Archives de catégorie : Genre des rimes

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles, — 1872 (9)

Rimbaud


Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glacier fiers, rois blancs, frissons d’ombelles;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges:
– O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux!

Q16 – T15

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées; — 1872 (7)

Rimbaud

Ma Bohème
(fantaisie)

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot aussi devenait idéal;
J’allais sous le ciel, Muse! et j’étais ton féal;
Oh! là là! Que d’amours splendides j’ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ce bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!

Q63 – T15

Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines — 1872 (5)

Rimbaud

Au Cabaret-Vert

Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi.
– Au Cabaret-Vert: je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table
Verte: je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. – Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,

– Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure! –
Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,

Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, – et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.

Q59 – T15

C’est un trou de verdure où chante une rivière 1872 (4)

Rimbaud

Le dormeur du val

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent; où le soleil, de la montagne fière,
Luit: c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Q59 – T15

Tandis que les crachats rouges de la mitraille — 1872 (3)

Rimbaud

Le Mal

Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l’infini du ciel bleu;
Qu’écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu;

Tandis qu’une folie épouvantable broie
Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant;
– Pauvres morts! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,
Nature! Ô toi qui fis ces hommes saintement! … –

– Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l’encens, aux grands calices d’or;
Qui dans le bercement des hosannah s’endort,

Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir!

Q59 – T30

Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize, — 1872 (2)

Rimbaud

 » … Français de soixante-dix, bonapartistes, républicains, souvenez-vous de vos pères en 92, etc….

– Paul de Cassagnac. Le Pays

Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,
Qui, pâles du baiser fort de la liberté,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse
Sur l’âme et sur le front de toute humanité;

Hommes extasiés et grands dans la tourmente,
Vous dont les cœurs sautaient d’amour sous les haillons,
Ô soldats que la Mort a semé, noble Amante,
Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons;

Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d’Italie,
Ô millions de Christs aux yeux sombres et doux;

Nous vous laissions dormir avec la République,
Nous, courbés sous les rois comme sous une trique.
Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous.
Fait à Mazas, 3 septembre 1870

Q59 – T15

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête — 1872 (1)

Rimbaud

Vénus anadyomène

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés;

Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent; le dos court qui rentre et qui ressort;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates;

L’échine est un peu rouge; et le tout sent un goût
Horrible étrangement; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe …

Les reins portent deux mots gravés: CLARA VENUS;
– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

Q60 – T14

J’aimais autrefois la forme païenne; — 1871 (12)

Parnasse contemporain, II

Théophile Gautier

Sonnet

J’aimais autrefois la forme païenne;
Je m’étais créé, fou d’antiquité,
Un blanc idéal de marbre sculpté
D’hétaïre grecque ou milésienne.

Maintenant j’adore une italienne,
Un type accompli de modernité,
Qui met des gilets, fume et prend du thé,
Et qu’on croit anglaise ou parisienne.

L’amour de mon marbre a fait un pastel,
Les yeux blancs ont pris un ton de turquoise,
La lèvre a rougi comme une framboise,

Et mon rêve grec dans l’or d’un cartel
Ressemble aux portraits de rose et de plâtre
Où la Rosalba met sa fleur bleuâtre.

Q15 – T30 – tara

Voici l’Hiver aux mains livides — 1871 (7)

Joséphin Soulary Oeuvres poétiques


Jours froids

Voici l’Hiver aux mains livides
Ses dents sans pain claquent de froid
Sa voix pleure comme un beffroi;
Ce sont des fosses que ses rides.

L’Ennui bat nos fronts assombris;
La brume abaisse le ciel gris;
Adieu les horizons sans bornes!

Comme un essaim d’oiseaux mouillés,
Nos beaux Amours éparpillés
Rentrent au nid, frileux et mornes.

Chaque hiver leur nombre décroit;
Et le cœur trébuche en ses vides,
Comme un promeneur à l’étroit
Dans l’enclos des tombes humides.

QTTQ octo

Mon cœur est une tour perdue — 1871 (6)

Joséphin Soulary Oeuvres poétiques

Le sonneur

Mon cœur est une tour perdue
En vedette sur l’étendue;
Il y pend deux timbres d’airain.

L’un est la cloche d’allégresse,
L’autre est le tocsin de détresse;
Le sonneur les mène bon train!

Toujours en quête d’un nuage;
Toujours le nez au firmament,
De ses cloches; à tout moment;
L’espiègle intervertit l’usage;

Il sonne en mort le mariage,
En baptême l’enterrement.
Se tromperait-il sciemment?
N’est-ce qu’un fou! Serait-ce un sage?

s.rev  – octo