Archives de catégorie : s+s.rev

Parmi les brumes des lointains — 1922 (1)

Jean RichepinLes glas

Sonnet boustrophédon

Parmi les brumes des lointains
Vient de refleurir une flore
Multiforme et multicolore,
Aux tons naissants, peut-être éteints.

En sons d’angélus argentins
Est-ce que l’on chante, ou s’éplore?
Est-ce cette âme près d’éclore,
Celle des soirs ou des matins?

La nuit fonce et le jour éclaire
Ce doux instant crépusculaire
Qui n’est pas la nuit, ni le jour,

Et dont la splendeur vague et brève
Est pourtant l’éternel séjour
Où se plaît le mieux notre rêve;

Au papillon de notre rêve
Nul jardin n’est un bon séjour
Que celui dont la rose est brève.

Il faut à son amour d’un jour
La lumière crépusculaire
Douce, et qui pas trop n’éclaire. ?

Sinon, les flèches des matins
Le percent quand il vient d’éclore,
Et son glas dans nos cœurs s’éplore
En rosée aux pleurs argentins;

Car voici qu’à nos yeux éteints
Meurt son essor multicolore
Tandis que se fane la flore
Fleurie aux brumes des lointains.

Q15 – T14 + s.rev: ede dcc abba abba – octo – Palindromique par les rimes (et parfois le vers entier) – banv

Existe-t-elle encor, cette île — 1893 (21)

Paul Verola Les baisers morts

Evocation

Existe-t-elle encor, cette île
Où le baiser, toujours vainqueur,
S‘épanouit dans chaque cœur,

Où la moindre brise distille
Des arômes ensorceleurs
Sur les lèvres toujours en fleurs ?

Où, dans la luit pleine d’aveux,
La lune orgueilleuse démêle
L’or et l’argent de ses cheveux
Sur le flot gris qu’elle constelle ?

L’île où la fleur même a des lèvres,
La pierre, des pulsations,
Où l’Océan, pendant ses fièvres,
Rugit toutes nos passions ?

Où vers l’amour montent tous vœux ;
Où la rose, au papillon frêle
Tendant son front vierge et séveux
Lui murmure : arrête ton aile !

Cette île où l’âme la plus mièvre
A d’immenses éruptions,
Où la chair jamais ne se sèvre,
Où tout n’est que vibrations ?

Elle exista : nous y vécumes
Inondés d’azur et d’écume,
Enlacés à briser nos corps !

Oh ! retournons-y, car peut-être
Ce qu’on croit mort peut y renaître,
Et tu pourrais m’aimer encor.

double sonnet fait d’un sonnet renversé et d’un Q 59- T15, les quatrains sur les mêmes rimes. octo

Trois fois chaste Ninon que j’aime – ma maîtresse, — 1883 (28)

? in Tintamarre (mars )

Sonnet circulaire

à la façon de Privé, mon ami – l’auteur a dédié, voilà quelque temps, à cette même place, des vers « à une catin ». Il dédie ceux-ci – à une femme

Trois fois chaste Ninon que j’aime – ma maîtresse,
Et ma mère, et ma sœur, – trois fois pure beauté
Sur laquelle je lève, aux heures de détresse,
Mes yeux où les orgueils de l’art ont éclaté ;

Ma muse – car vous seule êtes assez traîtresse
Pour m’inspirer encor, par votre honnêteté,
Les sublimes ardeurs d’une foi vengeresse
Sifflant ses rimes d’or au monde épouvanté !

Vous que, tout bas, je nomme et que nul ne devine,
Vous dont je sens pour moi l’influence divine
Soulever le rideau des horizons vermeils ;

Avez-vous lu ces vers « immoraux et stupides »
Qui, sous ma signature, en cadences limpides,
Ont secoué l’Ignoble en ses sales sommeils ?

Or donc, ils secouaient l’ignoble en ses sommeils.
Et, si tu les a lus, avec tes yeux limpides,
Tu les as dû trouver moraux – et non stupides.

La fange fait aimer les coeux clairs et vermeil !
N’est-ce pas dans les nuits intenses quon devine
Les douloureux besoins de lumière divine ?

Certes, plus d’un bourgeois en fut épouvanté,
De ces vers, où sifflait ma haine vengeresse,
Où riait aux éclats ma fauve honnêteté
Foulant sous ses pieds nus l’hétaïre traîtresse !

Et tant mieux ! – moi, je sais, lorsqu’ils ont éclaté,
Combien pénible était ma profonde détresse,
Et combien ils faisent ressortir ta beauté,
Et quel hommage ils sont pour vous – ô ma maîtresse !

Q8 – T15 – s+s.rev

Précédé de son ventre et suivi de son chien, — 1879 (13)

Clément Privé in La Lune rousse

Sonnet circulaire

Précédé de son ventre et suivi de son chien,
L’oeil émerilloné, la narine pourprée,
Et le front couronné de bêtise inspirée,
Un bourgeois cheminait à l’entour de son bien.

Il était gras et rose et se portait fort bien.
Il avait bien dîné, la panse était sacrée;
Je ne vous dirai pas qu’il ne pensait à rien.
La terre s’endormait, par le couchant dorée.

Il marchait lentement par le sentier sablé,
Et, calme, il contemplait, le long des oseraies,
Les escargots ventrus, ces prudhommes des haies;

Mais sentant le soleil par les branches voilé,
Il s’arrêta tout court, et dit au chien docile:
« Nous sommes assez loin de notre domicile. »

Il fit un demi-tour, puis vers son domicile
Il revint à pas lents, suivi du chien docile:
Le soleil descendait par les branches voilé,

Les oiseaux se taisaient dans la cime des haies,
Les vent du soir passait au sein des oseraies,
Et l’ombre s’étalait sur le sentier sablé.

Mille doux bruits chantaient à travers la soirée.
Le bourgeois souriant, qui ne pensait à rien,
En s’appuyant sur sa canne à pomme dorée,
Promenait doucement ses gros yeux sur son bien.

Entre temps, son épouse avait trouvé moyen
De le faire cocu; c’était chose ignorée
De monsieur, qui rentra près de son adorée,
Précédé de son ventre et suivi de son chien.

Q14 – T30 + s.rev: eec ddc baba abba –quasi-palindromique vers à vers

Le parfum des lilas ruisselle de folie, — 1875 (2-3)

Camille ChaigneauLes mirages – sonnets-réflexe –

Nuit d’Avril

Le parfum des lilas ruisselle de folie,
Les couchants empourprés hallucinent les yeux,
J’entends mille baisers dans l’air silencieux,
L’espoir jette des fleurs sur la mélancolie.

Qui passe, c’est l’amour sur la terre embellie!
Qui passe? c’est la femme au front mystérieux:
Viens, mon coeur est ouvert, et l’amour fait les dieux!
Comme le ciel est près! Aime! je t’en supplie!

Tant que nous entendrons le chant du rossignol,
Tant que le vent des nuits répandra sur ton col
Son haleine embaumée et sa chaude caresse,

Courons dans les forêts, les foins et les blés d’or!
Et, lorsque tournoîront les feuilles en détresse,
Pour l’espace étoilé nous prendrons notre essor!

Pour l’espace étoilé nous prendrons notre essor,
Oh! ne comprends-tu pas cette sublime ivresse?
Aime! sur mes cheveux laisse flotter encor

Ton haleine embaumée et ta chaude caresse!
Pourquoi fuir? …. qui t’emporte? …. Arrête au moins ton vol
Tant que nous entendrons le chant du rossignol! ….

Pour les bois d’orangers cherches tu l’Italie?
Ou l’Espagne? – Où vas-tu? … Connais-tu d’autres cieux
Où l’âme soit plus blanche, où l’on s’adore mieux?
Pourquoi m’avoir souri, s’il faut que je t’oublie? ….

Qui jettera des fleurs sur ma mélancolie?
J’entends mille baisers dans l’air silencieux,
Les pourpres de l’aurore hallucinent les yeux,
Le parfum des lilas ruisselle de folie.

Q15 – T14 + s.rev: ede dcc baab baab – banvIl s’agit tout simplement de couples d’un sonnet suivi de son équivalent renversé, sur les mêmes rimes (et parfois les mêmes mots-rimes d’ailleurs) et même parfois les mêmes vers. Les textes sont presque réversibles.
« Un fol espoir nous éclaire le coeur. Ce n’est d’abord qu’une ombre vague et brumeuse, bientôt l’astre s’élève, les vapeurs se dispersent, la douce lumière nous envahit, le zénith triomphal semble nous appeler à lui. mais l’astre baisse, l’espoir s’éloigne, et le coeur frissonne pendant que s’abattent les pénombres messagères de la nuit, c’est le désespoir. Tels passent les rêves, les éclairs d’amour, les visions de splendeur et de félicité, tous ces mirages de la vie individuelle et collective.N’y-a-t-il pas là comme un drame composé de deux actes dont le second serait le reflet du premier? – C’est dans cette pensée que j’ai cherché une forme poétique capable d’un redoublement scénique, d’une réflexion manifeste. J’ai choisi le sonnet, parce qu’il est en lui-même complêtement dépourvu de symétrie, et parce que son dernier vers, jaillissant comme une flèche, superbe comme un aigle, semble conquérir les faîtes dont nos illusions vont crouler. – Le premier quatrain, et son image qui termine le petit poème, ont tout le vague des horizons où commencent et finissent les rêves humains. Des rappels de vers semés harmoniquement contribuent à la cohésion de l’ensemble … »

Près des lilas blancs fleurissent les roses, — 1874 (21)

Adrien Dézamy in L’Artiste

Trianon Sonnet-réflexe

Près des lilas blancs fleurissent les roses,
Le soleil d’avril sourit dans les cieux,
Et vers Trianon s’envolent joyeux,
Dames et seigneurs, tout blancs et tout roses.

C’est fête : on se rit des esprits moroses.
Les bergers Watteau, d’un air précieux,
Tendant le jarret et clignant des yeux,
Chantent galamment d’amoureuses choses.

Un Tircis azur au regard vainqueur,
Le poing sur la hanche et la joie au cœur,
Danse avec la reine en simple cornette …

La foudre, soudain, fait explosion,
Et, dans un éclair, Marie Antoinette
Lit avec horreur : RÉVOLUTION
————————-
A ce mot nouveau : REVOLUTION,
Le trône trembla. Marie-Antoinette
Sentit s’accomplir la prédiction.

Jetant aussitôt rubans et houlette,
Et pressant l’enfant royal sur son cœur,
La reine devint reine de douleur …

Et, depuis ce temps, plus de moutons roses,
De bergers Watteau, de mots gracieux,
Ni, sur le gazon, de soupers joyeux ;
Plus d’échos disant d’amoureuses choses !

Malgré la tempête et les jours moroses,
Trianon survit – nid silencieux –
Et, quand le soleil sourit dans les cieux,
Près des lilas blancs fleurissent les roses

Q15  T14  + s.rev.  tara – banv

Quoi! vous languissez à mourir! — 1874 (1)

Achille ServièresNouvelles givordines , sonnets –


Inutiles conseils. Double sonnet. A mes nouvelles givordines.

Quoi! vous languissez à mourir!
Il vous tarde donc, mes cadettes,
Loin de Givors d’aller courir?

Que je vous plains, Givordinettes!
Vous savez pourtant que vos soeurs
Sont sous le fouet de nos censeurs.

Penseriez-vous, petites folles,
Pouvoir, loin de mon cabinet,
Vous garantir du cabinet
Des Zoïles des deux écoles?

Seriez-vous plus belles, plus drôles,
Comme ma muse, en ce sonnet,
En l’air jetant votre bonnet,
Feriez-vous mille cabrioles;

Des envieux et des jaloux
Serpents, à l’harmonie affreuse,
Dont la morsure est venimeuse,
Vous n’éviterez pas les coups.

Vous pourrez bien trouver chez nous,
Au fond de ma vallée ombreuse,
Quelque âme bonne et généreuse
Qui vous rendra vos jours plus doux.

Mais, hélas!, qu’est-ce qu’un sourire,
Près du sarcasme qui déchire
Comme la ronce du chemin! ….

Et, trépignant d’impatience,
Vous venez me serrer la main …
Allez, enfants, et bonne chance.

s.rev: ede dcc baab baab + Q 15 – T14 –  banv – octo – Ce ‘double sonnet ‘ est fait de deux sonnets tête-bêche, commençant par le ‘sonnet renversé’