Archives de catégorie : Traduction

En ce couchant, Lycius, surgi ce — 1997 (3)

–  Philippe Jacottet in D’une lyre à cinq cordes

En ce couchant, Lycius, surgi ce
climatérique lustre de la vie,
chute est le pas pour si peu qu’il dévie
et toute chute aisément précipice.

Caduc le pas? Que l’esprit s’éclaircisse.
Peu à peu se disjoint la terre unie;
quelle raison par la poudre avertie
attendit que s’effondre l’édifice?

Non seulement de la peau la vipère,
Avec la peau, de l’âge se défait,
mais l’homme non. Aveugle cours humain!

Oh! bienheureux celui qui, déposée
la part pesante en la muette pierre,
la légère offre au saphir souverain.

Gongora

Q15 – T38 – déca – tr

Je mourrai à Paris sous l’averse, — 1997 (2)

Florence Delay – trad de Cesar VallejoAction Poétique

Pierre noire sur une pierre blanche

Je mourrai à Paris sous l’averse,
un jour dont j’ai déjà le souvenir.
Je mourrai à Paris – et je n’ai pas de honte –
peut-être un jeudi, comme aujourd’hui d’automne.

Ce sera jeudi, parce qu’aujourd’hui, jeudi, où je pose
ces vers, je me suis mis les humérus
à mal et jamais comme aujourd’hui je ne me suis,
avec tout mon chemin, revu si seul.

César Vallejo est mort, ils le battaient
tous sans qu’il leur ait rien fait;
ils cognaient dur avec un bâton et dur

avec une corde aussi; en sont témoins
les jours jeudi et les os humérus,
la solitude, la pluie, les chemins ….

bl – m.irr  – tr

En face de la Comédie-Française, se trouve le café — 1997 (1)

Florence Delay – trad de Cesar VallejoAction Poétique

Chapeau, manteau, gants

En face de la Comédie-Française, se trouve le café
de la Régence; il y a là une salle
cachée, avec un fauteuil et une table.
Lorsque j’entre, la poussière immobile est déjà debout.

Entre mes lèvres faites liège, le bout
d’une cigarette fume, et dans la fumée l’on voit
deux intenses fumées, le thorax du Café,
et dans le thorax un oxyde profond de tristesse.

Il importe que l’automne se greffe sur les automnes,
il importe que l’automne s’intégre dans les bourgeons,
le nuage dans les semestres; dans les pommettes la ride.

Il importe de passer pour fou en postulant
que chaude est la neige, fugace la tortue,
simple le comment et le quand fulminant!

bl – m.irr. – tr

Je tresse une couronne aux Slovènes, pour toi, — 1996 (8)

Vladimir Pogocnik (trad) La Couronne de sonnets de Francé Preseren (1836) (Jean-Claude Polet :  Le patrimoine littéraire européen, vol 11a)


MAGISTRAL

Je tresse une couronne aux Slovènes, pour toi,
Un souvenir mêlant ta gloire avec ma peine,
Le coeur les a éclos, sonnets qui fleurs deviennent,
Inflétrissables fleurs d’un poétique émoi.

A distance des lieux où le soleil flamboie,
Privées elles restaient de vive et frêle haleine,
Recluses dans les tours des rocheuses moraines,
Impassibles foyers où l’orage foudroie.

Mes larmes, mes soupirs étaient leur nourriture ;
Ils donnaient peu de force aux poésies en pleurs,
Captives opprimées d’une saison obscure.

Or vois, dans ces bourgeons, est venue la pâleur ;
Veuillent tes yeux verser leurs rrayons doux et purs,
Alors, combien plus gaies viendront les jeunes fleurs.

Q15  T20 – tr

Je tresse une couronne aux Slovènes, pour toi, — 1996 (7)

Vladimir Pogocnik (trad) La Couronne de sonnets de Francé Preseren (1836) (Jean-Claude Polet :  Le patrimoine littéraire européen, vol 11a)


I

Je tresse une couronne aux Slovènes, pour toi,
Filant quinze sonnets de façon à former
Le sonnet magistral aux vers trois fois chantés
Qui lient en harmonie quinze chants à la fois.

Chacun de ces sonnets suit une même voie ;
Il sourd du magistral, puis vient s’y ressourcer ;
La fin du précédent est reprise en entrée,
Le poète est pareil au tortil qu’il emploie.

Ses pensées prennent source en un unique amour,
Et là où le soleil de la nuit les fit siennes,
Elles vont s’éveiller quand renaître le jour.

Du sonnet de ma vie tu es la souveraine ;
Quand je ne serai plus, retentira toujours
Un souvenir mêlant ta gloire avec ma peine.

Q15  T20 – tr

Je suis tel riche auquel sa clé bénie — 1995 (9)

Daniel & Geneviève Bournet Sonnets de Shakespeare

Sonnet 52

Je suis tel riche auquel sa clé bénie
Ouvre son doux trésor cadenassé,
Qu’à tout moment il ne faut qu’il épie
Pour émousser l’aigu de volupté.

Fêtes sont donc solennelles et rares,
Disséminées en la longueur de l’an,
Comme pierres de prix maigrement parent,
Ou les maîtres joyaux dans leur carcan.

Le temps vous serre ainsi comme ma caisse,
Ou garde-robe où robe est au secret,
Pour faire instant spécial spéciale liesse,

Déployant neuf son orgueil prisonnier.
Bienheureux vous, dont dignité dispense,
Présent, triomphe, ou, absent, espérance.

Q60  T23 – disp quarto sh52  – déca

O vous qui écoutez dans mes rimes éparses — 1994 (4)

André Rochon trad. Pétrarque in Anthologie bilingue de la poésie italienne
O vous qui écoutez dans mes rimes éparses
Le son de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Au temps de ma première errance juvénile,
Quand j’étais en partie autre que je ne suis

Le style varié, en quoi je pleure et parle
Parmi les vains espoirs et la vaine douleur,
Chez qui comprend l’amour pour l’avoir éprouvé,
Trouvera, je l’espère, et pardon et pitié.

Mais je vois aujour’d’hui comment du peuple entier
Je fus longtemps la fable, en sorte que souvent
De moi-même à part moi j’éprouve de la honte,

Puisque honte est le fruit de mes délires vains,
Ainsi que repentir et claire connaissance
Que ce qui plaît au monde est un songe éphémère.

bl  alexandrins  tr (rvf 1)

Je suis ce fortuné qu’une clé bienheureuse — 1992 (2)

Jean Malaplate Shakespeare sonnets


52

Je suis ce fortuné qu’une clé bienheureuse
Introduit au trésor caché de son désir,
Mais qui retient longtemps son humeur curieuse
Pour n’émousser la pointe à son rare désir.

Les fêtes sont ainsi rares et solennelles
N’étant que peu de jours sur la chaîne de l’an
Comme pierres de prix qu’on ne va prodiguant,
Ou dessus le collier les perles les plus belles.

Le temps qui vous enferme est aussi mon coffret,
Ou bien le cabinet où la robe demeure,
Afin de rehausser le faste de cette heure

Qui verra son éclat, longtemps tenu secret.
Oh! béni soyez-vous, dont le mérite immense,
Présent donne triomphe, absent donne espérance.

Q60 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar — 1990 (9)

John Keats trad. Robert DavreuSeul dans la splendeur

« Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar »

Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar
Non pas naviguer seul dans la splendeur du haut de la nuit
A surveiller de mes paupières pour l’éternité désunies,
Comme de la nature l’ermite insomnieux et patient,

Les eaux mouvantes dans le rituel de leur tâche
D’ablution purifiante des rivages humains de la terre,
Ni contempler le satin du masque frais tombé
De la neige sur les montagnes et sur les landes –

Non, mais toujours constant, toujours inaltérable,
Avoir pour oreiller le sein mûr de mon bel amour,
Afin de sentir à jamais la douceur berçante de sa houle,

Eveillé à jamais d’un trouble délicieux,
Toujours, toujours ouïr de sa respiration le rythme tendre,
Et vivre ainsi toujours – ou bien m’évanouir dans la mort.
( » Bright star! would I were steadfast as thou art »)

r.exc – m.irr – sns – tr

J’ai beaucoup voyagé aux royaumes de l’or, — 1990 (8)

John Keats trad. Robert DavreuSeul dans la splendeur

Après m’être plongé pour la première fois dans l’Homère de Chapman

J’ai beaucoup voyagé aux royaumes de l’or,
Ai vu bien des états et monarchies prospères,
Ai fait le tour de bien des îles d’Occident
Que des bardes pour fiefs ont reçu d’Apollon.

Souvent l’on m’a parlé d’une vaste contrée
Qu’Homère aux noirs sourcils possédait pour domaine:
Jamais pourtant je n’en avais humé la sérénité pure
Avant d’ouïr Chapman et sa voix de stentor.

Alors je me sentis comme un veilleur des cieux
Quand une planète nouvelle apparaît dans son champ de vision
Ou comme le vaillant Cortez quand, de son regard d’aigle,

Il scrutait le Pacifique – et que tous ses hommes
L’un l’autre s’épiaient, perdus en conjectures –
Silencieux, du haut d’un pic de Darien.

(On first looking into Chapman’s Homer)

r.exc. – m.irr – tr