Archives de catégorie : Genre des rimes

Un jour, je rencontrai dans une brasserie, — 1863 (5)

Antonio Zingaro Sonnets et autres rimes

Les chanteurs du Tyrol

Un jour, je rencontrai dans une brasserie,
Mélancoliquement attablés et mangeant
Un raifort qu’ils piquaient dans un peu de sel blanc,
Deux pâtres du Tyrol ; plus en leur compagnie

Une très belle fille en corset de velour,
Chapeau de feutre noir et galon d’or autour.
Ils avaient fort grand air, et plus d’une Duchesse,
Aurait de cette fille envié la noblesse.

J’approchai d’eux mon verre et je bus, en causant :
Ils étaient de Carlssteg et s’en allaient, chantant.
Quand je leur demandai s’ils étaient sœur et frère,

Tous trois, d’une même cœur, entrechoquant leur verre,
Et partageant en trois un gâteau de maïs,
Me dirent seulement : nous sommes du pays.

Q61  T13

Elle, aux bras de cet homme! oh! non, mon Eugénie — 1863 (2)

J. Ernault Les préludes

First Love VI

Elle, aux bras de cet homme! oh! non, mon Eugénie
Est, et sera toujours fidèle à son amant;
De n’aimer que moi seul elle a fait le serment:
Elle, aux bras de cet homme! injure! Calomnie!

Oh! c’est que, voyez-vous, son amour, c’est ma vie:
Amis, si vous saviez quel sourire charmant
M’accueille, et quand je pars quel regard enivrant…
Vous diriez comme moi: cette chose est folie!

Elle, aux bras de cet homme! Est-ce que le vautour
S’unit à la colombe? Est-ce que par amour
La gazelle voudrait du tigre être la femme?

L’abeille épouse-t-elle un insecte hideux?
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Q15 – ccd e – sonnet interrompu par la stupeur indignée

Parce que de la viande était à point rôtie — 1862 (11)

Mallarmé in  Oeuvres complêtes – Poésies

Parce que de la viande était à point rôtie
Parce que le journal détaillait un viol,
Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtie
La servante oublia de boutonner son col,

Parce que d’un lit, grand comme une sacristie,
Il voit, sur la pendule, un couple antique et fol,
Ou qu’il n’a pas sommeil, et que, sans modestie,
Sa jambe sous les draps frôle une jambe au vol,

Un niais met sous lui sa femme froide et sèche,
Contre ce bonnet blanc frotte son casque-à-mèche
Et travaille en soufflant inexorablement:

Et de ce qu’une nuit, sans rage et sans tempête,
Ces deux êtres se sont accouplés en dormant,
O Shakspeare et toi, Dante, il peut naître un poète!

Q8 – T14

Le vert colibri, le roi des collines, — 1862 (8)

Leconte de Lisle Poèmes barbares

Le colibri

Le vert colibri, le roi des collines,
Voyant la rosée et le soleil clair
Luire dans son nid tissé d’herbes fines,
Comme un frais rayon s’échappe dans l’air.

Il se hâte et vole aux sources voisines
Où les bambous font le bruit de la mer,
Où l’açoka rouge, aux odeurs divines,
S’ouvre et porte au coeur un humide éclair.

Vers la fleur dorée il descend, se pose,
Et boit tant d’amour dans la coupe rose,
Qu’il meurt, ne sachant s’il l’a pu tarir.

Sur ta lèvre pure, ô ma bien-aimée,
Telle aussi mon âme eût voulu mourir
Du premier baiser qui l’a parfumée!

Q8 – T14 – tara

O vous qui dans ces chants pleins de mélancolie, — 1862 (7)

Henri Pell Poésies diverses

Imitation de Pétrarque

O vous qui dans ces chants pleins de mélancolie,
Ecoutez attentif le son de ces soupirs,
Qui nourrissaient mon coeur au temps de sa folie,
Alors qu’il bouillonnait d’ardeur et de désirs;

Je raconte en mes vers sur ma lyre amollie
Les chimériques maux, les futiles plaisirs,
Vous tous qui de l’amour gardez les souvenirs,
Vous plaindrez la douleur dont mon âme est remplie.

Maintenant que l’amour est éteint dans mon coeur,
Je sens avec effroi que ma funeste ivresse,
Fut longtemps un jouet pour un monde moqueur.

Mes erreurs m’ont laissé la honte et la tristesse,
Et j’entrevois, hélas!, dans mon accablement
Que tout est ici-bas chimère et denûment.

Q9 – T23 – tr  (Pétrarque, rvf 1)

Quand le sonnet renferme une mâle pensée — 1862 (5)

Charles FretinFolles et sages

Le sonnet
I

Quand le sonnet renferme une mâle pensée
Eclatant à la fin par un sublime vers,
C’est la frégate armée, à l’horizon des mers
Se montrant tour à tour, sur la vague bercée;

Comme par un vent frais, elle approche poussée,
Harmonieux miroir, bientôt les flots amers
Reflètent ses grands mâts qui balancent les airs,
Son pavillon qui flotte et sa taille élancée.

Tandis que dans l’azur et du ciel et des eaux
Vous regardez tranquille onduler ses drapeaux,
Elle, dans les canons, presse et presse la poudre;

Puis, rapide, elle accourt, toutes voiles dehors,
Et, faisant feu soudain du port et des sabords,
Sur vous lance en passant les éclairs et la foudre.

Q15 – T15 – s sur s

Oui, mon aimé cousin, oui, mon digne homonyme, — 1861 (10)

Prosper Delamare Petites comédies par la poste

Paquet de sonnets, V

Oui, mon aimé cousin, oui, mon digne homonyme,
J’aime un cercle d’amis, où la gaîté s’anime,
Unanime.
C’est fort bien de gémir sur les divers fléaux ;

Mais le cœur brille aussi dans l’hilarité franche !
Nos yeux ne sont-ils donc qu’hydrauliques tuyaux ?
Voilons-nous vendredi ! mais rayonnons, dimanche !
A qui veut tout savoir je laisse le chaos ;

L’enfer au chant épique ; au grenier l’arme blanche ;
Que l’intrigant, front bas, chemine aux emplois hauts ;
Qui d’écus ou d’honneurs a soif vive, l’étanche !

Ma gloire à moi serait que mon verbe sans frein
Vous mît, chers compagnons, à mon joyeux lutrin,
Tous en train !

TQQT 2m : v3,14 :3s

Ne soyons pas honteux de voir nos pleurs descendre — 1861 (9)

José-Marie de Heredia in Revue d’histoire littéraire de la France (1997 )

Amour immortel

Ne soyons pas honteux de voir nos pleurs descendre
Quand de nos souvenirs nous remuons les cendres ;
Laissons vers l’amitié s’élancer de nos cœurs
Les joyeux chants d’amour et les cris de douleur.

L’Amour est immortel ; comme la salamandre
Il se nourrit de feu ; ses subtiles ardeurs
Nous paraissent mourir pour aussitôt reprendre
Vigueur, comme l’acier, sous l’eau vive des pleurs.

Oh ! laissons-nous aimer, laissons brûler notre âme
A l’éternel foyer de l’amour infini !
Il ne faut pas tenter de profaner sa flamme.

Ne rougissons jamais du premier nom de femme
Qui nous a fait tembler, que nous avons bêni ;
Car il reste le Dieu, quand l’amour est fini.

Q3  T18

Pour chanter la Gloire éternelle, — 1861 (7)

Victor Fleury Les échos

Soeur charité

Pour chanter la Gloire éternelle,
Prendre part aux divins concerts,
Votre soeur vous appelle-t-elle
Du parvis des cieux entr’ouverts?

Que pour rejoindre ma Fauvette,
Vous fuyez, méchants déserteurs,
Sans qu’aucun de vous ne regrette
Et prenne pitié de mes pleurs?

Partez donc, ingrats que vous êtes
Vous dont les chants m’étaient des fêtes
Qui vêcutes de mes amours:

Envolez-vous auprès de Anges,
Moi, je suis condamnée aux fanges
Qui souillent notre humain séjour!

Q32 – T15   octo