Archives de catégorie : Genre des rimes

Finis les madrigaux à vos genoux, mignonne, — 1885 (15)

Edouard Dubus in Le scapin

A cœur perdu, VI

Finis les madrigaux à vos genoux, mignonne,
Dans l’océan d’oubli votre amour a sombré ;
Moi je vous veux quand même et vous possèderai
Sans qu’un éclair hautain sous vos longs cils rayonne.

Au temps où vous serez un cadavre marbré
Qu’une bataillon de vers de morsures sillonne,
Un corps décomposé qui craque et qui bouillonne
Entre les ais disjoints d’un cercueil éventré.

Des plantes germeront dans votre pourriture ;
Leurs racines viendront y puiser la pâture
Pour leurs parfums subtils et leurs fraîches couleurs.

Et quand vos chairs seront des roses au teint pâle,
Des pervenches, des lys aux doux reflets d’opale,
Vous serez tout à moi ressuscitée en fleurs !

Q16  T15

Une étoile du ciel me parlait; cette vierge — 1885 (12)

Victor HugoToute la LyreRoman en trois sonnets

III

Une étoile du ciel me parlait; cette vierge
Disait: « O descendant crotté des Colletets,
J’ai ri de tes sonnets d’hier où tu montais
Jusqu’à la blonde Eglé, fille de ton concierge.

 » Eglé fait – j’en pourrais jaser mais je me tais –
Des rêves de velours sous des rideaux de serge.
Tu perds ton temps. Maigris, fais des vers, brûle un cierge,
Chante-la, ce sera comme si tu chantais.

Un galant sans argent est un oiseau sans aile.
Elle est trop haut pour toi. Les poètes sont fous.
Jamais tu n’atteindras jusqu’à cette donzelle.  » –

Et je dis à l’étoile, à l’étoile aux yeux doux:
– Mais vous avez cent fois raison, mademoiselle!
Et je ferais bien mieux d’être amoureux de vous.

Q16 – T20

Fille de mon portier! l’Erymanthe sonore, — 1885 (10)

Victor HugoToute la Lyre
Roman en trois sonnets

I

Fille de mon portier! l’Erymanthe sonore,
Devant vous, sentirait tressaillir ses pins verts;
L’Horeb, dont le sommet étonne l’univers,
Inclinerait son cèdre altier qu’un peuple adore;

Les docteurs juifs, quittant les talmuds entr’ouverts,
Songeraient; et les grecs, dans le temple d’Aglaure
Le long duquel Platon marche en disant des vers,
Diraient en vous voyant: Salut! déesse Aurore!

Ainsi palpiteraient les grecs et les hébreux,
Quand vous passez, les yeux baissés sous votre mante:
Ainsi frissonneraient sur l’Horeb ténébreux

Les cèdres, et les pins sur l’auguste Erymanthe;
Je ne vous cache pas que vous êtes charmante,
Je ne vous cache pas que je suis amoureux.

Q17 – T21

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables, — 1885 (8)

Rodolphe DarzensLa nuit

L’incomparable

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables,
Et pour dire en mes vers dociles ta Beauté
J’ai vainement cherché des mots, de tout côté,
Qui pussent exprimer tes formes adorables.

Car  » le vermeil éclat de la fleur des érables »
N’est pas ta lèvre, où rit ta rouge cruauté;
Et,  » neige, marbre, lis  » candides, Royauté
Triple de la blancheur, paraissent misérables

Auprès du flamboiement mystique de tes seins!
Qu’est-ce ‘la nuit « , auprès de tes cheveux malsains
Où, dans les replis lourds, rôde un arôme louche?

Tes cheveux sont obscurs plus que le firmament:
Ta bouche est rouge comme est seulement ta bouche,
Et tes seins sont pareils à tes seins seulement.

Q15 – T14 – banv

Car tout est bon en toi: chair, graisse, muscle, tripe! — 1885 (4)

(Alfred Delvau) – Les Sonneurs de Sonnets

Sonnet du cochon

Car tout est bon en toi: chair, graisse, muscle, tripe!
On t’aime galantine, on t’adore boudin.
Ton pied, dont une sainte a consacré le type,
Empruntant son arome au sol périgourdin,

Aurait réconcilié Socrate avec Xantippe.
Son filet, qu’embellit le cornichon badin,
Fournit le déjeuner de l’humble citadin,
Et tu passes avant l’oie au frère Philippe.

Mérites précieux et de tous reconnus!
Morceaux marqués d’avance, innombrables, charnus!
Philosophe indolent, qui mange et que l’on mange!

Comme, dans notre orgueil, nous sommes bien venus
A vouloir, n’est-ce pas, te reprocher ta fange?
Adorable cochon! animal-roi! – cher ange!

Charles Monselet

Q9 – T8

Pour avoar du bonne mékéroni, il fallait avoar du bonne fromédje. — 1885 (2)

Mac Nab Poèmes mobiles

Le Mékéroni!
sonnet britannique en prose
A M. Plet

Pour avoar du bonne mékéroni, il fallait avoar du bonne fromédje.
Aoh! …
Mais, pour avoar du bonne fromèdje, il fallait avoar des bonnes pétiourédjes.
Aoh! …
Et, pour avoar des bonnes pétourèdjes, il fallait bôcoup d’ârgent.
Aoh! Compréné vos,
Jé keuntiniou:
Pour avoar bôcoup d’ârgent,

il fallait vender baôcoup de keuteune.
Mais, pour vénder baôcoup de keuteune,

il fallait avoar le canal de Souez.
Donc, pour avvoar du bonne mékéroni,

il fallait avoar le canal de Souez!

bl – m.irr

Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière, — 1884 (19)

Leconte de Lisle Poèmes tragiques

A un poète mort

Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière,
De la couleur divine au contour immortel
Et de la chair vivante à la splendeur du ciel,
Dors en paix dans la nuit qui scelle ta paupière.

Boire, entendre, sentir? Vent, fumée et poussière.
Aimer? La coupe d’or ne contient que du fiel.
Comme un Dieu plein  d’ennui qui déserte l’autel,
Rentre et disperse-toi dans l’immense matière.

Sur ton muet sépulcre et tes os consumés
Qu’un autre verse ou non les pleurs accoutumés,
Que ton siècle banal t’oublie ou te renomme;

Moi, je t’envie, au fond du tombeau calme et noir,
D’être affranchi de vivre et de ne plus savoir
La honte de penser et l’horreur d’être un homme!

Q15 – T15

Quand je le contemplai, de l’Acteur gigantesque, — 1884 (18)

Le Chat Noir

Jules Jouy

X
Fréderick- Lemaître

Quand je le contemplai, de l’Acteur gigantesque,
De l’Artiste, protée énorme et sans rivaux,
Au génie acclamé par d’illustres bravos,
Il restait un vieillard, par l’âge brisé presque.

Parfois, pourtant, fouillant son front michélangesque,
Cet Hercule affaissé, las des anciens travaux,
Trouvait, pour le graver en nos jeunes cerveaux,
Un geste inimitable: immense et pittoresque.

Rien n’était merveilleux, étrange, saisissant
Comme ce beau lutteur torturé, s’efforçant
De rompre, des vieux ans, le lourd carcan de glace.

Et j’assistais, songeant aux triomphes d’antan,
Blême, l’horreur sacrée empreinte sur la face,
A cet écroulement superbe d’un Titan.

Q15 – T14 – banv

– Un comédien? Point : un type — 1884 (16)

Le Chat Noir

Jules Jouy
Sonnets de l’Entracte


VIII Lassouche

– Un comédien? Point : un type
Bouffon, sur la scène tombé.
Corps grêle, élégamment courbé…
Comme le tuyau de ma pipe.

Aspect rugueux… comme un Principe.
Pantomime au geste embourbé.
Masque figé de vieil abbé,
Où l’oeil, révolté, s’émancipe.

Lazzi pesants et gros accents
D’un gavroche de quarante ans;
Gamin vieilli. Bref, une touche

A tenter Chem ou Traviès.
Tel est le baron de La Souche,
Rejeton du geolier d’Agnès.

Q15 – T14 – banv – octo