Frondeur, ta thèse est fausse, et le fait te dément ; — 1856 (3)

Henry Weger Vibrations lyriques

Le sonnet au 19è siècle
A M. l’abbé Suchet

Frondeur, ta thèse est fausse, et le fait te dément ;
Cette fleur qui nous vint des champs de l’Ausonie,
Du Parnasse français n’a pas été bannie,
Elle est encor des luths le plus riche ornement.

La muse de Barbier, pleurant sur l’Italie,
Pour la cueillir fait trève à son gémissement,
Et Delatour, qu’inspire un gracieux génie,
Au bleu myosotis la mêle élégamment.

Sainte Beuve suspend ce beau fleuron étrusque
Au fauteuil d’Academe, et nul ne s’en offusque ;
Et Gauthier l’entrelace aus trèfles de sa Tour.

Oui, le SONNET est cher aux lyres de la France :
Chaque printemps, aux jeux qu’institua Clémence,
Il brille au front des rois du gai savoir d’amour

Q17  T15  s sur s

Petit sonnet, comment mettrai-je en toi — 1856 (2)

Louis Griveau Encore des rimes

Petit sonnet

Petit sonnet, comment mettrai-je en toi
Toute mon âme et toute ma pensée?
A tes versets, pour un pareil emploi,
Ma muse est-elle assez bien exercée?

Ah, je le sens, trop sévère est ta loi;
Etroitement  la chaîne en est tissée.
Il te faudrait plus habile que moi,
Pour, à toi seul, valoir une Odyssée.

Pour t’illustrer, tu n’as plus qu’un sizain.
Qu’un autre ici prenne ta gloire en main.
Ta part, pour moi, me semble être assez belle,

Si, sans aller au bout de l’univers,
Ton humble page obtient un regard d’elle,
Si d’un sourire elle honore tes vers.

Q8 – T14 – déca – s sur s

Parmi des flots d’azur, dimanche, un soleil d’or — 1856 (1)

Brocard de Meuvy fils Coupe d’amour

Le sommeil interrompu

Parmi des flots d’azur, dimanche, un soleil d’or
Rayonnait à midi; la maison fut déserte!
J’aime assez peu sortir quand tout le monde sort;
Je restai dans ma chambre et ne fit pas grand’perte,

Comme vous le verrez, si me lisez encor:
Mon store était baissé, ma croisée entr’ouverte,
L’air doux; je m’endormis, et mon plus cher trésor
Ma belle en robe bleue, au petit pas alerte,

Sur la pointe du pied, alors, entra chez moi;
Et soudain les baisers de ma brune enflammée
Eveillèrent nombreux ma paupière fermée.

Quel céleste réveil! Quel amoureux émoi!
Ma lèvre en feu s’unit à sa bouche vermeille,
Bianca fut une ruche, et je fus son abeille!

Q8 – T30

incise 1855

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– J. Bécherand Petit cours de Littérature … » Le sonnet  qui, selon Boileau, lorsqu’il est sans défaut, vaut seul un long poême, se compose de quatorze vers qui se divisent en deux, quatrains et tercets. Les quatrains doivent être sur les deux mêmes rimes, masculine et féminine, placées d’abord dans l’un et dans l’autre, au gré du poète, mais rangées ensuite de la même manière dans le premier et dans le deuxième.  »

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Pour soulever un poids si lourd, — 1855 (13)

Baudelaire in Revue des deux mondes

Le guignon

Pour soulever un poids si lourd,
Sisyphe, il faudrait ton courage!
Bien qu’on ait du coeur à l’ouvrage,
L’Art est long et le Temps est court.

Loin des sépultures célèbres,
Vers un cimetière isolé,
Mon coeur, comme un tambour voilé,
Va battant des marches funèbres.

– Maint joyau dort enseveli
Dans les ténèbres et l’oubli,
Bien loin des pioches et des sondes;

Mainte fleur épanche à regret
Son parfum doux comme un secret
Dans les solitudes profondes.

Q63 – T15 – octo


Connais-tu le pays où fleurit l’oranger? — 1855 (12)

Alfred BusquetLe poème des heures

(Septième heure)

Connais-tu le pays où fleurit l’oranger?
Où, parmi les fruits d’or, à l’abri de sa feuille,
Le bouton embaumé naît, grandit et s’effeuille,
Emplissant de parfums le retrait bocager.

Oh, c’est là qu’il est doux de vivre et de songer,
Que nos jours, comme un fruit ruminant que l’on cueille,
Comme un flôt murmurant que l’océan recueille,
Couleront vers la tombe avec un pied léger.

Cependant que la nuit blonde et tout éveillée
Luise: le rossignol chante dans la feuillée,
Le ver, dans le gazon, allume son fanal.

Soudain le ciel plissé, paupière qui frissonne
Au bord de l’horizon d’un éclat sidéral,
Rougit; il fait plus chaud – le vent se lève … il tonne.

Q15 – T14 banv

Les rimeurs ont posé le sonnet sur la pointe, — 1855 (11)

Auguste Brîzeux Histoire


IV

Les rimeurs ont posé le sonnet sur la pointe,
Le sonnet qui s’aiguise et finit en tercet:
Au solide quatrain la part faible est maljointe.

Je voudrais commencer par où l’on finissait.
Tercet svelte, élancé, dans ta grâce idéale,
Parais donc le premier, forme pyramidale.

Au-dessous les quatrains, graves, majestueux,
Liés par le ciment de la rime jumelle,
Fièrement assoiront leur base solennelle,
Leur socle de granit, leurs degrés somptueux.

Ainsi le mouvement s’élève harmonieux,
Plus de base effrayante à l’oeil et qui chancelle,
La base est large et sûre et l’aiguille étincelle,
La pyramide aura sa pointe dans les cieux.

s.rev: ede dcc abba abba ‘Sonnet renversé’ de Briseux. Louis Ayma, en 1839, l’a précédé, contrairement à ce que répètent les traités

Pétrarque, au doux sonnet je fus longtemps rebelle; — 1855 (10)

Auguste Brizeux Histoire in oeuvres vol II 1884 –


Formes et pensées, II

Pétrarque, au doux sonnet je fus longtemps rebelle;
Mais toi, divin Toscan, chaste et voluptueux,
Tu choisis, évitant tout rythme impétueux,
Pour ta belle pensée une forme humble et belle.

Ton poème aujourd’hui par des charmes m’appelle:
Vase étroit mais bien clos, coffret, plaisir des yeux,
D’où s’exhale un parfum subtil, mystérieux,
Que Laure respirait, le soir, dans la chapelle.

Aux souplesses de l’art la grâce se plaisait,
Maître, tu souriras si ma muse rurale
Et libre a fait ployer la forme magistrale;

Puis, sur le tour léger de l’Etrusque, naissait,
Docile à varier la forme antique et sainte,
L’urne pour les parfums, ou le miel, ou l’absinthe.

Q15 – T30 – s sur s

La mode est au sonnet; et ce n’est pas dommage; — 1855 (9)

Emile Grimaud Fleurs de Vendée

Le Sonnet

La mode est au sonnet; et ce n’est pas dommage;
Moi, je m’en réjouis et je dis hautement
Que le sonnet mérite en tout point notre hommage,
Que Despréaux eut tort d’en faire un vrai tourment.

Un sonnet! C’est léger comme un léger ramage;
C’est une étoile d’or qui passe au firmament;
C’est un cristal limpide où se peint une image,
Pétrarque l’adopta, je l’aime infiniment.

Tandis qu’avec les fleurs il se joue et lutine,
C’est un beau papillon qu’une main enfantine
Ose à peine toucher, tremblant de le ternir;

Enfin, c’est un anneau, religieux emblême,
Que le Poête met aux doigts de ceux qu’il aime,
Pour que de lui toujours ils gardent souvenir.

Q8 – T15 – s sur s

Je dansais avec vous, vous qu’en tremblant je nomme; — 1855 (8)

Jules Marchesseau Les croyances

Sonnet à mlle Cécile de ***

Je dansais avec vous, vous qu’en tremblant je nomme;
Vous me disiez: ‘ J’ai vu R*** aujourd’hui. »
Et, si de trop d’éclat vos yeux bleus n’avaient lui,
Je vous eusse conté le propos d’un grand homme:

– Un jour qu’en Ibérie il allait, plein d’ennui,
César, voyant un bourg pauvre et laid devant lui,
Dit à ses compagnons: « J’aimerais mieux, en somme,
Etre ici le premier que le second à Rome. »

– De César et de vous les titres sont égaux,
Car génie et beauté portent un diadème:
Cécile aux blanches dents, penseriez-vous de même?

Vous plairait-il aussi régner sur nos hameaux
Plutôt que?  – Mais, hélas!, pour être au rang suprême,
Vous n’avez pas besoin d’abandonner Bordeaux

Q18 – T28

par Jacques Roubaud