Archives de catégorie : s sur s

Sonnets sur le sonnet

Chose italienne où Shakespeare a passé — 1884 (9)

Paul VerlaineJadis et Naguère

A la louange de Laure et de Pétrarque

Chose italienne où Shakespeare a passé
Mais que Ronsard fit superbement française,
Fine basilique au large diocèse,
Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensé,

Elle, ta marraine, et Lui qui t’a pensé,
Dogme entier toujours debout sous l’exégèse
Même edmondshéresque ou francisquesarceyse,
Sonnet, force aquise et trésor amassé,

Ceux-là sont très bons et toujours vénérables,
Ayant procuré leur luxe aux misérables
Et l’or fou qui sied aux pauvres glorieux,

Aux poètes fiers comme les gueux d’Espagne,
Aux vierges qu’exalte un rythme exact, aux yeux
Epris d’ordre, aux coeurs qu’un voeu chaste accompagne.

Q15 – T14 – banv –  – 11s – s sur s

Que ne ferait-on pas, Madame, pour vous plaire? — 1884 (7)

Joseph RoyDents de lait

Quatrain demandé

Que ne ferait-on pas, Madame, pour vous plaire?
Puisque vous l’exigez, au jour de l’an prochain,
J’enfourcherai pour vous Pégase, c’est certain.
Que je le dompte alors ou qu’il me jette à terre,

N’importe, j’essaierai de rimer un Quatrain,
Pour tenir ma promesse et pour vous satisfaire.
Accoupler quatre vers, mon Dieu! la chose est claire
Et ne demande pas un effort surhumain.

Phoebus est de mauvaise humeur, à cette époque,
Où pour ses grands-parents chaque moutard l’invoque.
Ne l’importunons pas: soyons concis et net.

Voyons un peu, comptons nos vers: un, deux, trois quatre,
Cinq, six, sept, huit, neuf, dix. Ah! je devrais me battre:
Je pars pour le Quatrain, et j’arrive au Sonnet.

Q10 – T15 – s sur s

Est-il donc vrai, Boileau, que ce petit poème, — 1883 (27)

E. Chalamel in le Feu Follet

Sonnet
contre le sonnet

Est-il donc vrai, Boileau, que ce petit poème,
Aux rimes se croisant dans ses quatorze vers,
Soit, lorsqu’il est parfait, de l’art la fin extrême ?
Un chef-d’oeuvre que doit admirer l’univers ? …

Cela doit l’être, car tu nous l’as dit toi-même,
D’ailleurs ceux que tu fis, n’ont jamais eu de pairs,
Comment pus-tu résoudre un semblable problème ? …
Moi j’y brûle mon sang, j’en blémis, je m’y perds ! …

Qu’il en est cependant qui de la renommée
Boivent le doux nectar, trônent dans l’empyrée,
Et, veux-tu des sonnets ? … En voilà des empans ! …

Cela sort de partout ; cela vole par troupes :
Ainsi les charlatans avalent des étoupes
Et jettent aux badauds des années de rubans.

Q8  T15  s sur s

C’est un cadre divin pour un petit tableau, — 1883 (9)

Camille Crêvecoeur (pseud. de Charles Fournier) Poésies

Le sonnet

C’est un cadre divin pour un petit tableau,
Un merveilleux fourreau pour une courte lame,
Fourreau d’or et d’argent ciselés que réclame
Tout rimeur qui n’est pas au bout de son rouleau.

Perle, diamant pur et de la plus belle eau,
A ses rayons l’oeil pers de Minerve s’enflamme
Et sa ‘beauté suprême’ a désarmé le blâme
Du critique qui tond les chiens – maître Boileau.

Il ne procède pas par nappes épandues.
De fait, il s’interdit les vastes étendues.
De Notre-Dame on n’y peut point bâtir les tours.

Mais baste! On  l’aime pour sa forme décidée
Qui douze fois sur vingt emprisonne une idée,
Sa couleur opulente et ses fermes contours.

Q15 – T15 – s sur s

De joie et de regrets la vie est un mélange. – — 1882 (16)

Alexandre Piedagnel Hier

Le cœur volé

De joie et de regrets la vie est un  mélange. –
Je suis triste à mourir, depuis samedi soir ;
Mais, selon le proverbe, en ce monde tout change …
Dans notre âme, une porte est ouverte à l’espoir !

Je vous dois un sonnet sur la manière étrange
Dont le malheur advient. – Ma muse se dérange;
Maussade et nonchalante, elle arrive en peignoir,
Les yeux clos à demi … je vais la faire asseoir.

On lui pardonnera son goût pour l’épigramme,
En narrant l’aventure ; – il est certain, Madame,
Qu’hélas ! à fort bon droit, je vous en veux beaucoup.

Ai-je tort ? Jugez-en …Que pourrai-je vous dire ?
Cela serait trop long ; – puis je vous verrai rire…
Et voici mon sonnet qui finit tout à coup.

Q7  T15  s sur s

Pour y brûler un grain d’ambre ou d’encens — 1882 (15)

Eugène Manuel En voyage

Cassolette
Vieux sonnet

Pour y brûler un grain d’ambre ou d’encens
Gentil sonnet est une cassolette :
Nous y mettrons innocente amourette
Regrets tardifs ou bien désirs naissants.

Tels du soleil les feux ébouissants
Sont réfléchis même en la gouttelette,
Telle, en un bois, la simple violette
Sous les buissons, se trahit aux passants.

Plus fort parfum n’irait à sa mesure !
Quant à railler sa fine ciselure,
C’est blâmer fleurs en un petit terrain,

Dessins légers sur une broderie,
Joyaux mignons pour la galanterie :
Orfèvre suis, et non fondeur d’airain !

Q15  T15  octo  s sur s

Dans un petit sonnet mettre l’immensité : — 1882 (14)

Eugène Manuel En voyage

Sur la falaise

Dans un petit sonnet mettre l’immensité :
Y renfermer le ciel profond, la mer, la grève,
Le flot mouvant, le roc miné, le bruit sans trève,
Et la brume d’hiver, et l’ouragan d’été ;

Montrer à l’horizon, sur la vague emporté,
Le navire, fétu que l’abîme soulève ;
Et jeter dans cette ombre, et mêler à ce rêve
Ta lumière, Seigneur, et ton éternité » :

Ah ! c’est vraiment alors écrire un long poème ;
C’est introduire l’âme aux régions qu’elle aime,
Et grandir l’humble vers qui promettait si peu !

Le cadre est assez vaste, et le poète à l’aise
Peut vivre tout un jour, au bord de la falaise,
De ce petit sonnet qui lui parle de Dieu.

Q15  T15  s sur s

Publier vos sonnets ! quelle mouche vous pique ? — 1881 (18)

Ernest Lafond Sonnets aux étoiles

Publier vos sonnets ! quelle mouche vous pique ?
C’est un genre ennuyeux, je vous le dis tout net.
— Permettez, permettez, cher monsieur, le sonnet
Est un cadre mignon, une médaille antique,

Un coffret ciselé. — Dites donc un cornet. —
Ils sont courts. — Mais nombreux ; leur race est prolifique,
Et j’aimerais mieux lire un long poème épique.
Quand il est isolé, c’est un fat en corset.

Puis le trait de la fin… Toujours la même chute ;
Dans le même fossé c’est la même culbute ;
Ce que Molière en dit, vous vous en souvenez ?

Il va parler encor… Je vous passe le reste ;
Mais n’allez pas, lecteur, souhaiter, comme Alceste,
Que je fasse une chute à me casser le nez.

Q16  T15  s sur s

Quoi ! vous voulez des vers de moi ! le vilain tour ! — 1881 (14)

Forgemol de Bostquénard Ghazels

Pour un autre album

Quoi ! vous voulez des vers de moi ! le vilain tour !
Vous voulez qu’emplissant le blanc de cette page
J’y fasse défiler, en galant équipage,
La rime au timbre d’or, les mots couleur de jour.

C’était ce qu’autrefois, toute seule en sa tour,
La dame demandait au savoir de son page,
Et les vers bien sonnants alternaient leur tapage
Avec les heurts de fer, bruissant à l’entour.

Mais la dame n’a plus de page au doux murmure.
Les porteurs de cithare et les porteurs d’armure
N’ont plus tant de bonheur, au champ de leurs tournois.

Pourtant, mauvais sonnet, ici, je veux t’écrire ;
Car nous aurons ainsi le prétexte sournois,
Vous, d’en sourire un peu, moi, de vous voir sourire.

Q15  T14 – banv –  s sur s Ce sonnet de Forgemol de Bostquénard se retrouve dans le volume publié en 1911 sous le titre (un alexandrin parfait) « Rimeurs du Luxembourg et du Palais-Bourbon » et contenant un choix de poèmes composés par des hommes politiques, ministres, sénateurs et députés (Forgemol l’était, alors, de Seine et Marne). Cet ouvrage m’a déçu. J’espérais joindre à ma collection quelque sonnet de Président de la République (Paul Deschanel), de président du Conseil ; de Combes, de Jaurès, de Jules Guesde, … en vain.

Du sein des riches fleurs d’Asie — 1881 (1)

Arthur BretonLe Garde-forestier. sonnets –

Le Sonnet

Du sein des riches fleurs d’Asie
Le parfum sort plus pénétrant
Et l’or du Palerne enivrant
S’épure en l’amphore choisie.

Le Sonnet d’émail transparent
Ainsi fait luire, ô poésie,
Ta quintessence d’ambroisie
Dans son beau calice odorant;

Et, lorsqu’on penche cette coupe,
Qu’à vives facettes découpe
La pointe du vers raffiné,

L’idée au travers étincelle,
Et plus poétique ruisselle
Du Vase avec art buriné.

Q16 – T15 – octo – s sur s