Archives de catégorie : Genre des rimes

Vous cachez vos cheveux, la toison impudique, — 1886 (10)

Germain Nouveau (ed. Pléiade)

Musulmanes
A Camille de Sainte-Croix

Vous cachez vos cheveux, la toison impudique,
Vous cachez vos sourcils, ces moustaches des yeux,
Et vous cachez vos yeux, ces globes soucieux,
Miroirs pleins d’ombre où reste une image sadique;

L’oreille ourlée ainsi qu’un gouffre, la mimique,
Des lèvres, leur blessure écarlate, les creux
De la joue, et la langue au bout rose et joyeux,
Vous les cachez, et vous cachez le nez unique!

Votre voile vous garde ainsi qu’une maison
Et la maison vous garde ainsi qu’une prison;
Je vous comprends: l’Amour aime une immense scène.

Frère, n’est-ce pas là la femme que tu veux:
Complètement pudique, absolument obscène,
Des racines des pieds aux pointes des cheveux.

Sonnets du Liban

Q15 – T14 – banv

Nous avions fait une lieue — 1886 (9)

Germain Nouveau (ed. Pléiade)

Retour

Nous avions fait une lieue
L’œil en quête d’un sonnet;
Où le hasard nous menait
Nous errions dans la banlieue.

La matinée était bleue
Et sur nos têtes sonnait
La rime, oiseau qu’on prenait
D’un grain de sel sur la queue.

Tout à coup le ciel changea:
Il plut. Retournons – déjà! –
Et nous aperçûmes, l’âme

Attristée, au loin, Paris,
Et, grises sur le ciel gris,
Les deux tours de Notre-Dame!

Q15 – T15 – 7s

Au matin gris, – suivis de leurs noires voitures, – — 1886 (6)

Louis MarsolleauLes baisers perdus

Le sonnet des corbillards
à Aristide Bruant

Au matin gris, – suivis de leurs noires voitures, –
Les corbillards, qui sont férocement à jeun,
Sortent de leurs abris nocturnes, un à un,
Et s’en vont à travers Paris, cherchant pâtures.

Devant les tristes seuils où pleurent des tentures,
Ils absorbent les morts savoureux, puis, très lents,
Ils montent, escortés des parents ruisselants,
La côte qui conduit aux creuses sépultures.

Ils digèrent, pendant le trajet, lentement;
Leurs panaches ont comme un hoquet, par moment;
Puis leur déchargement s’écroule dans les tombes.

Alors, légers, au grand galop claquant leurs fouets,
Ils rentrent au logis, repus et satisfaits,
Filant sur les pavés comme un vol de colombes.

Q45 – T15 quatrains à rois rimes, mais ‘un’ et ‘ants’ sont à l’oreille, proches.

L’Aède claironne emmi* l’effervescence — 1886 (5)

Noël LoumoVers de couleur

Poésie

L’Aède claironne emmi* l’effervescence
Des caresses adorables de minuit
Prêt à recueillir la tintinnabulance
Des soupirs égarés dans la mort qui luit.

Il sait le miracle énervé de l’Apôtre,
Le bleu recueillement de l’exquisité,
Le souci deviné, l’Amour qui se vautre
Dans le paillettement de l’absurdité.

Au sommet du tourbillon inaccessible
Il monte méprisant la blancheur du sein
Qui regrettait l’avènement de la cible.

Et, douloir hennissant comme le burin,
Il lance aux échos son vers irrémissible
Asclépiade d’or à la voix d’airain.

Q59 – T20 – 11s *emmi Le mot est presque une signaure des ‘décadents »

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes — 1886 (4)

Jean Moréas Les cantilènes

Chœur

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes
Démon Concept, tu t’ériges et tu suspends
Les males heures à ta robe, dont les pans
Errent au prime ciel comme un vol de colombes.

Toi, pour qui sur l’autel fument en hécatombes,
Les lourds désirs plus cornus que des égipans,
Electuaire sûr aux bouches des serpents,
Et rite apotropée à la fureur des trombes;

Toi, sistre et plectre d’or, et médiation,
Et seul arbre debout dans l’aride vallée,
O Démon, prends pitié de ma contrition;

Eblouis-moi de ta tiare constellée,
Et porte en mon esprit la résignation,
Et la sérénité en mon âme troublée.

Q15 – T20 – deux vers (2 et 6) ont leur sixième syllabe au milieu d’un mot

J’aime des doux sonnets subtils de Sainte-Beuve; — 1886 (3)

Jacques Villebrune Sonnets mystiques


Les rois du sonnet

J’aime les doux sonnets subtils de Sainte-Beuve;
Le rare Baudelaire en laissa de choisis
Et qui nous font rêver à leurs sens insaisis:
Plus que ce sphinx étrange il n’est rien qui m’émeuve.

D’autres en ce noble art ont aussi fait leur preuve;
Barbier enferme un monde en ce moule précis
Bien des cœurs en ce vers nous content leurs soucis.
Cladel et Richepin en font de façon neuve.

J’aime les fins sonnets que Gautier cisela,
J’aime ceux de Coppée et de Hérédia
Ceux de Sully-Prudhomme; et que ne puis-je lire

En leur texte étranger ceux qu’on nous vante aussi,
L’alambiqué sonnet que raffina Shakespeare,
Et l’amoureux Pétrarque en sa langue du si

Q15 – T14 – banv –  s sur s

Comme un enfant jaloux de sa maîtresse chère, — 1886 (2)

Jacques Villebrune Sonnets mystiques

L’amoureux de la mer

Comme un enfant jaloux de sa maîtresse chère,
J’accompagne la mer au caprice incertain:
J’aime à voir sa pâleur dans l’air frais du matin,
En de brumeux tissus de mousseline claire.

Et noyée à midi dans la vague chimère,
Sous l’azur qui lui fait le plus charmant destin,
Elle rêve assoupie en son lit de satin,
Regardant mollement l’horizon éphémère.

Je l’admire, aux clartés tombant du soir astral,
En danseuse fantasque inaugurant un bal,
Où bondissent en chœur ses phosphoriques ondes;

Et quand elle s’endort sous un pâle rayon,
J’aime écouter encor au sein des nuits profondes
Sa tranquille et superbe respiration.

Q15 – T14 – banv  -césure italienne au vers 14 – Villebrune, avec plus de 800 sonnets, semble être le recordman du 19ème siècle, dépassant Ronsard, sans toutefois égaler Jacques Poille (début du 17ème siècle) qui en fit plus de 900. (Les sonnetistes frnçais sont loin d’approcher les performances des Italiens, dont la production a plusieurs fois dépassé les millier (Le Tasse, par exemple).

Je n’ai rimé que peu de sonnets en ma vie ; — 1885 (18)

Ernest Chabroux Chansons et sonnets

A la chanson

Je n’ai rimé que peu de sonnets en ma vie ;
Ce poème à la fois maussade et langoureux,
Fut toujours, à mes yeux, fort peu digne d’envie ;
Pourtant c’est le langage aimé des amoureux.

Or, l’aimable beauté dont mon âme est ravie,
Aimant à sa jouer quelquefois de mes feux,
Pour chanter ses attraits aujourdhui me convie
A faire celui-ci, tiré par les cheveux.

Apprenez-donc, Messieurs, que cette enchanteresse
A pour elle, d’abord, force, grâce, jeunesse,
Esprit intarissable et gaîté de pinson,

Qu’on admire partout sa verve et son sans-gêne,
Et qu’ici, chaque mois, elle commande en reine ;
«  Mais son nom ? » direz-vous … « Parbleu, c’est la chanson ! »

Q8  T15  s sur s

Pour ce gentil Sonnet que j’aime à la folie, 1885 (17)

Emile Maze Fleurs de mai

Pour le Sonnet
à Léonce Mazuyer

Pour ce gentil Sonnet que j’aime à la folie,
Et qu’en vos vers railleurs vous malmenez si bien,
Laissez-moi vous prier. Il nous vient d’Italie,
Et les Maîtres, partout, ont cherché son soutien :

Shakespeare l’adopta pour sa forme accomplie :
Rêvant du Paradis, Milton le fit chrétien ;
Pétrarque a soupiré sur sa corde amollie ;
Le Dante Allighieri l’aimait …. N’est-ce donc rien ?

N’est-ce rien que d’avoir de tels noms pour sa gloire ?
D’avoir eu son passé ? D’avoir eu son histoire ?
D’être le rythme heureux sur lequel ont chanté

Le Tasse et Camoëns et, parmi nous, Desporte
Et Baïf, du Bellay, Magny, – vaillante escorte
Dont le chef est Ronsard, Ronsard toujours vanté ?

Q8  T15  s sur s

Je rêve d’un sonnet, taillé dans le carrare, — 1885 (16)

Emile Maze Fleurs de mai

Sonnet parnassien

Je rêve d’un sonnet, taillé dans le carrare,
Qui surpasse en beauté la Vénus de Milo,
Et dont les flancs polis sous un galbe très rare
Cachent la moisson d’or qu’enferme le silo.

Je le rêve plus doux qu’un accord de cithare ;
Vibrant comme l’archer de la Milanollo ;
Rythmé comme la mer qui dort aux pieds du phare
Et chant dans la nuit son éternel solo.

Je le voudrais parfum, rayon, grâce, harmonie ;
Tel que l’art le plus pur de la belle Ionie
Ne fit rien de si grand, même en ses meilleurs jours.

Mais le marbre est trop dur où je taille la rime.
Douceur, grâce et beauté, tout s’en va sous la lime,
Et le Sonnet rêvé …. je le rêve toujours.

Q8  T15  s sur s Milanollo : cf. 1851,7