Archives de catégorie : Genre des rimes

A songer que l’état m’assigne — 1920 (8)

Aragon (sonnets non repris dans Feu de joie)

Satan, ses pompes et ses oeuvres

A songer que l’état m’assigne
Six francs, le prix d’une catin
Et le déjeuner du matin
Le noir registre je le signe:

Docteur, et ce nom qu’un destin
Favorable doit rendre insigne
Non sans quelque gaieté maligne
De mentir à ce bulletin.

Il n’est de titre que j’envie
garder ou l’une ou l’autre vie
comme en-tête pour mes papiers,

sinon celui que me confère
ce doux emploi de ne rien faire:
Médecin des Sapeurs-Pompiers.

Q16 – T15 – octo – sns

L’habitude — 1920 (7)

Aragon Feu de joie
(sonnet caché dans Lever, (Feu de joie))


L’habitude
Le pli pris
L’habit gris
Servitude
Une fois par hasard
Regarde le soleil en face
Fais crouler les murs les devoirs
Que sais-tu si j’envie être libre et sans place
Simple reflet peint sur le verre

Donc j’écris
A l’étude
Faux Latude
Et souris

Que les châles
les yeux morts
les fards pâles

et les corps
n’appartiennent
qu’aux riches
Le tapis déchiré par endroits.

r.exc. – m.irr

Que m’importe qu’un pédagogue — 1920 (6)

Léon de Berluc-PerussisSonnets

A M. Achille Vogue,
qui me demandait un sonnet pour son recueil d’autographes

Que m’importe qu’un pédagogue
Me déclare d’une voix rogue
Que mes vers – sonnet, ode, églogue –
Ne sont qu’une assez pauvre drogue!

Voilà que mon humble pirogue
Aux rives de la gloire vogue,
Puisque, entre les auteurs en vogue,
Mon nom brille en l’album de Vogue.

A mon œuvre nul astrologue
N’eut prédit pareil apologue:
J’entre au temple où le meilleur drogue.

Mais êtes-vous sûr, ô bon dogue,
Que votre indulgent catalogue
La postérité l’homologue?

monorime  octo

Bruit qui ne s’énumère, et sous l’atone nue — 1920 (5)

René Ghil – in Oeuvres Complètes

Mer montante.

Bruit qui ne s’énumère, et sous l’atone nue
le rond soleil qui transparaît
en point ardent d’où s’amasse la révolue
cendre du soir désert, la Mer ne saurait

d’éternel arrêter la respiration tûe
de tous les hommes morts en trophées! arrivait
de dessous l’horizon qui limite ma vue
et le soupir de ma poitrine – et elle avait

immensément le mouvement qui outre-passe
et la grève et les pas et les mots qu’en vain tasse
le poids multiplié de nos vivants trépas:

et elle était – qui vient de soi-même suivie –
de l’étendue que le temps ne tarit pas
et sur ma lèvre un goût de sel, mouillé de vie ….

1916

Q8 – T14 – 2m: octo: v.2:

Ma Triste, les oiseaux de rire — 1920 (3)

René Ghil – in Oeuvres Complètes

Sonnet

Ma Triste, les oiseaux de rire
Même l’été ne volent pas
Au Mutisme de morts de glas
Qui vint aux grands rameaux élire

Tragique d’un passé d’empire
Un seul néant dans les amas
Plus ne songeant au vain soulas
Vers qui la ramille soupire.

Sous les hauts dômes végétants
Tous les sanglots sans ors d’étangs
Veillent privés d’orgueils de houle

Tandis que derrière leur soir
Un souvenir de Train qui roule
Au loin propage l’inespoir.

1886

Q15 – T14 – octo

Sonnet, qui n’étais plus qu’un objet de musée, — 1920 (1)

Gauthier-Ferrières Le miroir brisé – sonnets


Sonnet ….

Sonnet, qui n’étais plus qu’un objet de musée,
Dans l’atelier sans air des froids Parnassiens,
Quitte les ciseleurs pour les musiciens
Et danse enfin sur l’herbe où perle la rosée.

Emplis de vin ta coupe, ouvre au vent ta croisée,
Sois libre, ailé, chantant, tourne, bondis, va, viens!
Et joue aux quatre coins dans tes quatrains anciens
Afin que mon Amie en soit tout amusée.

Rajeunis-toi pour elle et brise tes liens,
O Sonnet, noble fleur des parcs italiens,
Transplantée autrefois dans les jardins de France.

Chante lui sa beauté que tu suis pas à pas
Et quelquefois aussi chante lui ma souffrance,
Pourvu qu’en t’écoutant elle n’en souffre pas.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Sur les fauteuils gonflés des plus rouges luxures, — 1919 (6)

Vincent Muselli Les masques

Exotisme

Sur les fauteuils gonflés des plus rouges luxures,
Et dont les triples rangs peuplent le corridor,
Les dragons parfumés qu’énervent leurs morsures
Dans le sang des velours trempent leurs ongles d’or.

Le grand singe aux pieds roux dansant devant la glace
Agite dans l’air chaud la chaîne et le mouchoir,
Et ses jambes qu’entr’ouvre une obscène grimace,
Montrent son impudeur aux oiseaux du perchoir.

L’enfant n’écoute plus aux porcelaines creuses
Gémir l’écho lointain des fanfares heureuses,
Mais sous le ventre en fleurs il se cache en criant,

Car le soleil, tombant des fenêtres ouvertes,
Roule, et comme un poisson fébrile et flamboyant,
Dans l’aquarium bleu mange des carpes vertes.

Q59 – T14

Le soleil meurt: son sang ruisselle aux devantures; — 1919 (5)

Vincent Muselli Les masques

Les épiceries

Le soleil meurt: son sang ruisselle aux devantures;
Et la boutique immense est comme un reposoir
Où sont, par le patron, rangés sur le comptoir,
Comme des cœurs de feu, les bols de confitures.

Et, pour mieux célébrer la chute du soleil,
L’épicier triomphal qui descend de son trône,
Porte dans ses bras lourds un bocal d’huile jaune
Comme un calice d’or colossal et vermeil.

L’astre est mort; ses derniers rayons crevant les nues
Illuminent de fièvre et d’ardeurs inconnues
La timide praline et les bonbons anglais.

Heureux celui qui peut dans nos cités flétries
Contempler un seul soir pour n’oublier jamais
La gloire des couchants sur nos épiceries.

Q63 – T14

Le soleil bas, à flots bouleversés, déferle; — 1919 (3)

Jules SuperviellePoèmes

Coucher de soleil basque

Le soleil bas, à flots bouleversés, déferle;
Et le ciel épuisé par sa pourpre et ses fleurs
Passe insensiblement du rubis à la perle;
Un grave repentir pénètre les couleurs.

L’azur devient lilas et l’écarlate rose;
Et les meules de foin qui gaspillaient leur sort
Semblent se recueillir. Le chemin se repose
D’avoir été si blanc comme d’un grand effort.

Un fleuve de blé mûr coule entre les collines,
Il n’est plus, maintenant, mille fois hérissé,
Et roule du velours en transparence fines.
Son éclat en pâleurs légères a passé.

C’est l’heure où, chaque jour, dans une étreinte pure,
La Montagne et le Ciel mêlent leurs chevelures.

shmall

Rieuse et si peut-être imprudemment laurée — 1919 (2)

André BretonMont de piété

Rieuse

Rieuse et si peut-être imprudemment laurée
La jeunesse qu’un faune accouru l’aurait ceinte
Une Nymphe au Rocher qui l’âme (sinon peinte
L’ai-je du moins surprise au bleu de quelque orée)

Sur la nacelle d’or d’un rêve aventurée
– De qui tiens-tu l’espoir et ta foi dans la vie? –
Des yeux reflèteraient l’ascension suivie
Sous l’azur frais, dans la lumière murmurée ….

– Non plutôt de l’éden où son geste convie
Mais d’elle extasiée en blancheur dévêtue
Que les réalités n’ont encore asservie:

Caresse, d’aube, émoi pressenti de statue,
Eveil, aveu qu’on n’ose et pudeur si peu feinte,
Chaste ingénuité d’une prière tue.

Q45  T20 rimes féminines