Archives de catégorie : Genre des rimes

Publier vos sonnets ! quelle mouche vous pique ? — 1881 (18)

Ernest Lafond Sonnets aux étoiles

Publier vos sonnets ! quelle mouche vous pique ?
C’est un genre ennuyeux, je vous le dis tout net.
— Permettez, permettez, cher monsieur, le sonnet
Est un cadre mignon, une médaille antique,

Un coffret ciselé. — Dites donc un cornet. —
Ils sont courts. — Mais nombreux ; leur race est prolifique,
Et j’aimerais mieux lire un long poème épique.
Quand il est isolé, c’est un fat en corset.

Puis le trait de la fin… Toujours la même chute ;
Dans le même fossé c’est la même culbute ;
Ce que Molière en dit, vous vous en souvenez ?

Il va parler encor… Je vous passe le reste ;
Mais n’allez pas, lecteur, souhaiter, comme Alceste,
Que je fasse une chute à me casser le nez.

Q16  T15  s sur s

Pourquoi nier l’amour ? il existe en ce monde — 1881 (17)

Cécile Coquerel (C.Ga y) Matin et soir

Sonnet

Pourquoi nier l’amour ? il existe en ce monde
Bienheureux mille fois celui qui l’a trouvé
Et qui ressent au cœur cette ivresse profonde
D’avoir connu l’amour après l’avoir rêvé.

Sur la terre où tout change et s’enfuit comme l’onde,
Ce dont on vit le plus, c’est encor du passé.
Le souvenir est doux quand notre espoir se fonde
En un séjour meilleur, dont le deuil est chassé.

C’est là qu’on doit ouvrir son âme tout entière,
C’est là qu’est l’idéal et notre vrai milieu.
Ah ! plus d’absence au ciel et de douleur amère

Sur cette terre, au moins, n’élevons de barrière
Qu’au préjugé mesquin, qu’à l’amour éphémère,
Car aimer maintenant, c’est s’approcher de Dieu.

Q8  T16

Es-tu bien sûr, ami, qu’elle n’ait pu l’entendre ; — 1881 (16)

Cécile Coquerel (C.Ga y) Matin et soir

Réponse à Arvers

Es-tu bien sûr, ami, qu’elle n’ait pu l’entendre ;
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas ?
Une femme, crois-moi, sait toujours le comprendre
Ce langage muet qui se parle tout bas.

Si Dieu l’avait créée à la fois douce et tendre,
Elle a dû se livrer de douloureux combats,
Et tenir à deux mains son coeur pour le défendre
Contre un amour si vrai qu’il ne se trahit pas.

A l’austère devoir pieusement fidèle,
Sa vertu la plus haute était peut-être celle
De paraître insensible et distraite à ta voix.

Penses-tu seul avoir un secret dans ton âme ?
Il est sur cette terre, ami, plus d’une femme
Qui garde un front serein tout en traînant sa croix.

Q 8  T15 – arv

Cette réponse a été ensuite gravée par les soin de mademoiselle Casalonga qui l’a mis en musique

Mes aïeules ont cru pendant des mille années — 1881 (11)

Paul Marrot Le chemin du rire

Les paradis fantaisistes, I

Mes aïeules ont cru pendant des mille années
Que l’âme, étant divine, avait des destinées;
C’est pourquoi, dégoûté d’un monde bestial,
Parfois, j’ai des rappels vers un monde idéal.

Mes aïeux ont compris après des mille années
Qu’on les trompait par des chimères surannées,
Que les sermons étaient des farces; c’est pourquoi
J’ai senti l’ironie éclore et rire en moi.

La vieille illusion, en ma cervelle, alterne
Ses airs avec les airs de la raison moderne,
Et le tout s’entremêle en étrange opéra.

Le doute est ondoyant, et fait de poésie,
Dans les champs où le blé des forts un jour croîtra,
Je te cueille, herbe folle, ô fleur de fantaisie!

Q19 – T14 – aabb  aab’b’ ! sévèrement anormal: les six premiers vers, du point de vue des rimes, s’isolent.

Blanchisseuse aux robustes hanches, — 1881 (9)

A. GillLa muse à bibi

Pour la blanchisseuse

Blanchisseuse aux robustes hanches,
Quand avril, sur le ciel léger,
Fait les nuages voltiger,
En délicates avalanches,

J’imagine les choses blanches
Qu’après la lessive, au verger,
Les petites mains font neiger
Sur les cordes et sur les branches,

Et que jaloux de copier
Jusqu’aux détails de son métier,
Fille exquise, le ciel te singe;

Et je songe en riant: parbleu!
Voici qu’aux bords du pays bleu
Les anges font sécher leur linge.

Q15 – T15 – octo

Sainte Thérèse veut que la Pauvreté soit — 1881 (7)

Paul VerlaineSagesse

Sainte Thérèse veut que la Pauvreté soit
La reine d’ici-bas, et littéralement!
Elle dit peu de mots de ce gouvernement
Et ne s’arrête point aux détails de surcroît;

Mais le Point, à son sens, celui qu’il faut qu’on voie
Et croie, est ceci dont elle la complimente:
Le libre arbitre pèse, arguë et parlemente:
Mais le pauvre de coeur décide et suit sa voie.

Qui l’en empêchera? De voeux il n’en a plus
Que celui d’être un jour au nombre des élus,
Tout-puissant serviteur, tout-puissant souverain,

Prodigue et dédaigneux, sur tous, des choses eues,
Mais accumulateur des seules choses sues,
De quel si fier sujet, et libre, quelle reine!

Q15  T6 abba a*b*b*a* ccd c*c*d* – (si x est une rime masculine, x* désigne la rime féminine qui s’en déduit: -oit / -oie; -ent/ -ente; -us/ -ues; -ain / eine) exemple de ce que Noël Arnaud nomme ‘rimes hétérosexuelles’

L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable. — 1881 (3)

Paul VerlaineSagesse

L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t’endormais-tu le coude sur la table?

Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.

Midi sonne, De grâce éloignez-vous, madame.
Il dort. C’est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.

Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah, quand refleuriront les roses de septembre!

Q63 – T14

Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme, — 1881 (2)

Paul VerlaineSagesse

Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme,
Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.
Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ:
Une tentation des pires. Fuis l’infâme.

Ils ont lui tout le jour en long grêlons de flamme,
Battant toute vendange aux collines, couchant
Toute moisson de la vallée, et ravageant
Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame.

O pâlis, et va-t’en, lente et joignant les mains.
Si ces hiers allaient manger nos beaux demains?
Si la vieille folie était encore en route?

Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer?
Un assaut furieux, le suprême, sans doute!
O va prier contre l’orage, va prier.

Q15 – T14 – banv

Du sein des riches fleurs d’Asie — 1881 (1)

Arthur BretonLe Garde-forestier. sonnets –

Le Sonnet

Du sein des riches fleurs d’Asie
Le parfum sort plus pénétrant
Et l’or du Palerne enivrant
S’épure en l’amphore choisie.

Le Sonnet d’émail transparent
Ainsi fait luire, ô poésie,
Ta quintessence d’ambroisie
Dans son beau calice odorant;

Et, lorsqu’on penche cette coupe,
Qu’à vives facettes découpe
La pointe du vers raffiné,

L’idée au travers étincelle,
Et plus poétique ruisselle
Du Vase avec art buriné.

Q16 – T15 – octo – s sur s