Archives de catégorie : Genre des rimes

Crapuloz, mon ami d’enfance, — 1886 (24)

Sylvain Dorabel Equevilles

Crapuloz

Crapuloz, mon ami d’enfance,
Avec plaisir, je te fumais,
Quand ma lèvre sentait le rance
Cher Crapuloz, que je t’aimais !

Avec toi, bien souvent je flâne !
Quel bonheur quand je te fumais,
En vaguant par là, comme un âne,
Cher Crapuloz, que je t’aimais !

Et maintenant, pas de centimes !
Le vieux tabatier, sur mes rimes,
Crache un dédain que je connais.

Je n’ai pas le sou, pas de graisse,
Je passe comme un chien en laisse,
Cher Crapuloz, que je t’aimais !

Q38  T15  octo  refrain : v 4-8-14 Le crapulos est un cigare très bon marché, d’après le TLF

Je reviens au Sonnet ; c’est chose difficile, — 1886 (23)

Charles D. Williams Les voix du cœur

Je reviens au Sonnet ; c’est chose difficile,
Dis-tu ? car tu le veux plein de grâce et d’esprit.
Pourtant, des deux quatrains, le vers coule tranquille,
La rime, quatre fois, à l’aise se produit.

Des deux tercets le vers est un peu moins facile ;
Car du rythme le moule est étroit et réduit.
L’espace est très restreint ; trop d’abondance nuit,
Et l’hémistiche au sens doit se montrer docile.

Mais c’est au dernier vers qu’il faut mettre de l’art,
Afin de couronner l’aimable et beau poème !
Le sonnet, pour briller, n’a pas besoin de fard.

Le tien est bien charmant ; et je t’en felicite.
Aime et cultive aussi tous ces auteurs que j’aime,
Ils savent rendre heureux ; ils donnent le mérite.

Q9  T24  s sur s

L’auteur est haïtien

Il splendit sous le bleu d’athlétique Nature — 1886 (22)

? in Le décadent

Sonnet

Il splendit sous le bleu d’athlétique Nature
Dont le roc a fourni les éléments altiers:
Les fontes et l’airain de leur musculature,
Excèdent les parois des divins compotiers.

Leurs biceps ont des fûts robustes de mâture;
Leur timbre tient son or des célestes Luthiers,
Et, nourris du fort miel des doctes confitures,
La santé, sous leur peau, couve ses églantiers.

Car de glaces, ô Femme impure! A tes Malices
Leur coeur d’aube fleurit comme un doux cyclamen,
Et sacrant leurs seize ans aux candeurs de calices,

Le hautain contempteur des sordides hymens,
Antéros aux yeux d’or cuivre de ses délices
Le concombre inclément de leur vierge abdomen.
(Arthur Rimbaud)

Q8 – T20 – pastiche

Absinthe, je t’adore, certes ! 1886 (21)

Raoul Ponchon in Le courrier français

L’absinthe

Absinthe, je t’adore, certes !
Il me semble, quand je te bois,
Humer l’âme des jeunes bois,
Pendant la belles saison verte !

Ton frais parfum me déconcerte,
Et dans ton opale je vois
Des cieux habités autrefois,
Comme par une porte ouverte.

Qu’importe, ô recours des maudits !
Que tu sois un vain paradis,
Si tu contentes mon envie ;

Et si, devant que j’entre au port,
Tu me fais supporter la vie,
En m’habituant à la mort.

Q15  T14  – banv – octo

On peut interroger l’histoire, — 1886 (20)

Evariste Carrance in  Littérature Contemporaine, 36

Le siècle de Victor Hugo
Proclamons-le hautement, proclamons dans la chute et dans la défaite, ce siècle est le plus grand des siècles – V.H.

On peut interroger l’histoire,
Aucun siècle n’a projeté
Plus de grandeur et plus de gloire,
Plus de justice et de clarté!

Il grave au temple de mémoire
La sainte et pure égalité;
Il commence dans la victoire,
Et finit dans la liberté!

Ce siècle à la marque profonde
Inscrit sur la carte du monde
Ses merveilles et ses grandeurs;

A travers ses rudes tempêtes
Il a fait jaillir des poètes,
Comme de nouveaux rédempteurs!

Q8 – T15 – octo

C’est l’été. Le sentier que la ronce enguirlande, — 1886 (19)

D. Mon Les Bengalis


Villégiature

C’est l’été. Le sentier que la ronce enguirlande,
Où l’églantine pâle et le volubilis
Accrochent leurs bouquets aux sombres tamaris,
Semble, par le soleil, une fraîche oasis.

Un ânon va, très fier de sa riche provende,
Portant l’enfant qui rit, lui parle et le gourmande,
Juché haut, entre deux grands paniers de marchande,
Emplis et débordant du plus charmant fouillis,

Où bluets, blonds gramens, rustiques pâquerettes
Campanule bleutée aux rustiques fleurettes,
Mauves myosotis, coquelicots ardents

Font un nid d’où surgit une tête mutine,
Que, sous le grand chapeau de paille l’on devine,
Jolie, ayant le rire à ses petites dents.

abbb aaab – T15

Les écoliers joueurs dans le calme des classes — 1886 (18)

Georges Rodenbach La jeunesse blanche

L’idéal

Les écoliers joueurs dans le calme des classes
Pour voler les rayons du soleil émergeant
Enchâssent dans leurs doigts, comme un piège d’argent,
Des débris lumineux de miroirs et de glaces.

Et, comme d’une cage ouverte – ont voleté
Des rayons, oiseaux d’or, qui traversent les vitres,
Et partout sur les murs, les tableaux, les pupitres,
On les voit dépliant leurs ailes de clarté.

Idéal! O soleil d’au-delà les nuées
Vers qui nos formes d’art, vainement remuées,
Tendent avec orgueil leurs fragiles miroirs.

Dans des ciels reculés, il a trahi nos rêves,
Car nous n’en projetons que quelques lueurs brèves
Sur les murs de la vie immuablement noirs.

Q63 – T15

Mais leurs ventres éclats de la nuit des Tonnerres! — 1886 (17)

Le Scapin

René Ghil

Sonnet

Mais leurs ventres éclats de la nuit des Tonnerres!
Désuétude d’un grand heurt de primes cieux
Une aurore perdant le sens des chants hymnaires
Attire en souriant la vanité des Yeux.

Ah! l’éparre profond d’ors extraordinaires
S’est apaisé léger en ondoiements soyeux
Et ton vain charme humain dit que tu dégénères!
Antiquité du sein où s’épure le mieux.

Et par le Voile aux plis trop onduleux ces Femmes
Amoureuses du seul semblant d’épithalames
Vont irradier loin d’un soleil tentateur:

Pour n’avoir pas songé vers de hauts soirs de glaives
Que de leur flanc pouvait naître le Rédempteur
Qui doit sortir des Temps inconnus de nos Rêves.

Q8 – T14

Ma Muse hypocondriaque mène (ô surprise) — 1886 (15)

Albert Aurier in Le Décadent

Le rire triste

Ma Muse hypocondriaque mène (ô surprise)
Depuis cette nuitée, un trains de patachons:
La folle tant traîna de bouchons en bouchons,
Tant but de bocks qu’Elle est immodérément grise;

Lâchant, à tout propos, maints verbes folichons,
Elle éclate et se tord, comme dans une crise
D’hystérie. Etiam submejit sa chemise,
Et se tortille ainsi qu’un grand tire-bouchons! …

Mais, tandis que, tenant son ventre des deux mains,
Elle se spiralise et va par les chemins,
Titubant dans son rire et dans sa griserie,

Je reste triste, car tout cela, je le sais,
Cache, au fond, les sanglots de vieux amours blessés:
La Gaîté de ma Muse est une hypocrisie?

Q16 – T15

Le soleil verse aux toits des chambres mal fermées — 1886 (11)

Germain Nouveau (ed. Pléiade)


Smala

Le soleil verse aux toits des chambres mal fermées
Ses urnes enflammées;
En attendant le kief, toutes sont là, pâmées,
Sur les divans brodés de chimères armées;

Annès, Nazlès, Assims, Bourbaras, Zalimées,
En lin blanc, la prunelle et la joue allumées
Par le fard, parfumées,
Tirant des narghilés de légères fumées,

Ou buvant, ranimées,
Les ongles teints, les doigts illustrés de camées,
Dans des dés d’argent fin des liqueurs renommées.

Sur les coussins vêtus d’étoffes imprimées,
Dans des poses d’almées,
Voluptueusement fument les bien-aimées.

sonnet monorime – 2m (6s: v.2, v.7, v.9 v.13)