Le sonnet, me dis-tu – je mangeais un merlan — 1998 (4)

Jacques DarrasPetite somme sonnante
Soixante-et-onze sonnets
I

1

Le sonnet, me dis-tu – je mangeais un merlan
Que le menu m’avait décrit comme « en colère »
Mais dont l’ire apparente par frayeur s’était tue
Devant les saillies marines de la cuisinière –

Le sonnet repris-tu – tandis que ton regard
Plongeait par la vitre d’aquarium nous séparant
De la rue, du parapet du pont sous lequel
Coule la Seine au pied de l’aile du Louvre d’un plastique

Habillée (l’architecture est de la cuisine
Appliquée aux belles pierres) -, le sonnet – tu te tus
Presque alors cependant qu’une arête luttait,

La seule, la dernière contre ma glotte courroucée,
Rebelle entrée en rébellion par manque d’audace
De Poisson Père – doit être d’un bloc pour être cru.

bl – m.irr. – sns s sur s

Son con est sans secret, sa vulve est sans mystère — 1998 (3)

Luc Etienne in Nicolas Galaud et Pascal Sigoda – L.C. Ingénieur du langage


Le sonnet d’Arvers … à revers

Son con est sans secret, sa vulve est sans mystère
Mais j’ai pris cette nuit, en un moment, son cul.
Elle était endormie, aussi j’ai dû me taire
Celle à qui je l’ai fait n’en a jamais rien su.

Hélas, j’aurai piné près d’elle inaperçu,
Sans me l’asticoter et pourtant solitaire;
J’aurai planté mon bout dans cette jeune terre,
Et sans rien demander elle aura tout reçu.

En elle, à qui Dieu fit la fesse douce et tendre,
Je suivrai mon chemin, me distrayant d’entendre
Le bruit que dans la glaise on fait à chaque pas.

Au postère de voir ma semence fidèle
Elle dira, vidant son cul tout rempli d’elle:
« Quel est donc ce blanc d’oeuf?  » et ne comprendra pas

Victor Hugo (1802-1885)

Certains critiques s’étonnant non sans raison que le génie immense de l’auteur des ‘Contemplations’ ait pu se couler dans le moule étriqué des bouts rimés, estiment que le premier en date de ces sonnets n’est pas, comme on le croit communément, celui de ce pauvre Arvers, mais celui de Victor Hugo. Le malheureux Félix se serait donc contenté d’émasculer ce superbe et viril poème pour élaborer la falote et trop célèbre réplique.
Quoi qu’il en soit, il faut bien reconnaître au second davantage de pénétration, qualité essentielle quand il s’agit d’atteindre  la … postérité.

Q10 – T15 – arv

J’aime entre tous pays mon Neuflize NATAL, — 1998 (2)

Luc Etienne in Nicolas Galaud et Pascal Sigoda – L.C. Ingénieur du langage

Le conquérant immobile
Bout-rimé. Sujet donné: La paix des champs, sur les rimes des ‘Conquérants » de Heredia

J’aime entre tous pays mon Neuflize NATAL,
Ses maisons aux murs blancs, ni hautes ni HAUTAINES,
Qui n’ont pas vu grandir de fameux CAPITAINES
Et semblent se moquer du noir progrès BRUTAL.

Après avoir peiné pour quelque vil METAL
Je viens me reposer, des villes si LOINTAINES
Dans l’herbe je m’étends. Tout un peuple d’ANTENNES
M’entoure, m’isolant du monde OCCIDENTAL.

Je rêve lentement de voyages EPIQUES,
Orages périlleux, chasses sous les TROPIQUES
Puis retour triomphal, luxe, palais DORE;

J’ai ramené d’or pur trois blanches CARAVELLES,
Non, mais je suis heureux, dans ce monde IGNORE
Et je n’ai pas besoin, moi, d’étoiles NOUVELLES

Q15 – T14 – banv – b.rim

J’ai votre odeur sur moi — 1998 (1)

Paul-Louis Rossi – in  Sources, (Namur)

La bayadère

J’ai votre odeur sur moi
Violente qui venez me prendre
Dans un sillage chaque fois
Que la nuit se fait attendre

Je vois le buste et l’épaule
A la clarté d’une étoile
Et je ne voudrais plus laver
La main qui vous a touchée

Comme un animal fabuleux
Chaque soir qui désespère
Du désir de la bayadère

Qui ne reconnaît ni l’oeil
Ni la bouche que vient lécher
Votre corps miraculeux

bl – m.irr.

L’escargot que j’avais au temps sec remarqué — 1997 (8)

Robert Marteau Rites et offrandes (2002)

(Attichy, mardi 26 août 1997)

L’escargot que j’avais au temps sec remarqué
En un même lieu fixé sur la même tige,
Voilà qu’il s’est mis en chemin depuis la pluie.
Je le vois: il va, il s’arrête, s’alimente

D’un fragment végétal qu’il a choisi, qu’il broie,
Qu’il incurgite suavement. Ses antennes
Palpent l’air, sondent visuellement l’espace,
Périscopes subtils qui s’emploient à trier

Les images, mais aussi les vibrations.
Il n’insiste pas, s’éloigne en réfléchissant,
Maintenant goûte au débris recroquevillé

D’un limbe que de ses mandibules mouillées
D’abord il bouge, puis mâche patiemment,
Car patient il est dans un âge sans fin.

bl – 12s- sns

L’église est debout au bord d’un champ de colza — 1997 (7)

Robert Marteau Rites et offrandes (2002)

(Dimanche 13 avril 1997)

L’église est debout au bord d’un champ de colza
Dont on voit le jaune au gré du vent fluctuer
Sans qu’une vague jamais atteigne le bleu
Qui descend, hémisphérique, impalpable étoffe

Sans reprise, inlassablement faite et défaite,
Fabuleuse invention qu’il nous faut connaître
Par la musique, et par la parole expliquer.
Un épervier se tient suspendu: appuyé

Sur ses ailes, il s’affronte aux souffles, surveille
Rectifie avec ses caudales l’altitude.
Toute la plaine va par ondes successives

S’évanouir où la forêt s’adresse, offerte
Verticalement, au ciel éclairé, carrière
Que le soleil parcourt sans y laisser d’ornières.

bl – 12s- sns

Je zuiz le ténébreux, le veuf l’inconzolé — 1997 (6)

Oulipo La Bibliothèque Oulipienne –  vol IV

El Dezdichado, ou S/Z

Je zuiz le ténébreux, le veuf l’inconzolé
Le prinze l’Aquitaine à la tour abolie
Ma zeule étoile est morte, et mon luth conztellé
Porte le zoleil noir de la mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, toi qui m’az conzolé,
Rendz –moi le Pauzilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaizait tant à mon coeur dézolé,
Et la treille où le Pampre à la vigne z’allie.

Zuiz-je Amour ou Phoebuz? … Luzignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baizer de la Reine;
J’ai rêvé dans la grotte où nage la Zyrène…

Et j’ai troiz foiz vainqueur traverzé  l’Achéron:
Modulant tour à tour zur la lyre d’Orphée
Les zoupirz de la Zainte et les criz de la Fée.

Q8 – T30

Madame je ne puis à ton Soleil descendre — 1997 (5)

Jacques Chessex Douze blasons

La fente

Madame je ne puis à ton Soleil descendre
Sans me représenter ausssitôt ton trépas
Bouche en poudre, poussière aussi de tes appas
De miel, de lait, de belle chair réduite en cendres

Pourtant je vais en toi Madame sans me rendre
Au conseil de la Mort qui me suit pas à pas
Je persiste à fouiller au doucereux repas
Vois de ce deuil promis je ne veux rien apprendre

De quel entêtement je vais à ton repaire!
Un insouciant désir préside à me distraire
Quand je me livre à ton très souhaitable feu

Je me fonds au profond de ta secrète fente
Où manger le Soleil rose parmi la pente
Et divertir la mort à ce funèbre jeu

Q15 – T15

Madame je n’ai pas regret, que de vos seins — 1997 (4)

Jacques Chessex Douze blasons


Les seins

Madame je n’ai pas regret, que de vos seins
Je ne puisse parler sans parler de pelote
Mais pomme direz-vous? l’image serait forte
Et fraise à leur sommet? Quand je n’ai que dessein

De louer leur souplesse à ma paume et le teint
Du double globe et de son fruité à la hotte
Du cou luisant, puis par la pente vers la grotte
Humide à l’autre lait dessous un beau jardin

Je suis vivant Madame et vous vivante aussi
Ces jeux de rhétorique augmentent votre ennui
Mais qu’au double soleil de pourpre purpurine

J’ajoute mon miroir à ce miroir jumeau
A la mort je dérobe un peu de la colline
Où reposer ma tête à ce tiède tombeau

Q15 – T14 – banv

En ce couchant, Lycius, surgi ce — 1997 (3)

–  Philippe Jacottet in D’une lyre à cinq cordes

En ce couchant, Lycius, surgi ce
climatérique lustre de la vie,
chute est le pas pour si peu qu’il dévie
et toute chute aisément précipice.

Caduc le pas? Que l’esprit s’éclaircisse.
Peu à peu se disjoint la terre unie;
quelle raison par la poudre avertie
attendit que s’effondre l’édifice?

Non seulement de la peau la vipère,
Avec la peau, de l’âge se défait,
mais l’homme non. Aveugle cours humain!

Oh! bienheureux celui qui, déposée
la part pesante en la muette pierre,
la légère offre au saphir souverain.

Gongora

Q15 – T38 – déca – tr

par Jacques Roubaud