Archives de catégorie : s sur s

Sonnets sur le sonnet

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit : — 1869 (22)

Louis Veuillot Les couleuvres

Intermède

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit :
“ Alcippe, il est donc vrai ! par un furtif commerce,
A transgresser la loi ton faible esprit s’exerce,
Et fait faire au sonnet un métier interdit ? ”

Boileau, chez moi, n’est pas de ces gens sans crédit.
Je donnai mes raisons, et ce fut une averse.
Il reprit : “ Le chemin où toujours chacun verse,
Et le chemin  mauvais, non le chemin hardi.

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème …
Soit ! Mais n’en tire pas la conséquence extrême
Qu’un poème en sonnets puisse être sans défaut.

C’est ainsi que l’on crée aux temps de décadence :

D’un monstre avec effort accouche l’impuissance ! ”
Il se tut. Je changeai de rythme, assez penaud.

Q15 – T15 – s sur s

C’est aux peuples, enfants, qu’appartient l’Epopée; — 1869 (4)

Theodoric Geslain sonnets provinciaux

Le Sonnet

C’est aux peuples, enfants, qu’appartient l’Epopée;
L’Ode chante leurs chefs, l’Idylle leurs pasteurs:
Quand le sceptre a soumis la houlette et l’épée,
Les Homères n’ont plus que des imitateurs.

De sa naïve foi, la Muse émancipée,
De la philosophie affronte les hauteurs:
Le choeur murmure encor l’antique Mélopée,
Mais le Drame s’impose au flôt des spectateurs.

Eschyle, Aristophane ont engendré Shakespeare.
Leur race, avec Corneille, avec Molière expire!
Melpomène et Thalie attendent le réveil ….

Du prosaïsme froid, l’ombre envahit le monde, ….
– Mais le Sonnet jaillit de cette nuit profonde,
Et dans son étincelle, on reçoit le Soleil.

Georges Garnier

Q8 – T15 – s sur s

Phoebus! en t’adorant, sur la plage de Troie, — 1868 (4)

Coll.Rimes et idées

Messire-Jean

Le nouveau Laocoon
Horresco referens – Virgile

Phoebus! en t’adorant, sur la plage de Troie,
Ton grand prêtre et ses fils, par deux monstres surpris,
Périssent, étouffés sous l’anneau qui les broie …
– Voilà comme Apollon rase ses favoris! –

Ainsi, rongé des vers auxquels je suis en proie,
Je souffre! – et cependant, malgré moi, je bénis
La voix qui m’encourage, et le dieu qui m’octroie
Quatorze alexandrins …. que je n’ai pas finis.

– Que vous avais-je fait, ô poète farouche,
Pour que mon triste arrêt sortît de votre bouche?
Suis-je propre à chanter les chants qui vous sont dus?

– Non. N’excitez donc plus ma verve amphigourique:
Mais calmez, dans mon sang, le venin diabolique
Du serpent à sonnets qui nous a tous mordus!

Q8 – T15 – s sur s

– « Encor! Toujours ce moule? Et ces formes pareilles? — 1868 (3)

Coll.Rimes et idées

François.Fertiault

A un dépréciateur

– « Encor! Toujours ce moule? Et ces formes pareilles?
Toujours pour vos tableaux ce calque qu’on connaît?
Quoi! sans pitié, toujours nous jeter aux oreilles
Ces affreux bouts-rimés qu’on appelle un Sonnet!

– « Bouts-rimés? le Sonnet? l’une de nos merveilles?
Toujours pour ce phénix votre dédain renaît! …
A lui seul, sobre, et ferme, il vaut toutes les veilles:
Des poétiques sceaux nul ne frappe aussi net;

Nul ne condense mieux sous sa nerveuse empreinte,
Nul n’a plus d’horizon sous sa ligne restreinte.
Nul n’est plus souple, riche en ses diversités.

Je sais, moi, tel fervent de cette oeuvre ample et brève
Qui, précis comme un chiffre ou vague comme un rêve,
Dans ses quatorze vers met des immensités.

Q8 – T15 – s sur s François Fertiault, en préface, défend le sonnet par une citation: « Le Sonnet  comprend tout ce que l’Ode a de beau et de délicat, et tout ce que l’Epigramme a de subtil et de concis – Philotée Delacroix « 

Je veux faire un sonnet, – superbe … magnifique! — 1864 (7)

Frederick Juncker Sonnets

Fantaisie

Je veux faire un sonnet, – superbe … magnifique!
Original, surtout: mon sujet est charmant.
Je l’ai tiré du coeur, et, certes!, je me pique
De toucher cette corde harmonieusement …

Pour qu’il soit sans reproche, il faut que je m’applique,
Le revoie et corrige; – il faut également
Qu’il soit mis bien au net, afin que la critique,
Honteuse, devant nous, s’incline poliment.

Ah! Nous allons donc faire une oeuvre de génie!
Je me sens tout dispos! La rime et l’harmonie
Chantent à mes côtés leurs plus belles chansons;

Vite! Dans ce beau feu que ma verve s’allume;
Mon buvard! …   mon papier! Mon garde-main, ma plume!
Et maintenant j’y suis, – tout est prêt – Commençons!

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Q8 – T15 – 15v  – s sur s Ici, il allonge le texte d’une ligne de points, quinzième vers, ou premier vers d’un sonnet absent.

Tu veux faire un Sonnet? Prends garde, jeune auteur, — 1863 (1)

Henri Rossey Mélanges poétiques

Le Sonnet
A mon jeune ami Eugène Huvé de Garel

Tu veux faire un Sonnet? Prends garde, jeune auteur,
Ecoute auparavant Boileau qui te conseille.
Ce poëme est, dit-il, une pure merveille
Et du Pinde français sera toujours l’honneur.

Mais de mille écrivains il a trompé l’ardeur,
Il fuit toute licence, au choix des mots il veille;
Il faut qu’en deux quatrains de mesure pareille,
La rime, avec deux sons, huit fois plaise au lecteur.

Puis un double tercet, qu’un sens complet partage,
Doit finir dignement ce difficile ouvrage
Dont Apollon dicta les rigoureuses lois.

Si ton talent n’est pas un éclair qui t’abuse,
Poursuis; mais lis ces vers où je t’offre à la fois
Des règles, un exemple, utiles à ta muse.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Le sonnet, au contraire, est-il frais, gracieux — 1862 (6)

Charles Frétin Folles et sages


II

Le sonnet, au contraire, est-il frais, gracieux
C’est la jeune odalisque à l’ondoyante allure,
Qui s’avance en dansant, des fleurs à la ceinture,
Des diamants au front, des flammes dans les yeux.

Au milieu des parfums qui brûlent vaporeux,
Les rimes des quatrains lui battent la mesure,
Deux fois d’un pied léger la svelte créature
Brode le même pas sur les tapis soyeux.

Dès que vient des tercets la cadence plus vive,
Tout-à-coup s’animant, vous la voyez lascive
Soulever sa basquine avec un doux souris;

Puis, quand son sein bondit ainsi qu’une gazelle,
De son bouquet tombant cette soeur des houris
Vous jette pour adieu la rose la plus belle.

Q15 – T14 -banv –  s sur s

Quand le sonnet renferme une mâle pensée — 1862 (5)

Charles FretinFolles et sages

Le sonnet
I

Quand le sonnet renferme une mâle pensée
Eclatant à la fin par un sublime vers,
C’est la frégate armée, à l’horizon des mers
Se montrant tour à tour, sur la vague bercée;

Comme par un vent frais, elle approche poussée,
Harmonieux miroir, bientôt les flots amers
Reflètent ses grands mâts qui balancent les airs,
Son pavillon qui flotte et sa taille élancée.

Tandis que dans l’azur et du ciel et des eaux
Vous regardez tranquille onduler ses drapeaux,
Elle, dans les canons, presse et presse la poudre;

Puis, rapide, elle accourt, toutes voiles dehors,
Et, faisant feu soudain du port et des sabords,
Sur vous lance en passant les éclairs et la foudre.

Q15 – T15 – s sur s

Qui, moi? faire un sonnet? J’en ai si peu l’envie! — 1858 (4)

M.Modelon Brises d’automne

Un sonnet

Qui, moi? faire un sonnet? J’en ai si peu l’envie!
Puis, un sonnet sur quoi? sur ce qu’il me plaira?
Fort bien! essayons! Puis, advienne que pourra
Du sonnet, le premier que je fais de ma vie!

Qu’en dites-vous, ami? Vous riez, je parie,
De me voir me creuser pour une rime en ie,
Que doit suivre bientôt une autre rime en ra.
Encore un hémistiche! et puis la chose ira.

Je croyais terminer cette leçon d’escrime;
Mais il me reste encor deux tercets à trouver.
Laissez-moi! je m’en vais un instant y rêver…

Malgré ce bon Boileau, j’eus toujours peu d’estime
Pour ce genre bizarre et ses quatorze vers;
C’est peut-être, entre nous, que les fruits sont trop verts.

Q13 – T30 s sur s

Comme le sage Horace et le bon La Fontaine, — 1857 (2)

Joseph PétasseLe Collier de perles sonnets –

Pourquoi la forme du sonnet

Comme le sage Horace et le bon La Fontaine,
J’aime les courts récits, j’ai peur des longs travaux;
Mon pied aime à fouler les gazons de la plaine
Et trébuche en montant les rapides coteaux.

Bien mince est mon bagage et courte mon haleine.
Je ne saurais suffire à ces drames nouveaux
Où l’auteur haletant, péniblement promène
Le lecteur fatigué de ses sombres tableaux.

Mais graver sa pensée ou riante ou sévère
Dans un cadre imposé qui la borne et l’enserre,
Avec un horizon bien défini, bien net,

C’est un travail que j’aime, où ma muse est à l’aise,
Où mon coeur agité se délasse et l’apaise.
C’est pourquoi j’ai choisi la forme du sonnet.

Q8 – T15 – s sur s – bi Le grand sonettiste Pétasse répartit ses soixante-dix sonnets en ‘diseaux’. Chaque ‘diseau’ contient dix sonnets.