’ai pas reçu du ciel ces dons heureux.

Mais si, dans ces moments de souffrance muette,
Je pense à vous; – alors, pareil à l’alouette
Qui vole vers les cieux aux derniers feux du jour,

Un hymne de bonheur de mon âme s’élance,
Car je préfère à l’or, aux arts, à la naissance,
Le touchant souvenir de votre chaste amour.

Q59 – T15 – tr

On peut regretter que dans son ‘imitation’ du sonnet 29 de Shakespeare (qu’il traduit après Chasles), il ne respecte pas la forme: après deux quatrains en rimes alternées distinctes, il termine par un sizain à la Ronsard .