Archives de catégorie : Genre des rimes

Pèlerin magnifique en palmes de mémoire — 1893 (2)

Saint-Pol RouxLes reposoirs de la procession I

Pèlerin magnifique en palmes de mémoire
(O tes pieds nus sur le blasphème des rouliers!)
Néglige les crachats épars dans le grimoire
Injuste des crapauds qui te sont des souliers.

Enlinceulant ta rose horloge d’existence,
Evoque ton fantôme à la table des fols
Et partage son aigle aux ailes de distance
Afin d’apprivoiser la foi des tournesols.

Delà, miséricorde aux bons plis de chaumière
Avec un front de treille et la bouche trémière,
Adoptent les vieux loups qui bêlent par les champs

Et régénère leur prunelle douloureuse
Au diamant qui rit dans la houille des temps
Comme l’agate en fleurs d’une chatte amoureuse.
(Message au poète adolescent)

Q59 – T14

Sur l’éblouissement splendide dont la flore — 1893 (1)

– Comte Robert de Montesquiou-Fezensac Le Chef des odeurs suaves

Nymphe .
Une peinture de M. Gustave Moreau

Sur l’éblouissement splendide dont la flore
Marine aux anguleux bocages en corail
Compose la rousseur éparse de vitrail
Où sa blancheur fluide incessamment s’éplore ….

Entre mille clameurs égoïstes, sérail
De tons près d’éclater, de gemmes près d’éclore,
De fleurs près de vibrer, dont le vif attirail
Redoute de sa chair la splendeur incolore ….

O l’inexpérience aimable du danger!
Ruisselante, lactée, astrale, et vers qui grimpe
Un frisson violet de fleurs comme une guimpe,

Galatéa sommeille en un rêve étranger
Sous l’adoration triste dont l’enveloppe
L’unique fixité songeuse du Cyclope.

Q17 – T30

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre — 1892 (12)

– ? in  L’année des poètes

Roses de Nice
sonnet bicésuré

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre
Pour s’abîmer à tout jamais sur l’horizon ;
On l’entrevoit dans le brouillard, comme un tison
Près de s’éteindre et se voilant d’un peu de cendre.

Le rude hiver a, ces jours-ci, fini d’épandre
Les feuilles d’or sur les trottoirs et les gazons ;
Les fleurs de glace ont remplacé les floraisons
Qu’aux vers rameaux, jusqu’en automne, on voyait pendre.

– Mais, dans la rue, où quelque vieux vend des bouquets,
Une drôlesse au rire obscène, aux lourdes hanches,
Se fait payer par un voyou des roses blanches.

– Boutons frileux qu’à son corsage elle a piqués,
Fleurs qui, pour elle, agonisez sous les rafales,
Que je vous plains de mourir là, fleurs virginales !

Q15  T30  alexandrins en 3 segments : 4+4+4

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante, — 1892 (11)

Jules Baudot in  L’année des poètes

L’art

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante,
Avec des mots très doux ainsi que des rumeurs,
D’une légère main, comme font les semeurs,
Sème dans notre esprit que la vie est méchante.

Dans le quatrain qui suit, exalte, prône, chante
La Femme altière et belle, en d’ardentes clameurs,
Et pour bien expliquer l’amour dont tu te meurs
Fais un portrait puissant de celle qui t’enchante.

Alors, en un tercet fort savamment rimé,
Exprime-nous que toi, qui fus pourtant l’Aimé,
Tu n’est plus maintenant qu’un étranger pour elle.

Puis, au tercet final, qu’il ne faut point gâter, –
L’Art serein n’aimant point les cris de tourterelle, –
Sonne un grand vers d’or pur, – pour ne point sangloter !

Q15  T14 – banv –  s sur s

C’est fin de bal:  » Vois-tu que brille — 1892 (7)

Edouard Dubus Quand les violons sont partis

Violons
Pour Georges Darien

C’est fin de bal:  » Vois-tu que brille
Dans leurs yeux fous même chanson?
Ecoute rire à l’unisson
Les deux violons du quadrille.

Ce n’est pas le rire qui brille
Dans les yeux après la chanson,
Vont-ils pleurer à l’unisson?
Les deux violons du quadrille.

Mais vient le temps où la chanson
Que l’on rêvait à l’unisson,
Comme autrefois dans les yeux brille.

Pauvre chanson ! Pauvre chanson !
Ils riront seuls à l’unisson
Les deux violons du quadrille.

Q15 – T6 – octo  – y=x (c=b, d=a) – Sonnet sur deux rimes avec vers-refrain: 4,8, 14

Cette vie est bien monotone: — 1892 (6)

Edouard Dubus Quand les violons sont partis

Théâtre

Cette vie est bien monotone:
Même farce et même décor,
Ne saurait on jouer encor
Un peu de neuf qui nous étonne?

Je sais un théâtre divin,
Pièce et décor, tout y varie,
C’est une fantasmagorie,
Les auteurs sont l’Amour, le Vin.

L’Amour compose les grands rôles
Où l’on pleure, quand vient le tour
Du Vin c’est un feu de mots drôles.

Avec le Vin, avec l’Amour
On peut vagabonder sans trêve
Dans le ciel infini du Rêve.

Q63 – T23 – octo

Blanche, comme les flots de blanche mousseline, — 1892 (5)

Edouard Dubus Quand les violons sont partis

Solitaire

Blanche, comme les flots de blanche mousseline,
Enveloppant sa chair exsangue de chlorose,
Elle rêve sur un divan dans une pose
Exquise de langueur, et de grâce féline.

De ses yeux creux jaillit un regard qui câline
Dans le vague, elle se rose,
Sa bouche se carmine et frissonne mi-close,
Sa taille par instants se cambre, puis s’incline.

Sa gorge liliale, où rouges sont empreintes
De lèvres, se raidit comme sous les étreintes,
Elle sursaute en proie au plaisir, et retombe.

Dans ses longs cheveux d’or épars rigide et pâle,
Et dans l’harmonieux tressailllement d’un râle,
On dirait un cadavre un peu frais pour la tombe.

Q15 – T15  – Tout en rimes féminines

Vaine aurore! Si des larmes voilent un rire, — 1892 (3)

André FontainasLes vergers illusoires

Vaine aurore! Si des larmes voilent un rire,
Sont-elles en présage à nos fuites de joies
Qu’auraient les yeux d’une autre à suivre un jeu de soies
En frissons brefs au long des parois de porphyre?

Mais nul geste que l’aube encore ne s’y mire
Au fantastique épars de ce que tu déploies,
Ou, verbe, ne s’y grave en hymnes, jeunes proies
A promulguer: rien n’est qui soit, sinon écrire.

Une brume vieillie agonise au pilier,
Et s’y meurtrit la voix d’angoisse rauque étreinte
Pour s’y sentir naissante aux outrages plier.

Aux havres d’or naguère où s’incurvait Corinthe
Nul éphèbe ne vogue en voeux d’âme nouvelle
Vers les fauves toisons que l’aurore y révèle.

Q15 – T23

Dieu mit sur votre front la fierté d’une reine ; — 1991 (33)

Louis Capillery in L’année des poètes

Sans cœur

Dieu mit sur votre front la fierté d’une reine ;
Puis, prenant deux saphirs sur son royal bandeau,
Lui-même, il cisela vos grands yeux de sirène,
Brillants, comme au soleil brillent deux gouttes d’eau.

Quand il vous eut donné cet air de souveraine,
Il mit dans votre voix un ramage d’oiseau,
Quelque chose de doux, de languissant, qui traîne
Comme le chant lointain que soupire un roseau.

Sur vos lèvres qu’entr’ouvre un sommeil, il fit naître
Ce sourire de sphinx, si profond que, peut-être,
Nul ne saura jamais s’il est triste ou moqueur.

Alors, vous contemplant, il vous trouva si belle
Que, n’osant plus toucher à son oeuvre nouvelle,
Sous votre sein d’ivoire il oublia le cœur.

Q8  T15

Le Sonnet, ce léger poème en miniature, — 1991 (32)

Emmanuel Gosselin in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

Le sonnet

Le Sonnet, ce léger poème en miniature,
De plus d’un lapidaire a tenté le ciseau.
Le cadre n’est pas grand, soit, mais qui donc mesure
Le talent de l’artiste à l’ampleur du tableau ?

La toile importe peu : tout est dans la peinture
Lorsqu’une main habile a tenu le pinceau.
Ne comptons pas les vers, voyons la ciselure
Pétrarque ou Meissonnier, l’idéal, c’est le beau !

Quand l’Art pur guide seul la plume ou la palette,
Il transforme en chef-d’oeuvre une simple bluette
Et loge le printemps dans un pli de gazon.

Dans un coin de falaise il met la mer profonde,
Nous montre l’infini dans un bout d’horizon,
Et dans l’étroit Sonnet fait tenir tout un monde.

Q8  T14  s sur s (Pétrarque= Meissonnier. On frémit)