Archives de catégorie : s sur s

Sonnets sur le sonnet

Des bavards je suis revenu; — 1879 (10)

– (Philibert Le Duc, ed) Sonnets curieux et Sonnets célèbres.

Profession de foi

Des bavards je suis revenu;
C’est pourquoi de ma république
Je bannis tout poëte épique.
Pour Voltaire, c’est convenu;

Et lui-même, le grand classique,
Homère m’a toujours déplu,
J’en fais l’aveu très ingénu,
Par sa longueur kilométrique.

Parlez-moi de quatorze vers,
Fussent-ils forgés de travers;
Etre sobre est ma loi suprême;

Et m’est avis que mon sonnet
Bien que clochant un tantinet,
Ennuira moins qu’un long poëme.

de Berluc-Perussis

Q16 – T15 – octo – s sur s

Une rousse qui m’aime et s’appelle Honorine, — 1878 (8)

P(aul) Darasse Laeta & moesta

Honorine

Une rousse qui m’aime et s’appelle Honorine,
Excusez son prénom – m’a dit : Tu fais des vers,
Que n’en fais-tu pour moi ? Bien sûr, je t’abomine,
Si je n’ai pas de toi un sonnet, gros pervers !

Eh bien, si je croyais qu’elle tînt sa parole,
Pour m’en débarrasser je refuserais net
Et la prendrais au mot ; mais je sais que la folle
M’adorerait quand même, oui, monsieur, sans sonnet.

Car c’est un vrai caniche, un lierre ; elle est fidèle
Au point que je voudrais, comme un rare modèle,
Qu’on la fît empailler ou mettre en un bocal !

Tiens, mais je m’aperçois qu sans y prendre garde,
Voilà mon sonnet fait ! Parbleu, je le lui garde ;
Elle se fâchera, mais ça m’est bien égal !

Q59  T15  s sur s

Puisque le feu sacré dans mon coeur se réveille, — 1878 (5)

F. Cousin (de la Bassée) Dans la charmille

UN SONNET.

Puisque le feu sacré dans mon coeur se réveille,
Muse, à l’oeuvre, je veux trouver sous mon bonnet…
Trouver, devinez quoi?… quel caprice! un sonnet,
Dussé-je prolonger jusqu’au matin ma veille !

Notre grand maître à tous, Boileau, qui s’y connaît,
Nous dit que deux quatrains de mesure pareille,
Où la rime à deux sons frappe huit fois l’oreille,
Suivis de deux tercets distincts, font le sonnet.

Il faut que ces tercets, ajoute-t-il encore ,
Séparés par le sens, aient un rhythme sonore,
Avec un vers final, piquant, inattendu.

Voilà presqu’un sonnet ; c’en est un, sans nul doute,
Du Parnasse, ma foi, je reconnais la route
Que parcourait jadis l’auteur du Temps perdu (*).

(*) Titre d’un volume de poésies de l’auteur.

Q16  T15  s sur s

Je vous dois quelques mots de préface, ô lecteur, — 1878 (4)

Marius Bonnefoy La Provence

Un mot de préface

Je vous dois quelques mots de préface, ô lecteur,
J’entreprends de chanter notre belle Provence ;
Chanter ? … c’est, je l’avoue, un grand mot que j’avance.
Que du sujet ma voix se trouve à la hauteur,

Croyez-le bien ; ce n’est pas là ce que je pense.
Je ne viens point ici me poser en auteur ;
Mais si pour mon pays je fais battre un seul cœur,
Je ne demanderai pas d’autre récompense.

En peignant ses héros, ses monuments divers,
Ses villes et ses chants tantôt secs, tantôt verts,
J’aurais pu me servir du poëme ou de l’ode ;

J’ai choisi le sonnet, comme étant plus commode,
Familier, circonscrit dans ses quatorze vers ;
Et puis, autre raison, c’est qu’il est à la mode.

Q16  T14  s sur s

Nous avons eu jadis le siècle d’or : le monde — 1878 (2)

Charles Soullier Mes sansonnets

Le Siècle du Sonnet ou Les sept ages du monde à partir de l’age d’or jusqu’à nos jours

Nous avons eu jadis le siècle d’or : le monde
Qui, jeune encore alors, n’était qu’à son printemps,
Avait pour tout habit sa chevelure blonde:
Mais un soleil si pur ne brilla pas longtemps.

Deux mille ans avaient fuit sur la terre et sur l’onde,
Quand le siècle de fer, grâce au progrès du temps,
Saluant de Papin la science profonde,
Découvrit la vapeur aux longs spireux flottants!

Après, vint au galop le siècle des lumières,
Dont l’astre éblouissant fatiguait les paupières;
Puis le siècle d’argent qui, pour parler plus net,

Fut le siècle du vol , ou siècle de la bourse ,
Que le siècle du sport absorba dans sa course.
Nous avons aujourd’hui le siècle du sonnet .

Q8 – T15 – s sur s – Mr Soullier cite La Harpe (commentant Boileau) : « C’est là pousser trop loin le respect pour le sonnet, où l’on ne trouve d’ailleurs point de différence essentielle entre sa tournure et celle des autres pièces de vers à rimes croisées, telles que le madrigal et l’épigramme dont le principal mérite est de finir aussi par une pensée remarquable. »
Il propose ensuite sa propre définition.
« Les règles d’après les bases qui en ont été posées par les principales autorités littéraires sont:
– 1 – Le sonnet se compose de 14 vers de mesure pareille, principalement de 12 syllabes, mais quelque fois aussi de 10, 8, et même au-dessous de ce chiffre, selon la nature du sujet. Il ne faut que très rarement se départir de ces formes principales.
– 2 – Ces 14 vers doivent être divisés en deux quatrains et deux tercets
– 3 – Il ne doit exister que deux genres de rimes dans les deux quatrains, l’une masculine et l’autre féminine. Les rimes peuvent être consécutives ou diversement croisées selon le choix du poète.
– 4 – Le sixain, composant les 2 tercets, doit avoir trois rimes. Ces rimes doivent être différentes de celles de deux quatrains; et elles seront disposées à volonté, selon les règles particulières des stances de six vers.
– 5 – Il y aura un repos entier au quatrième vers de chaque quatrain et un demi-repos au deuxième vers de chacun d’eux. « 

Oui certe, un beau sonnet vaut seul tout un poème ; — 1877 (7)

Louis Guibert in L’Artiste

Le sonnet

Oui certe, un beau sonnet vaut seul tout un poème ;
Mais c’est fortune exquise et bien rare vraiment
Que de mettre la main sur un tel diamant :
Le sonnettiste heureux est l’artiste suprême.

Ballade ou madrigal, romance, épître même,
Rien d’un cadre aussi fin n’entoure un compliment.
Trouvez-moi, s’il se peut, un écrin plus charmant
Pour présenter son cœur à la femme qu’on aime.

Le coffret tout d’abord plaît et séduit les yeux
Par son étrange éclat, son travail merveilleux ;
Mais plus riche il paraît, plus, quand la belle l’ouvre,

La perle en son nid d’or brille au regard surpris…
Ainsi, dans la splendeur du vers qui la recouvre,
La pensée ingénue acquiert un nouveau prix.

Q15  T14 – banv –  s sur s

Respectez-la toujours cette forme que j’aime, — 1877 (2)

Henri-Charles ReadPoésies

Le sonnet
à ma soeur

Respectez-la toujours cette forme que j’aime,
Cette forme divine et pure qu’Apollon
Autrefois inventa dans le sacré vallon
Et qu’il fit resplendir d’une beauté suprême!

Sur ton front gracieux posons le diadème,
O sonnet, toi qui n’est ni trop court, ni trop long,
Qui tantôt es Zéphir et tantôt Aquilon!
Quel que tu sois, tu vaux toujours mieux qu’un poème.

Que de méchants auteurs t’ont péniblement fait,
Qui sans repos longtemps ont torturé leur tête
Pour mettre un avorton au jour, non un Sonnet;

La source vive sort, et, sans que rien l’arrête,
Des fentes du rocher s’élance d’un seul jet:
Ainsi tu dois jaillir de l’âme du Poète!

Q15 – T20 – s sur s

Le sonnet, cadre étroit, mais où la poésie — 1876 (14)

Eugène Lambert in L’Artiste

Le sonnet

Le sonnet, cadre étroit, mais où la poésie
Enferme avec amour, sans le faire éclater,
Tout ce qui charme : amour, foi, raison, fantasie,
Et vient en ce milieu charmant pour y chanter !

C’est tout ce qu’il concentre en sa forme choisie ;
C’est la parcelle d’or que l’art sait présenter
A son creuset, qu’informe encore, il a saisie
Pour en fait un bijou qu’un burin doit sculpter ;

Tous les parfums d’Asie, et que le Tigre arrose,
En une goutte d’ambre ou d’essence de rose ;
Tous les rayons qu’un prisme en lui peut réunit ;

C’est toute la rosée, en sa perle irisée ;
Et tous les sentiments en un seul souvenir,
Et qui d’un coin du cœur nous font un Elysée !

Q8  T14  s sur s

Mon esprit, sérieux et fils de la Réforme — 1876 (1)

Auguste CreisselsLes Tendresses Viriles – Sonnets –

Le Sonnet

Mon esprit, sérieux et fils de la Réforme
Aime, en vrai huguenot, le Sonnet dédaigné;
Car son double quatrain, droit, sévère, aligné,
Accepte pour son bien la rigueur de la forme.

Soumis aux mêmes lois, le tercet uniforme
Reste grave et solide au poste désigné;
On dirait des soldats d’Agrippa d’Aubigné
Maintenus au cordeau par Philibert Delorme.

Si des quatorze vers un seul quittait le rang,
L’esprit des francs-routiers, sur l’heure y pénétrant,
Ferait de ces héros des coureurs d’aventure;

La force du Sonnet exige un mouvement,
Discipliné, conduit comme un vieux régiment,
Sur un plan rigoureux de haute architecture.

Q15 – T15 – s sur s

Pourquoi dans un sonnet étrangler sa pensée ? — 1875 (10)

Eugène Roulleaux in Revue … de l’Ain

Sonnet sur le sonnet

Pourquoi dans un sonnet étrangler sa pensée ?
Si, pour quelque chef-d’œuvre, un beau cadre me plaît,
Je n’étreindrai jamais, sur l’étroit chevalet,
Comme un vil criminel, ma muse embarrassée.

Ce qu’il faut, une fois la rime égalisée,
Comme des ailes d’aigle – ou bien de roitelet,
Ce n’est pas qu’elle courbe, obséquieux valet,
Devant un fouet brutal sa grâce cadencée.

Son destin est le vol, libre, capricieux.
Qu’elle rase les eaux ! qu’elle aille au fond des cieux !
Qu’elle brise tout frein ! L’espace est son domaine.

L’univers est à toi ! Songe que c’est meilleur
Qu’un sonnet – vrai carcan – Poésie, ô ma reine,
Et ne va pas ramper aux pieds d’un rimailleur.

Q15  T14 – banv –  s sur s