Archives de catégorie : Genre des rimes

– Foutons-nous, mon âme, foutons-nous dare-dare, — 1882 (13)

Alcide Bonneau (trad) Sonnets luxurieux de l’Arétin

Sonnet I

– Foutons-nous, mon âme, foutons-nous dare-dare,
Puisque pour foutre nous sommes tous nés ;
Si tu adores le vit, moi j’aime le con,
Le monde serait un rien qui vaille sans cela.

Et si post mortem il était permis de foutre,
Je te dirais : Foutons jusques à en mourir ;
Après, nous irons foutre Adam et Eve,
Qui furent cause de la malencontreuse mort.

– Vraiment, c’est vrai ; car si les scélérats
N’avaient mangé la traîtresse de pommes ;
Je sais bien que les amants ne cesseraient de jouir.

Mais laissons aller les bêtises ; et jusques au cœur
Plante-moi ton vît : fais que de moi jaillisse
L’âme que le vît fait tantôt naître et tantôt mourir,
Et, si c’était possible,
Ne me laisse pas hors de la motte tes couillons,
Heureux témoins de notre plaisir.

vl  tr  s. caudato, genre presque inconnu du sonnet français

Sous les rideaux discrets, au fond du vieil hospice, — 1882 (10)

Dr G.C. (Camuset ?) in G.J. Witkowski : Anecdotes médicales

Dermatologie

Sous les rideaux discrets, au fond du vieil hospice,
Les sylphes de Saint-Louis, chantés par Frascator,
Donnent à leurs amants, qui sommeillent encor,
Des baisers dont la trace est une cicatrice.

La rougissante Acnè, l’agaçante Eczéma,
Chéloïs au front pur, Syphilis au cœur tendre,
Purpura, Sycosis, Ephélis, Ecthyma,
Sur la peau des mortels préférés vont s’étendre.

Le jour luit. Une horde envahit les dortoirs,
Portant tabliers blancs avec paletots noirs ;
Ce sont les ennemis des virus et des lymphes.

Ils vont, et devant eux marche le professeur,
Comme un faune jaloux qui s’avance, grondeur,
Pour troubler vos ébats amoureux, belles nymphes.

Q62  T15 (TLF) ecthyma : Affection cutanée, caractérisée par une éruption pustuleuse et ulcéreuse, dont le principal agent est le streptocoque sycosis folliculite staphylococcique suppurée et profonde de la barbe et de la moustache. – ephelis (d’après des dictionaires médicaux en anglais !) corte de tache de rousseur – cheloïs ( ?) aujourd’hui désigne une maladie de la vigne

Versez avec lenteur l’absinthe dans le verre, — 1882 (9)

Dr G.C. (Camuset ?) in G.J. Witkowski : Anecdotes médicales

Aux buveurs d’absinthe

Versez avec lenteur l’absinthe dans le verre,
Deux doigts, pas davantage, ensuite saisissez
Une carafe d’eau bien fraîche : puis versez
Versez tout doucement, d’une main bien légère.

Que petit à petit votre main accélère
La verte infusion, puis augmentez, pressez
Le volume de l’eau, la main haute : et cessez
Quand vous aurez jugé la liqueur assez claire.

Laissez-la reposer une minute encor,
Couvez-la du regard comme on couve un trésor :
Aspirez son parfum qui donne du bien-être !

Enfin, pour couronner tant de soins inouïs,
Bien délicatement prenez le verre – et puis
Lancez sans hésiter le tout par la fenêtre.

Q15  T15

Coiffeur ! tu me trompais, quand, par tes artifices, — 1882 (8)

Dr G.C. (Camuset ?) in G.J. Witkowski : Anecdotes médicales

Calvitie

Coiffeur ! tu me trompais, quand, par tes artifices,
Tu disais raffermir mes cheveux défaillants,
Ceux qu’avaient épargnés tes fers aux mors brûlants,
Tu les assassinais d’eaux régénératrices. !

Tu m’as causé, coiffeur, de si grands préjudices,
Que je te voudrais voir, ayant perdu le sens,
Sur toi-même épuiser tes drogues corruptrices
Et tourner contre toi des engins mafaisants.

Ainsi, quand l’ouragan s’abat sur la futaie,
D’un souffle destructeur il arrache et balaie
La verte frondaison qui jonche le chemin.

Au bocage pareil, mon front est sans mystère,
Il ne me reste plus un cheveu sur la terre,
Et je gémis, songeant au crâne de Robin*

* Professeur d’histologie à la Faculté de Paris

Q14  T15

Primo Religion : – La vieille grimacière — 1882 (6)

Eugène Pottier in Œuvres complètes (ed.1966)

La Sainte Trinité

Primo Religion : – La vieille grimacière
Qui vous la fait, jobarde, au dogme, au sacrement,
Qui tient l’homme à genoux en l’appelant : Poussière
Et vous vend du miracle en sachant qu’elle ment.

Propriété : – Mais moi, mobilière ou foncière
Je proviens du travail ! – oui, c’est ton boniment :
Mais le travail s’en plaint, honnête financière,
Tu l’as dévalisé par ton prélèvement.

Ordre enfin ! – un César, un général qui sacre,
Qui maintient au-dedans la paix par le massacre
Et le guerre au-dehors sans risquer un cheveu.

Très Sainte Trinité, c’est toi qui nous rançonne :
Prêtre, usurier, soudard : sur terre en trois personnes,
Le mensonge, le vol et le meurtre sont Dieu.

Q8  T15

Peut-être pourrions-nous aimer, ma petite, — 1882 (4)

Le Chat Noir

Jean Moréas

A Maggy

Peut-être pourrions-nous aimer, ma petite,
Et goûter le bonheur charmant  d’un tendre amour;
Mais, il faut des brillants, des chapeaux Pompadour,
Et des mots truffés dans ce monde sybarite.

Si je dis que je t’aime et que mon coeur palpite
Quand je baise ta gorge au gracieux contour
Hélas! je ne suis pas un banquier de Hambourg,
Et tu me répondras  » que tu t’en bats l’orbite ».

Je voudrais te bâtir un frais cottage, au bout
D’un jardin parfumé d’aubépine et de rose
Pour que tu passes là contente le mois d’août.

Mais l’homme propose et le louis d’or dispose …
Et je n’ai que mon coeur qui ne vaut pas grand chose
Et mon corps fatigué qui ne vaut rien de tout.

Q15 – T21

C’était un tout petit homard des Batignolles — 1882 (3)

Le Chat Noir

Docteur Camuset

Le homard
Sonnet à la Coppée

C’était un tout petit homard des Batignolles
Nous l’avions acheté trois francs, place Bréda,
En vain pour le payer moins cher, on marchanda,
Le fruitier, coeur loyal, n’avait qu’une parole.

Nous portions le cabas tous deux à tour de rôle.
Comme nous arrivions au rempart, Amanda
Entre dans un débit de vins, y demanda
Deux setiers, – le soleil dorait sa tête folle.

Puis ce furent des cris, des rires enfantins,
Elle avait un effroi naïf des intestins
Dont, je dois l’avouer, l’odeur était amère.

Nous revînmes le soir, peu nourris, mais joyeux
Et d’un petit homard nous fîmes trois heureux.
Car elle avait gardé les pattes pour sa mère!

Q15 – T15

Des nuits du blond et de la brune — 1882 (2)

Gardéniac?

Poison perdu

Des nuits du blond et de la brune
Pas un souvenir n’est resté
Pas une dentelle d’été,
Pas une cravate commune;

Et sur le balcon où le thé
Se prend aux heures de la lune
Il n’est resté de trace, aucune,
Pas un souvenir n’est resté.

Seule au coin d’un rideau piquée,
Brille une épingle à tête d’or
Comme un gros insecte qui dort.

Pointe d’un fin poison trempée,
Je te prends, sois-moi préparée
Aux heures des désirs de mort.

Q10 – T27 – octo Les rimes des tercets sont non classiques (or/ort et –ée sans appui) – Le mot ‘resté’ est deux fois à la rime

Ce beau sonnet, paru sous pseudonyme, est attribué soit à Rimbaud soit (plus généralement) à Germain Nouveau. Les critiques ont sans doute raison. On peut cependant lui reconnaître, dans le ton, plutôt une parenté avec Charles Cros (‘Et quelle morale? aucune ‘(Liberté)). Cependant l’irrégularité des rimes conduit plutôt à éliminer tous ces noms.

Une vierge au long voile, émue et toute rose; — 1882 (1)

Léo Trézenik (Pierre Infernal)Les gouailleuses

A l’église

Une vierge au long voile, émue et toute rose;
Un monsieur relié, comme un livre, en chagrin;
L’église, triste, avec son grand calme serein,
Et l’enlacement froid de son ombre morose.

On les marie: au doigt il lui passe l’anneau.
Un prêtre au geste digne, à la fâce blêmie,
Leur affirme, en latin, que tous deux pour la vie
Sont tenus de s’aimer de par l’ordre d’en Haut.

Et moi, dissimulé derrière une colonne,
J’écoutais, l’air narquois, cette chose bouffonne,
Quand, navré tout à coup, je me pris à songer

Les yeux fixés sur la pauvre fleur d’oranger
Qu’on voyait à travers du voile diaphane,
Que les pharmaciens en font de la tisane!

Q63 – T20

Les femmes en pays vaincus aiment la guerre. — 1881 (19)

Paul Déroulède in  Le Tintamarre (février)

« Au banquet offert par madame Adam …M. Paul Déroulède a lu un charmant sonnet de M. Marc Monnier, recteur de l’Université de Genève, et un autre sonnet … de lui-même. Celui-ci, nous sommes heureux de pouvoir en publier le texte

Les femmes en pays vaincus aiment la guerre.
Vous souvient-il par qui ces mots furent écrits,
Madame, et dans quel lieu, inspiré par Homère
Une Grexcque de France ose jeter ces cris ?

C’est une Grecque, hélas ! comme l’on n’en vit guère
Brave comme Pallas, belle comme Cypris,
Et même elle aurait eu quelque muse pour mère
Que, qui la connaît bien, n’en serait pas surpris.

Sa grâce et par beauté vous charment quoi qu’on fasse ;
Mais d’aller lui déplaire, en la nommant en face,
La crainte que j’en ai l’interdit à ma voix,

J’aurais trop de remords à troubler son sourire.
Elle me permettra seulement de lui dire :
C’est cette Grecque-là, madame, à qui je bois

« dans quel lieu, inspiré, comme hiatus, n’est pas mal réussi, et comme faute d’orthographe, donc !
«  que, qui la connaît bien » !
«  vous charment , quoi qu’on fasse »
« Assez, n’est-ce pas ?

Q8 – T15 –