Archives de catégorie : s sur s

Sonnets sur le sonnet

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème, — 1898 (13)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

« Un sonnet sans défaut »

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème,
A dit certain gâteux du temps du roi-soleil.
Un bon sonnet, pour moi, c’est une joie extrême,
Un régal délicat, un bijou sans pareil.

J’ai pâli bien souvent, ami, sur ce problème :
Faire aussi mon sonnet ! A l’horizon vermeil
Un rêve me montrait une pensée, un thème,
Qui s’évanouissait souvent à mon réveil.

Quand, revenant à moi, je saisissais la plume,
Pour fixer ce croquis estompé dans la brume,
Hélas ! de mon esprit le vent l’avait banni.

Aussi, sans plus chercher, je me tais, j’y renonce,
Ce n’est pas un sonnet qui sera ma réponse.
Tiens ! – mais, sans y songer, mon sonnet est fini.

(Ernest Lacoste)

Q8  T15  s sur s

Dans deux heures au plus on veut que dare dare — 1896 (16)

Ludovic Sarlat in  L’année des poètes

Un étrange défi

Dans deux heures au plus on veut que dare dare
Je présente au lecteur un sonnet tout entier.
J’accepte avec plaisir ce défi singulier
Qui me séduit surtout parce qu’il est bizarre.

Le sonnet, pour de grands esprits, c’est l’oiseau rare ;
Mais ce genre depuis longtemps m’est familier,
Et j’enfourche Pégase encor sans étrier :
On sait que de sonnets je ne suis pas avare.

Tiens ! je vais être au bout de mes quatorze vers,
Et je sens que, malgré la glace des hivers,
Poésie, en ma main ta coupe est toujours pleine.

J’ai fini mon sonnet et gagné mon pari :
Ma verve est toujours jeune, elle n’a pas tari,
Car j’ai fait celui-ci en un quart d’heure à peine.

Q15  T15  s sur s

Le sonnet, parfois on l’imprime, — 1896 (7)

Henry Jean-Marie Levet (Le courrier français 1895-6)

Sonnet d’Album
A Mlle Marguerite B.

Le sonnet, parfois on l’imprime,
Mais très rarement on le lit;
Arvers sut le rendre sublime,
Quand Trissotin l’eût avili.

Mais, dans les albums où l’on rime,
Que de pages blanches salit
Le gâcheur de sonnets qui trime
Comme devant un établi!

Vers de terre à terre factice,
Qu’engendrera quelque novice,
Monté sur Pégase poney.

Plat, ainsi qu’un roman d’Ohnet,
Au ras du sol il rampe et glisse,
C’est l’oeuf d’un serpent à sonnets.

Q8 – T10 – octo – s sur s

Que ce sonnet ressemble aux galères royales, — 1896 (3)

Auguste AngellierA l’amie perdue

Que ce sonnet ressemble aux galères royales,
Qui traînent sur les flots des velours frangés d’or,
Et, sous un dais de soie aux splendeurs liliales,
Portent le lit d’ivoire où la reine s’endort;

Que des mots éclatants, bannières triomphales,
Il flotte pavoisé comme un mouvant décor;
Qu’un bruit charmant et doux de luths et de cymbales,
De violes d’amour, retentisse à son bord;

Qu’il soit resplendissant; que les salves de rimes
Eclatent hautement par le sabord des vers;
Qu’il vogue enveloppé par des souffles sublimes,

Arborant à son mat des lauriers toujours verts;
Car il porte ton nom souverain à travers
Les espaces du Temps et ses profonds abîmes.

Q8 – T21 – s sur s

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante, — 1892 (11)

Jules Baudot in  L’année des poètes

L’art

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante,
Avec des mots très doux ainsi que des rumeurs,
D’une légère main, comme font les semeurs,
Sème dans notre esprit que la vie est méchante.

Dans le quatrain qui suit, exalte, prône, chante
La Femme altière et belle, en d’ardentes clameurs,
Et pour bien expliquer l’amour dont tu te meurs
Fais un portrait puissant de celle qui t’enchante.

Alors, en un tercet fort savamment rimé,
Exprime-nous que toi, qui fus pourtant l’Aimé,
Tu n’est plus maintenant qu’un étranger pour elle.

Puis, au tercet final, qu’il ne faut point gâter, –
L’Art serein n’aimant point les cris de tourterelle, –
Sonne un grand vers d’or pur, – pour ne point sangloter !

Q15  T14 – banv –  s sur s

Le Sonnet, ce léger poème en miniature, — 1991 (32)

Emmanuel Gosselin in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

Le sonnet

Le Sonnet, ce léger poème en miniature,
De plus d’un lapidaire a tenté le ciseau.
Le cadre n’est pas grand, soit, mais qui donc mesure
Le talent de l’artiste à l’ampleur du tableau ?

La toile importe peu : tout est dans la peinture
Lorsqu’une main habile a tenu le pinceau.
Ne comptons pas les vers, voyons la ciselure
Pétrarque ou Meissonnier, l’idéal, c’est le beau !

Quand l’Art pur guide seul la plume ou la palette,
Il transforme en chef-d’oeuvre une simple bluette
Et loge le printemps dans un pli de gazon.

Dans un coin de falaise il met la mer profonde,
Nous montre l’infini dans un bout d’horizon,
Et dans l’étroit Sonnet fait tenir tout un monde.

Q8  T14  s sur s (Pétrarque= Meissonnier. On frémit)

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame, — 1891 (12)

Henri Meilhac Le concours de La Plume

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame,
Qu’il me faudra trouver trois rimes à sonnet?
Madame, heureusement, rime avec âme et flamme
Et le premier quatrain me semble assez complet.

J’entame le second, le second je l’entame,
Et prends en l’entamant un air tout guilleret.
Car ne m’étant encor point servi du mot âme
Je compte m’en servir et m’en sers en effet.

Vous m’accorderez bien, maintenant, j’imagine,
Qu’un sonnet sans amour ferait fort triste mine,
Qu’il aurait l’air boiteux, contrefait, mal tourné.

Il nous faut de l’amour, il nous en faut quand même,
J’écris donc en tremblant: je vous aime, je t’aime,
Et voilà, pour le coup, mon sonnet terminé

Q8 – T15 – s sur s

O créer, avec fièvre un rien: quatorze vers — 1891 (11)

Le concours de La Plume

Gaston Sénéchal

Le Dahlia bleu

O créer, avec fièvre un rien: quatorze vers
Délicats, spéciaux, rares, heureux d’éclore;
Un bouquet effaçant, par le choix de sa flore,
La vieille rhétorique et les jeunes prés verts!

Y mettre le secret de mon coeur, comme Arvers,
Et les vocables doux par lesquels on implore,
Et sous un nom vraiment rythmique, Hélène ou Laure,
Oser vous y parler d’amour, à mots couverts.

Vous les liriez, non pas comme ceux qu’on renomme,
Comme les dieux, avec sollicitude, et comme
Ce sonnet sans défaut vaudrait bien un baiser,

Après l’avoir touché presque du bout des lèvres,
Vous iriez doucement, doucement, le poser,
Sur l’étagère où sont les coupes de vieux Sèvres.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Je n’en ferai qu’un seul ! il sera pour ta fête ! 1889 (31)

Louis Franc L’herbier

Sonnet unique

Je n’en ferai qu’un seul ! il sera pour ta fête !
Que de fois tu m’as dit, quand ce jour revenait,
« Eh bien ! trouverez-vous encore une défaite ?
Mon nom réclame un chant : s’il vous en souvenait !

Vous amant ! dont la plume et dont l’âme est muette !
Offrez-moi donc alors des bonbons en cornet.
Eh quoi ! pour inspirer n’ai-rien ? Vous poète !
Ah ! sauvez votre honneur au moins par un sonnet ! »

Le pourrai-je ? un sonnet c’est un bouquet de rimes !
Mais comment voir ta bouche ainsi traiter de frimes
Mon art et mon amour ! Au contraire dis-toi :

Ce lui fut une tendre et bien douce corvée !
Puis il brisa le moule après l’oeuvre achevée,
Pour qu’elle fût unique et n’appartînt qu’à moi.

Q8  T15  s sur s

L’Amour, entre deux madrigaux. — 1889 (19)

Henri Finistère in  Le Parnasse Breton contemporain

L’invention du sonnet

L’Amour, entre deux madrigaux.
De Pan raillait les vers rustiques :
— « Te tairas-tu, dieu des fagots,
« Depuis le temps que tu t’appliques

« A moduler sur tes pipeaux,
« Avec des sons mélancoliques,
« De monotones bucoliques
« Et de sempiternels rondeaux

— « Assez ! dit Pan, le front morose.
« Ferais-tu mieux, critique rose? »
L’Amour sourit d’un air moqueur,

Et de son carquois qu’il balance,
Comme un trait le Sonnet, s’élance…
Cupidon est toujours vainqueur.

Q9  T15  octo  s sur s