Archives de catégorie : s sur s

Sonnets sur le sonnet

Le Sonnet à la mode est, dit-on, revenu ; — 1875 (9)

Bernard Bonafoux Les nouveaux sonnets de Provence

Sonnet & chanson

Le Sonnet à la mode est, dit-on, revenu ;
J’en suis très-satisfait, et ce serait louable
Si comme nos aïeux on essayait, à table,
De le faire mousser à la fin du menu !

Il voulut déserter, – ce fut très-regrettable :
De se perpétuer il n’était pas tenu,
Mais puisqu’il nous revient comme un hôte connu,
Tachons que son succès soit à jamais durable.

La Chanson n’a pas craint de faire comme lui :
Elle nous a quitté, à bon droit elle a fui
Nos cœurs trop asservis à la vile matière.

Reviendra-t-elle un jour ? Ne désespérons pas
D’entendre nos enfants joindre, dans leurs ébats,
Le Sonnet amoureux à la Chanson guerrière.

Q16 T15  s sur s

Vous voulez un sonnet? – La chose est bientôt faite. — 1875 (6)

Gaston Schefer Premières poésies

A Mademoiselle X***

Vous voulez un sonnet? – La chose est bientôt faite.
Je vais vous en cuire un dans notre dernier goût,
Et je veux, en surplus, vous donner la recette
Pour toujours réussir ce précieux ragoût.

On prend pour un sonnet: un blanc rayon de lune,
L’aile d’un papillon, le pistil d’une fleur,
Un coquillage rose échoué sur la dune,
Et le brouillard léger d’une pâle vapeur.

Puis on mêle à cela, mais avec abondance,
Quelques larmes d’amour et de désespérance,
Un mot philosophique, un soupir de regret.

On parsème le tout de rimes flamboyantes,
On mélange avec art ces choses étonnantes,
Puis on ajoute un vers, et le sonnet est fait.

Q59 – T15 – s sur s

Sonnet, que me veux-tu? …. Tyran de ma pensée — 1875 (1)

Adrien Brun Sonnets

Au Sonnet

Sonnet, que me veux-tu? …. Tyran de ma pensée
Je t’obéis pourtant, je t’aime malgré moi.
Car la Muse est esclave en se livrant à toi,
Et de ton despotisme elle est presque offensée.

Quand vers son idéal elle s’est élancée,
Tout obstacle l’irrite, et la met en émoi,
Puis elle cède enfin à ta sévère loi;
Dois-je espérer, au moins, l’en voir récompensée?

Ainsi découragé d’avance, j’hésitais:
Dans mon timide essor soudain je m’arrêtais;
Ma main, plus d’une fois, avait jeté la plume.

Mais, pour me rassurer, le Sonnet repartit:
Achève, ami, crois-moi, ton modeste volume;
On passe dans la foule en se faisant petit.

Q15 – T14 – s sur s

Héléna, dans le pampre et les liserons bleux, — 1874 (22)

Gustave Mathieu in Revue du monde nouveau

Héléna changée en sonnet

Héléna, dans le pampre et les liserons bleux,
Lustrait ses cheveux roux !!! sous leurs touffes vermeilles
Plongeant ses doux rayons, le soleil, amoureux,
Des ses beaux seins mouvants titillait les merveilles.

Tout en fenêtre en face, un poëte envieux
La guettait l’œil en feu, du sang dans les oreilles !!!
Lors, des vers susurrant sous son cerveau fiévreux,
De s’élancer vainqueurs, essaimant comme abeilles …..

Les voilà s’acharnant à leur proie ; et le soir
L’astre jaloux, avant de s’abîmer, put voir
Lorgnant obliquement de la rive orangée,

Sous les baisers pourprés de quatorze grands vers,
Héléna, renversée et les yeux à l’envers,
Se tordre convulsive, en un sonnet changée.

Q8  T15  s sur s  (traitement assez étrange de ce thème)

Le sonnet est parfois en ses quatorze vers — 1874 (20)

Léon Duvauchel in L’Artiste

Sur le sonnet
Ma foi, c’est fait ! (Rondeau de Voiture)

Le sonnet est parfois en ses quatorze vers
Trop court pour contenir en entier ma pensée :
Alors, comme une barque au hasard balancée,
Elle chavire ou va, boiteuse, de travers.

Elle voudrait aussi pour bornes l’univers,
Lorsqu’aux mondes lointains elle s’est élancée,
Lorsqu’à la fiction je la vois fiancée,
Qu’elle s’est mis au front des diadèmes verts.

Souvent, hélas ! poète impuissant, infertile,
Le sonnet est trop long, et je n’ai pas rimé
Deux beaux quatrains jouant sur un sujet aimé ;

Et je te fâche alors d’un désir inutile,
Muse, tu ne veux pas ces jours-là m’écouter…
Pourtant j’en ai fait un … presque sans m’en douter !

Q15  T30  s sur s

Le terme est arrivé du compte de mes jours. — 1874 (13)

Cabaner Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Le poète mourant

Le terme est arrivé du compte de mes jours.
Dans un moment je vais pousser mes derniers râles,
J’entends un bruit confus de clairons, de cymbales,
De cloches, de tamtams, de fifres, de tambours.

Et j’écris mon dernier sonnet pendant ces courts
Instants. Déjà la Mort, à travers plusieurs salles,
Vient vers moi, déroulant dans ses longues mains pâles,
Un écrit que, cherchant des rimes, je parcours.

Mort! Mon sonnet sera comme un vase sans anses,
Si je ne peux finir les tercets ! mais cela
T’importe peu – Bourgeoise! – et toujours tu avances!

Je sens ton souffle impur … – qui donc l’achèvera
Ce sonnet. Moi? dussè-je au milieu des souffrances
Le terminer avec mon dernier soupir … Ha!

Q15 – T20 – s sur s

Au diable le sonnet, bien que dans la Sicile, — 1874 (4)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

Sonnet contre Sonnet

Au diable le sonnet, bien que dans la Sicile,
Il ait longtemps fleuri dans les vallons d’Enna!
N’est pas toujours très beau ce qu’on croit difficile,
Et Boileau, sur ce point, sottement raisonna.

Quant à moi, je préfère un seul vers de Virgile,
A ce vain jeu d’esprit qui nous vint de l’Etna.
Il peut plaire à la cour et sourire à la ville,
Le bon sens indigné pourtant le condamna.

Le plus beau ne vaut pas le moins brillant poème,
Car loin d’être enrichi d’une beauté suprème,
Auprès d’un diamant, c’est un caillou du Rhin.

Le verre imite mal le cristal de Bohème.
Ce sonnet, c’est le verre, et la vierge que j’aime
Rejetterai le strass de son splendide écrin.

Th. Richard-Baudin

Q8 – T6 – s sur s

Dans cette époque ardente où la vapeur est reine, — 1874 (2)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874. Sonnets inédits publiés avec le concours de 150 sonnettistes – Aix –

Dans cette époque ardente où la vapeur est reine,
Où les jours, plus pressés, pour tous semblent courir,
L’idéal, exilé de sa sphère sereine,
De rêves longs et doux ne peut plus se nourrir.

Le fait parle en despote, et sa voix souveraine
Nous dit: il faut marcher et ne plus discourir,
Car la vie, aujourd’hui, n’est qu’une grande arène,
Où l’on entre à son tour pour lutter et mourir.

Dans cette course folle, où s’agiter c’est vivre,
Eh, qui donc a le temps de composer un livre,
Comme pour le présent écrit pour l’avenir?

Le sonnet, par sa forme exacte et condensée,
Répond à notre hâte, en servant la pensée,
Et par un dernier trait l’impose au souvenir.

Auguste de Vaucelle

Q8 – T15 – s sur s

Je t’invoque, Sonnet ! Fi du poème énorme — 1873 (37)

– – Joseph AutranSonnets capricieux

Je t’invoque, Sonnet ! Fi du poème énorme
Qui, de ses douze chants, assomme l’auditeur !
Sur le ton solennel que tout autre s’endorme,
Toi, tu n’as pas le temps d’assoupir un lecteur.

J’aime ton pas léger, j’aime ta mince forme ;
Ayant si peu de corps, tu n’as pas de lenteur,
On fait un lourd fagot avec le bois de l’orme,
Avec un brin de rose on fait une senteur !

Va donc, cours et reviens, demande à l’hirondelle
Cet essor qui franchit tout le ciel d’un coup d’aile ;
Au fier cheval de Job emprunte son galop

Sois l’éclair, le rayon, le regard, le sourire.
Oh ! et fais en un mot que l’on ne puisse dire :
« Quatorze vers, c’est encor trop ! »

Q8  T15  2m  s sur s

Vers filés à la main et d’un pied uniforme, — 1873 (20)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

I
Sonnet

Avec la manière de s’en servir
Réglons notre papier et formons bien nos lettres

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton;
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme ….
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme;
Aux fils du télégraphe: – on en suit quatre, en long;
A chaque pieu, la rime – exemple: chloroforme.
– Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

Télégramme sacré – 20 mots – Vite à mon aide…
(Sonnet – c’est un sonnet – ) ô Muse d’Archimède!
– La preuve d’un sonnet est par l’addition:

– Je pose 4 et 4=8! Alors je procède,
En posant 3 et 3! – Tenons Pégase raide:
« Ô lyre! Ô délire! Ô… » – Sonnet – Attention!

Pic de la Maladetta. – Août.

Q8 – T15 – s sur s – On comparera ce ‘sonnet sur le sonnet’ de Corbière aux autres exemples contenus dans ce choix.

(a.ch)  » Dans son sonnet sur le sonnet, Corbière, horribile auditu, a fait un vers faux :
Je pose 4 et 4=8! Alors je procède, Même si on ne dit pas « égal » :
Je pose quatre et quatre : huit Alors je procède = 13 syllabes car huit a un h aspiré. Le vers n’est correct qu’oralement »