Archives de catégorie : Genre des rimes

J’ai perdu ma force et ma vie, — 1850 (2)

Alfred de Musset Poésies nouvelles

Tristesse

J’ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand j’ai connu la Vérité
J’ai cru que c’était une amie;
Quand je l’ai comprise et sentie,
J’en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d’elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d’avoir quelquefois pleuré.

Q16 – T15 – octo

Si quelqu’un venait dire avec un front sévère: — 1850 (1)

Alphonse Le FlaguaisOeuvres poétiques complètes

Chateaubriand

Si quelqu’un venait dire avec un front sévère:
– Tout homme dans le siècle ou s’égare ou faiblit.
Toute vertu s’éteint, tout nom brillant pâlit;
Il n’est pas un mortel digne qu’on le révère!

D’audacieux acteurs la scène se remplit:
Un peu de renommée est leur triste chimère.
Chacun veut respirer un encens éphémère,
Et pour un faux honneur tout homme s’avilit!

– Je répondrais:  » Voyez ce sage qui s’isole:
Lui dont le monde entier adorait la parole,
Dans son manteau sans tache il s’est enveloppé.

Oh! Qu’il est noble, grand, loin du chaos immense,
Oeuvre d’ambitieux, qui ne l’ont pas trompé,
Et qu’il est éloquent jusque dans son silence ».

Q16 – T14

La vie et son matin me disaient : Espérance ! — 1849 (6)

– Auguste Brizeux in Revue de Lille (1900)

L’arbre du Nord

La vie et son matin me disaient : Espérance !
Une immense journée apparaît devant toi :
Dans ton magique empire arrive, jeune roi ;
L’oiseau chante, la fleur embaume, et c’est en France !

Voici venu midi, morne, silencieux ;
L’oiseau cache, endormi, sa tête sous son aile,
La fleur tombe, épuisée et l’âme fait comme elle.

Ranime ces langueurs, ô matin gracieux !
Que rapide elle a fuit, la journée éternelle !
La nuit tombe, un long crêpe enveloppe les cieux.

Mais une autre, plus belle, à l’horizon commence,
Elle vient, doucement, poindre aux yeux de la foi.
Chantez, oiseaux du ciel ! fleurs d’or, brillez sur moi !
Ah ! voici la journée invariable, immense.

Q1 (abba) T1 (cdd) T2 (cdc) Q2 (abba) – Tercets embrassés dans les quatrains. a.ch : ‘sonnet polaire’.

Comme je revenais hier de la fontaine, — 1849 (5)

Antonio Spinelli Sur les grèves

La sœur cadette

Comme je revenais hier de la fontaine,
A l’heure où les oiseaux finissent leur chanson,
Dans les bois, où fleurit en la belle saison
La fleur que j’aime tant, la douce marjolaine ;

J’aperçus Marguerite avec un beau garçon.
Je m’arrêtai soudain, retenant mon haleine ;
Puis sur l’herbe posant ma cruche toute pleine
Je me cachai tremblant à l’ombre d’un buisson.

Longtemps, oh bien longtemps, au milieu du silence,
J’écoutai ces deux voix qui parlaient d’espérance,
Et je compris enfin le mot de leur bonheur.

Le jeune homme disait en son ivresse extrême,
Oh Marguerite …. – eh bien ! que disait-il, ma sœur ?
La fleur avait raison, il lui disait : Je t’aime.

Q16  T14

Des mains de l’Eternel, adorable mélange — 1849 (4)

Charles Dugge Les tableaux plastiques

Eloge de Mme Keller, grand actrice plastique
Sonnet traduit de l’italien du Prince de F. de Carignan

Des mains de l’Eternel, adorable mélange
De suave pudeur, de chaste volupté,
Ainsi dût sortir Eve, en l’Eden enchanté,
Vivant de cette vie ineffable de l’ange !

Tantôt mon œil te voit, – de l’art merveille étrange ! –
Maîtrisant, AMAZONE, un cheval indompté,
Lance en main, et tantôt, plus douce en ta beauté,
Nouvelle DIONEE, en roc ton corps se change !

Comme sous le ciseau du sculpteur allemand,
Tu parais, de Minos ou la fille divine
Ou la Psyché céleste, ou la molle EUPHRASINE !

Et toujours belle et vraie … Ah ! ton art est si grand
Et se surpasse encor, quand, fière en sa victoire
Tu veux représenter l’Italie et sa gloire.

Q15  T30

Toi, l’amour de mon cœur, l’espoir de ma vieillesse, — 1849 (3)

Alphonse Chaulan L’Arc-en-ciel

Sonnet à …

Toi, l’amour de mon cœur, l’espoir de ma vieillesse,
Etoile solitaire en mon cœur orageux,
Ma Caroline, avec ces poétiques jeux,
Reçois le pur encens de toute ma tendresse.
J’invoque, pour veiller sur ta frêle jeunesse,
Ta noble mère, assise au séjour des heureux ;
Ah ! puisse, cher enfant, notre zèle et nos vœux,
Vers un port de bonheur diriger ta faiblesse !
Un jour, lorsque le temps et la réflexion
Chasseront les vapeurs de tes illusions,
A mes mânes errants tu diras je l’espère :
Ami, tu disais vrai : le monde avec ses fleurs,
Ses plaisirs d’un moment, ses trompeuses erreurs,
Ne remplace jamais l’amour d’un tendre père.

Q15  T15  sns

Nous t’aimions bien jadis quand sur ta triste harpe — 1849 (2)

Baudelaire in La Silhouette

A une jeune saltimbanque

Nous t’aimions bien jadis quand sur ta triste harpe
Tu raclais la romance, et qu’en un carrefour,
Pour attirer la foule à voir tes sauts de carpe,
Un enfant scrofuleux tapait sur un  tambour;

Quand tu couvais de l’oeil, en tordant ton écharpe,
Quelque athlète en maillot, Alcide fait au tour,
Qu’admire le bourgeois, que la police écharpe,
Qui porte cent kilogs et t’appelle mamour.

Ta guitare enrouée et ta jupe à paillettes
Etalaient à nos yeux le rêve des poëtes,
La danseuse d’Hoffmann, Esmeralda, Mignon.

Mais déchue à présent, te voilà, ma pauvre ange,
Sultane du trottoir, ramassant dans la fange
L’argent qui doit soûler ton rude compagnon.

Q8 – T15 Paru sous la signature de Privat d’Anglemont ce sonnet à été restitué à Ch.B. par W.T. Bandy.

Souvent je me promène aspirant dans mon âme, — 1849 (1)

Charles PotvinPoésies politiques et élégiaques


La lecture

Souvent je me promène aspirant dans mon âme,
– Vive évocation pleine d’un doux émoi,
Le génie exalté d’un barde au coeur de flamme
Qui revit, palpitant et s’inspirant pour moi;

Je le comprends, lui parle, il répond, je le voi,
Et nous nous échangeons, comme un noble dictame,
Lui, les célestes feux dont sa muse s’enflamme,
Moi, mes rêves d’amour, mon idéal, ma foi.

Je lui parle de vous… rayonnante de grâce,
Vous vous levez ainsi qu’un astre; et tout s’efface,
Le livre est oublié, je ne vois plus que vous;

Je n’ai qu’une pensée, un but qui m’extasie:
Courir en votre coeur puiser ma poésie,
Vous redire un aveu plus ardent et plus doux.

Q10 – T15

Lorsque dans ma route isolée — 1848 (5)

Eugène Debons Chants d’amour

Lorsque dans ma route isolée
Ton regard vient, plein de douceur,
Me montrer la voûte étoilée
Où s’élance mon cœur ;

Tel, se glissant, dans la vallée,
Un joyeux rayon de chaleur
Rend à la fleur étiolée
La vie et le bonheur.

Quand ton sourire, après l’orage,
Dissipe le sombre nuage
Qui me voilait les cieux ;

O blanche étoile de mon âme !
Qu’il m’est doux, guidé par ta flamme,
De baiser tes beaux yeux !

Q8  T15  2m

Vous qui lisez mes vers, et, d’une oreille sage, — 1848 (2)

Camille Esménard du MazetPoésies de Pétrarque

1

Vous qui lisez mes vers, et, d’une oreille sage,
Ecoutez les soupirs dont j’ai nourri mon coeur,
Rappelez-vous qu’alors j’étais dans le jeune âge,
Que je suis revenu de ma trop douce erreur.

Du trouble à la raison, des pleurs à l’espérance,
Si d’un style inégal je passe tour à tour,
Sûr d’être pardonné, j’invoque l’indulgence
De ceux qui parmi vous aurons connu l’amour.

Je sais bien qu’aujourd’hui que le regret m’accable,
Pourquoi du monde entier je fus long-temps la fable:
Oui, je le sais, de moi je n’ai plus qu’à rougir.

Je reconnais encore, après tant de folie,
Que tout ce qui nous plaît et charme notre vie
Est un songe trompeur qu’un instant voit finir.

Q59 – T15 –  (Pétrarque, rvf 1)