Archives de catégorie : Genre des rimes

Amis, à nous la lyre à défaut de l’épée! — 1840 (1)

– comte Ferdinand de GramontSonnets

Ferdinand de Gramont est félicité par Gautier pour avoir choisi (abondamment, en presque 200 exemples) « cette forme si artistement construite, d’un rythme si justement balancé et d’une pureté qui n’admet aucune tache »

Proemium

Amis, à nous la lyre à défaut de l’épée!
Les gaulois sont vainqueurs; de la race des Francs
Nos pères auront clos la royale épopée;
Leurs noms de leurs destins cessent d’être garants.

Puisqu’échappe l’empire à notre main trompée,
Retournons vers les Dieux, laissons, indifférents,
Peser aux révoltés leur puissance usurpée;
Notre gloire à jamais nous chasse de leurs rangs;

Partons donc! et tandis qu’acharnés à la terre
Ils fouilleront ses flancs pour y fonder leur ère,
Le ciel abritera nos malheurs expiés.

Et nous vous atteindrons, couronnes immortelles!
Et nous humilierons, sous l’ombre de nos ailes,
Ces trônes autrefois l’escabeau de nos pieds!

Q8 – T15

A l’heure où Jésus-Christ, au sommet du Calvaire, — 1839 (16)

Antoni Deschamps Résignation

Sonnet imité de Gianni

A l’heure où Jésus-Christ, au sommet du Calvaire,
Poussa le grand soupir et mourut sur la terre,
Dans l’autre monde Adam fut ému de pitié ;
Dans sa couche de fer se levant à moitié,
Tout pâle il se pencha sur Eve, notre mère,
Puis, en la regardant d’un œil triste et sévère :
« Femme, s’écria-t-il d’une funèbre voix
C’est pour vous que ce juste expire sur la Croix ! »

aabbaabb 8v  tr (une sérieuse condensation de l’original !)

Ma Laure au doux regard, ô ma sœur bien-aimée, — 1839 (14)

Louis de Ronchaud Premiers chants

A Laure

Ma Laure au doux regard, ô ma sœur bien-aimée,
Douce fleur qui fleuris sous des abris secrets,
Gente fleur, au matin, de grâce parfumée,
Ta jeunesse est encor l’image de la paix.

Ta jeunesse innocente est encor sans regrets,
Ton âme est une source aux feux du jour fermée,
Qui s’épand doucement sur l’herbe ranimée,
Et de ta mère seule a reflété les traits.

Un jour viendra, ma sœur, que l’époux de ton âme,
Celui qui t’apprendra les pensers d’une femme,
De fleurs, pour t’accueillir, couronnera son seuil.

Alors un toit nouveau d’une nouvelle hôtesse,
Se verra réjoui, tandis que la tristesse,
Viendra prendre sa place à nos foyers en deuil.

Q10  T15

Il est de par le monde une vierge immortelle, — 1839 (13)

Charles Woinez Hier et demain


La poésie

Il est de par le monde une vierge immortelle,
Qui va semant partout le baume de ses vers ;
Pouvant prendre sans cesse une forme nouvelle :
Tantôt fleur des forêts, tantôt oiseau des airs.

Suspendus, en naissant, à sa pure mammelle,
Les peuples ont dormi, bercés par ses concerts :
Vainement on nierait sa puissance éternelle,
Son empire a grandi dans les siècles divers.

Qu’importe que les rois et leurs valets infâmes
S’efforcent d’arracher la poésie aux âmes ?
Plus forte qu’eux, son front domine leur fierté !

Elle ensevelira leurs fausses espérances,
Car, brisant à jamais d’ignobles résistances,
La poésie un jour sera la liberté.

Q8  T15

Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme — 1839 (12)

Auguste Desplaces Une voix de plus

Sonnet A M. Hippolyte Fauche*

Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme
Si vanté de Boileau qui redoutait ses lois ;
Poème italien, dont la facture alarme
Plus d’un rimeur qui n’ose y hasarder sa voix.

Mais contre sa rigueur sa grâce me désarme ;
Et sans dure fatigue, à mon aise, à mon choix,
Je répands, selon l’heure, en ce vase une larme,
Ou d’un rayon d’amour j’en dore les parois.

Oui, cette forme étrange a pour moi peu d’entrave,
Et dans ce champ borné, libre, jamais esclave,
J’ai bien encor, tu vois, le loisir et le lieu

De dire tes élans, ta verve de poète,
Ta prose chatoyante et taillée à facette,
De te donner la main et le salut d’adieu.

Q8  T15  s sur s

* traducteur du sanscrit

Que souvent, aux rayons de tes prunelles noires, — 1839 (9)

Marceline Desbordes-Valmore

A la voix de mademoiselle Mars

Que souvent, aux rayons de tes prunelles noires,
Au bruit de ton nom pur et de tes pures gloires,
Aux magiques pâleurs dont se voilent parfois
Le bonheur sur ton front et le ciel dans ta voix,

J’ai dit de cette voix où l’age se devine,
De ce souffle pudique, et des saintes amours,
Qu’on écoute une fois pour l’entendre toujours,
Que l’on sent se mouiller d’une larme divine!

Ta voix a des parfums, des formes, des couleurs;
Parles-tu d’une fleur, dès que tu l’as nommée,
De ta bouche entr’ouverte elle sort embaumée.

Souffres-tu de l’amour les brûlantes douleurs?
Cette voix dans nos sens verse des étincelles.
Parles-tu d’un oiseau? Tes accents ont des ailes.

Q57 – T30

Un des très rares sonnets de cet auteur . quatrains à quatre rimes, disposition très rare: aabb  a’b’b’a’

Rebuté des humains, flétri par l’infortune, — 1839 (8)

Louis Ayma Les préludes

XXII – Imité de Shakespeare

Love’s Consolation

Rebuté des humains, flétri par l’infortune,
Seul comme en un désert, je déteste mon sort;
Je fatigue le ciel de ma plainte importune,
Et jetant l’oeil sur moi je désire la mort.

J’ai convoité de l’un la féconde espérance,
De l’autre les trésors et les amis nombreux,
De celui-ci les arts, la beauté, la naissance;
Car je n’ai pas reçu du ciel ces dons heureux.

Mais si, dans ces moments de souffrance muette,
Je pense à vous; – alors, pareil à l’alouette
Qui vole vers les cieux aux derniers feux du jour,

Un hymne de bonheur de mon âme s’élance,
Car je préfère à l’or, aux arts, à la naissance,
Le touchant souvenir de votre chaste amour.

Q59 – T15 – tr

On peut regretter que dans son ‘imitation’ du sonnet 29 de Shakespeare (qu’il traduit après Chasles), il ne respecte pas la forme: après deux quatrains en rimes alternées distinctes, il termine par un sizain à la Ronsard .

Lorsqu’en mes jours semés de beaux soleils et d’ombre, — 1839 (7)

Louis Ayma Les préludes


XXXIX – Invocation

« Quelle âme est sans faiblesse et sans accablement » V.Hugo

Lorsqu’en mes jours semés de beaux soleils et d’ombre,
Tu veux intercaler, mon Dieu, quelques jours sombres,
Et me faire expier par des pleurs mes plaisirs.

Quand tu veux sous mes pas entr’ouvrir un abîme,
Des complots des méchants me faire la victime,
De fermer ton oreille à mes pieux soupirs!,

Quand tu veux que je souffre, et que la calomnie
Triomphe quelque jour de ma vertu honnie:
Quand tu veux que je doute, et que sur mon chemin
L’esprit du mal se jette et me tende la main:

Daigne, dans ces moments de secrète agonie,
M’inonder, ô mon Dieu, de torrents d’harmonie;
Fais que la poésie alors sur ses genoux
Me prenne, et sur mon front pose un baiser bien doux.

s.rev. eec ddc bb’a’a’ bbaa – Un sonnet renversé, genre qu’il pratique avant Auguste Briseux.

Sous le pliant osier vous êtes prisonnières, — 1839 (6)

Louis Ayma Les préludes


A mes linottes – Sonnet redoublé

Sous le pliant osier vous êtes prisonnières,
Vous ne respirez pas l’air pur de vos forêts,
Et, quand viendra pour vous le moment d’être mères,
Vous ne suspendrez pas vos nids dans les bosquets;

Mais, lorsque dans les airs gronderont les orages,
Vous aurez pour abri mon toit hospitalier,
Et vous ne craindrez pas que du sein des nuages,
Sur vous, comme l’éclair, tombe un fauve épervier.

Vous ne raserez pas de vos têtes légères
Les épis jaunissant sous les yeux de Cérès;
Vous n’irez pas chanter sur les vertes fougères,

Vous ne chercherez pas de grain dans les guérets;
Mais, quand l’hiver jaloux entre ses deux rivages
Forcera le ruisseau de gémir prisonnier,
Vous trouverez toujours la fraîcheur des bocages

Et des grains abondans chez votre bon geolier.
Geolier! … car l’oiseleur à moi vous a vendues
Faibles, sans mouvement, encore toutes nues,
Mais, depuis ce jour-là, ma main avec bonté

Vous tout prodigué, grains, eau pure, caresses …
Pourquoi donc tant gémir, mes petites hôtesses?
Dites! vous faudrait-il encor la Liberté?

Ah! quand vous aurez vu ma Laure bien-aimée,
Quand vous aurez senti son haleine embaumée
Et ses baisers si doux;

Votre amère douleur sera bientôt calmée;
Vous oublierez des bois la brise parfumée,
Pour vous bercer sur ses genoux.

Quatre quatrains alternés, quatre tercets – un vers de 6s un octo

Sous le pliant osier vous êtes prisonnières,
Vous ne respirez pas l’air pur de vos forêts,
Et, quand viendra pour vous le moment d’être mères,
Vous ne suspendrez pas vos nids dans les bosquets;
Mais, lorsque dans les airs gronderont les orages,
Vous aurez pour abri mon toit hospitalier,
Et vous ne craindrez pas que du sein des nuages,
Sur vous, comme l’éclair, tombe un fauve épervier.
Vous ne raserez pas de vos têtes légères
Les épis jaunissant sous les yeux de Cérès;
Vous n’irez pas chanter sur les vertes fougères,
Vous ne chercherez pas de grain dans les guérets;
Mais, quand l’hiver jaloux entre ses deux rivages
Forcera le ruisseau de gémir prisonnier,
Vous trouverez toujours la fraîcheur des bocages
Et des grains abondans chez votre bon geolier.
Geolier! … car l’oiseleur à moi vous a vendues
Faibles, sans mouvement, encore toutes nues,
Mais, depuis ce jour-là, ma main avec bonté
Vous tout prodigué, grains, eau pure, caresses …
Pourquoi donc tant gémir, mes petites hôtesses?
Dites! vous faudrait-il encor la Liberté?
Ah! quand vous aurez vu ma Laure bien-aimée,
Quand vous aurez senti son haleine embaumée
Et ses baisers si doux;
Votre amère douleur sera bientôt calmée;
Vous oublierez des bois la brise parfumée,
Pour vous bercer sur ses genoux.

Quatre quatrains alternés, quatre tercets – un vers de 6s un octo