Archives de catégorie : Genre des rimes

L’allée en longs détours sous la feuille qui tremble — 1846 (7)

Paul Mantz in L’Artiste


Poésie

L’allée en longs détours sous la feuille qui tremble
S’égare. – je descends ses méandres ombreux,
Et, pendant que j’ébauche un sonnet amoureux,
Une mère et son fils, devant moi, vont ensemble.

La mère est jeune et belle, et son fils lui ressemble;
Ils sont blonds l’un et l’autre et l’un par l’autre heureux ;
Je crois les voir s’aimer et se sourire entre eux
Comme deux frais pastels qu‘un seul cadre rassemble.

Retenus tout le jour dans l’austère maison,
Oiseaux à l’aile vive, ils quittent leur prison
Quand les loisirs du soir à leurs ennuis font trève ;

Ils prennent un sentier dans le bois, et souvent
Jusques à la nuit close ils s’en vont poursuivant
L’enfant ses papillons et la mère son rêve.

Q15  T15

Il est des moments de mélancolie — 1846 (6)

Alfred des Essarts Les chants de la jeunesse

Il est des moments de mélancolie
Où le cœur se lasse, où coulent les pleurs,
Où le noble espoir s’appelle folie,
Où l’homme à plaisir cherche des douleurs.

Il est des moments où brille la joie
Alors à nos yeux le ciel est d’azur ;
Comme un beau tapis le sol se déploie ;
La fleur est suave et l’air est plus pur.

Mais si le sourire est doux, que de charmes
Vous avez parfois, poétiques larmes !
Et quand trop d’éclat fatigue l’esprit,

Que ne donnerait l’heureux de la terre
A qui le destin constamment sourit,
Pour sentir des pleurs mouiller sa paupière !

Q59  T14  tara

Vos cheveux sont-ils blonds, vos prunelles humides? — 1846 (5)

Baudelaire in L’Artiste

Sur l’album d’une dame inconnue

Vos cheveux sont-ils blonds, vos prunelles humides?
Avez-vous de beaux yeux à ravir l’univers?
Sont-ils doux ou cruels? Sont-ils fiers ou timides?
Méritez-vous enfin qu’on vous fasse des vers?

Drapez-vous galamment vos châles en chlamydes?
Portez-vous un blason de gueules et de vairs?
Savez-vous le secret des lointaines Armides?
Ou bien soupirez-vous sous les ombrages verts?

Si votre corps poli se tord comme un jeune arbre,
Et si le lourd damas, sur votre sein de marbre,
Comme un fleuve en courroux déborde en flots mouvants,

Si toute vos beautés valent qu’on s’inquiète,
Ne laissez plus courir mon rêve à tous les vents:
Belle, venez poser devant votre poête!

Q8 – T14

Du temps que je croyais aux dogmes catholiques, — 1846 (2)

Philothée o’ Neddy (Théophile Dondey) – Livres de sonnets

Madonna col bambino

Du temps que je croyais aux dogmes catholiques,
Que mes pensers d’enfance, ardemment ingénus,
Admettaient le pouvoir des saints et des reliques;
Que j’allais des autels baiser les marbres nus;

Parmi les beaux tableaux des grandes basiliques,
Celui que j’adorais, que je priais le plus,
C’était la Vierge blanche aux voiles angéliques,
Dans ses bras maternels portant l’enfant Jésus.

Et – bien que maintenant les doctrines sceptiques
Aient guéri mon cerveau des rêves chimériques
Bien que j’ose nier la Vierge et les élus,

J’ai toujours néammoins des tendresses mystiques,
Pour une femme assise en des prismes confus,
Qui tient un nouveau-né dans ses bras fantastiques.

Q8 – T7 – y=x (c=a, d=b)

Terrible trinité: le maigre Robespierre — 1846 (1)

Philothée o’ Neddy (Théophile Dondey) – Livres de sonnets

Les triumvirs
Terrible trinité: le maigre Robespierre
Entre le beau Saint-Just et l’infirme Couthon,
Trois hommes? Non, trois sphynx-de fer, d’airain, de pierre,
Dévorants léopards, lions – même Danton!

O problème! allier à la grandeur austère
De vertus qu’envieraient l’un et l’autre Caton,
Un fanatisme noir qui fait trembler la terre,
Et qu’au fond de l’Erèbe applaudit Alecthon!

Mais ne tolérons pas que de la bourgeoisie
L’hypocrite sagesse informe et sentencie
Contre ces hauts Nemrods, ces chasseurs de Tarquins.

Cela ne sied qu’aux fils de la démocratie.
Silence donc, silence, ô bourgeois publicains!
A nous seuls de juger ces grands républicains!

Q8 – T8

Le soir, quand je m’assieds près d’elle à la fenêtre, — 1845 (11)

Charles Bethuys Phases du cœur

Discrétion

Le soir, quand je m’assieds près d’elle à la fenêtre,
Effleurant ses genoux de mes genoux tremblans,
De peur des yeux furtifs qui veulent trop connaître,
Je cache mon amour sous quelques faux-semblans.

J’étouffe mes soupirs, toujours prompts à renaître,
Et j’abjure à ses pieds mes rêves accablans :
Elle sourit, et moi que le trouble pénètre
J’ai l’air de regarder la nue aux flocons blancs.

Puis, pour me dérober à ma pose distraite,
Je lis tout haut des vers, et ma bouche discrète
Choisis ceux où l’amour ne se reflète pas.

Le cercle, en m’écoutant, se trompe à l’apparence
Et ne trouve à ma voix que de l’indifférence
Car il ne saisit point ce que je dis tout bas.

Q8  T15

L’hiver, quand l’ouragan se déchaîne avec rage — 1845 (10)

J. Lacou Amours, regrets et souvenirs

Sonnet

L’hiver, quand l’ouragan se déchaîne avec rage
Et attriste la terre, que j’aime, dans la nuit,
A m’éveiller surpris, et entendre le bruit
Que font les éléments, surtout j’aime l’orage

Et la pluie qui tombe et bat avec tapage
Les grands vitraux carrés qui font face à mon lit,
Oh ! j’aime à voir aussi l’éclair qui soudain luit
Et un serpent de feu qui sillonne un nuage ;

Car c’est dans ces moments de terreur et d’effroi
Que le lâche et l’impie ont le cœur en émoi,
Reconnaissant un Dieu et craignant sa colère.

Celui qui fut la veille blasphémateur, méchant,
A la voix du tonnerre devient pâle et tremblant,
Et fait avec ferveur longtemps une prière.

Q15  T15  versification très incorrecte : hiatus : v2, 3, 8,11 – césure épique : v2,12,13 – ‘e’muet non élidé intérieur à un mot : v5 (pluie)

Sarrazin, Benserade et Voiture, — 1845 (7)

Hip. Floran Les amours

A trois poètes

Sarrazin, Benserade et Voiture,
Tous les trois prenez place au sonnet
Qu’à défaut de landau, de voiture,
J’ai pour vous sans façon mis au net.

En sentant dans mon cœur l’ouverture
D’un accès de gaité qui renait,
J’ai voulu suivre à pied l’aventure
Qui vers vous follement m’entrainait.

Vous avez tant d’esprit, tant de grâce,
Et parfois votre muse est si grasse
Que quiconque en serait amoureux ;

Pour ma part, aussi chaud qu’une braise,
J’aime à voir ses appas amoureux,
Et partout comme un Dieu je la baise *

Q8  T14 – 9s « ceci est une manière de dire à des poètes qu’on leur baise la main – et nous avons peut-être bien fait de nous mettre à pied dans cette circonstance, car il est à craindre que le vieux Pégase n’eût pas voulu marcher avec des vers de neuf pieds, coupés par des hémistiches de trois, ce qui, selon nous pourtant, est un rythme plein de grâce et d’entrain ».