Oh ! mes jeunes amours, qu’êtes-vous devenues, — 1847 (4)

Charles Brainne Premières armes

A Madame A.M.

Oh ! mes jeunes amours, qu’êtes-vous devenues,
Vous que j’aurais voulu garder comme un trésor ;
L’instant où je croyais toucher du front les nues,
Et m’élever au ciel par un magique essor.

Accents mélodieux, extases inconnues
Qu’un ange soupirait sur une harpe d’or,
Harmonieux essaim de beautés toutes nues
Qui devant moi passiez et repassiez encor.

Ah ! revenez à moi, revenez, doux mensonges,
Qui voltigiez la nuit sur les ailes des songes,
Revenez endormir mes yeux mouillés de pleurs.

Rendez-moi, par pitié de ma longue souffrance,
Un peu de joie, au prix d’un siècle de douleurs,
Pour tous mes souvenirs une seule espérance.

Q8  T14

Quel caprice vivant qu’Alice! — 1847 (3)

Charles Hugo in Album d’Alice Ozy

Quel caprice vivant qu’Alice!
Par caprice elle eut pour amant
Un prince. On ne sait pas comment
Elle le quitta. – Par caprice!

L’éclat n’a rien qui l’éblouisse.
Elle préfère à tout moment
L’humble fleur au fin diamant,
Du beau rayon le pur calice.

Aujourd’hui sans savoir pourquoi,
Par caprice elle m’aime, moi! –
Par caprice, elle m’est fidèle.

Je ne connais dans ses amours
Qu’un caprice qu’elle a toujours:
C’est le caprice d’être belle.

Q15 – T15 – octo  Un des poèmes écrits par un des fils de Victor Hugo, rival (malheureux) de son père pour les faveurs de la belle Alice Ozy .

Amazone aux reins forts, solide centauresse, — 1847 (2)

Théodore de Banville Le sang de la coupe

Amazone nue

Amazone aux reins forts, solide centauresse,
Tu tiens par les cheveux, sans mors et sans lien,
Ton cheval de Titan, monstre thessalien;
Ta cuisse avec fureur le dompte et le caresse.

On voit voler au vent sa crinière et sa tresse.
Le superbe coursier t’obéit comme un chien,
Et rien n’arrêterait dans son calme païen
Ton corps, bâti de rocs comme une forteresse.

Franchissant d’un seul bond les antres effrayés,
Vous frappez du sabot, dans les bois non frayés,
Les pâtres chevelus et les troupeaux qui bêlent.

Toi, Nymphe, sans tunique, et ton cheval sans mors,
Vos flancs restent collés et vos croupes se mêlent,
Solide centauresse, amazone aux reins forts!

Q15 – T14 – banv

Ni dans les cieux étoiles voyageuses, — 1847 (1)

Emma Méhul Cent cinquante sonnets … traduits… de Pétrarque

Ni dans les cieux étoiles voyageuses,
Ni dans les champs beaux et fiers étrangers,
Ni dans les bois faons joyeux et légers,
Ni sur les mers voiles blanches nombreuses;

Ni d’un bien cher des nouvelles heureuses,
Ni de l’amour les discours mensongers
Ni dans les près ou sous les orangers
Douces chansons de femmes vertueuses;

Ni rien jamais ne touchera mon coeur,
Tant a su bien sous sa pierre avec elle
L’ensevelir, ma clarté, mon miroir.

Pour moi la vie est un poids de douleur:
Je veux mourir afin de revoir celle
Qu’il eût valu beaucoup mieux ne pas voir.

Q15 – T36 – déca – rvf  Traduction du sonnet 312 ( ‘Né per sereno ciel ir vaghe stelle« ) de Pétrarque qui respecte (chose rarissime) la disposition des rimes de l’original (ce qui implique aux vers 11-12 une violation de la règle d’alternance)

Au beau cauchois, la plus humble chaumière, — 1846 (11)

Victor Fleury, secrétaire de la mairie d’Ingouville Lointains

Sonnet

Au beau cauchois, la plus humble chaumière,
Sur son toit vert de mousse a des Iris d’azur,
Et sa vigne, accrochée à des clous sur les murs,
Pour jeter l’ombre au seuil inondé de lumière ;

Quelques poules, un coq, dont la voix la première
Salue à l’orient le jour encore obscur ;
Une mare dormante, ou bien un ruisseau pur,
Ou vient souvent puiser une fraîche fermière.

Et, devant la masure, un jardin, où les fleurs
– Doux emblêmes laissés comme choses fertiles, –
Ne poussent qu’au hasard parmi les biens utiles.

Une haie, en été, la défend des chaleurs,
Et les sureaux touffus, et la blanche aubépine
Y neigent, vers le soir, au vent de la colline.

Q15  T30

Avignon, tu charmais les jours de mon enfance, — 1846 (10)

Philippe d’Arbaud-Jouques Idylles antiques et sonnets

XII

Avignon, tu charmais les jours de mon enfance,
Quand d’une aïeule, heureux, je revoyais le seuil,
Et le Rhône flattait des bruits de son écueil,
Par sa mère conduit, l’enfant de la Durance.

Aujourd’hui, dans tes murs, étranger je m’avance,
Car ses remparts ont vu mon aïeule au cercueil,
Hélas ! depuis ce jour ton différent accueil
Glace en moi du passé la douce souvenance.

Bel âge, où, de la vie hôtes encor nouveaux,
Entre-voyant ses biens, nous ignorons ses maux !
Partout d’un jour serein je croyais voir l’aurore.

N’avez-vous plus, beaux lieux auxquels j’ai tant songé ,
Ce charme ? …. quel séjour me l’offrirait encore ?
L’illusion n’est plus, et le monde est changé.

Q15  T14 – banv

L’ombre tombait, du soir régnait l’heure indécise, — 1846 (9)

Louis Chefdeville Les solitudes

La cloche

L’ombre tombait, du soir régnait l’heure indécise,
Triste, j’étais assis aux bords qui me sont chers.
La mer battait la grève, et l’aile de la brise
Passait en gémissant sur les sables déserts.

Argentant le galet, l’algue et la roche grise,
A mes pieds lentement expiraient les flots clairs.
Je révais. Tout à coup la cloche d’une église,
Comme un écho lointain retentit dans les airs.

Et je frémis lors, une ivresse inconnue,
Au bruit des saints accords, remplit mon âme émue,
Et longtemps j’écoutai la voix qui tour à tour

Disait – tantôt sonore et tantôt faible et vague ,
– Sur la plaine aux bergers, aux pêcheurs sur la vague :
– Rendez grâce au Seigneur : Voici la fin du jour.

Q8  T15

O lecteur ! tu n’es pas sans avoir fait ce rêve : — 1846 (8)

Alphonse Esquiros Les vierges martyres

Le puits

O lecteur ! tu n’es pas sans avoir fait ce rêve :
Le long d’un escalier je suivais mon chemin ;
Sans balustre de fer pour appuyer ma main,
Je descendais à l’heure où la lune se lève.

Le voyage était long, sans soleil et sans trève ;
C’était toujours hier, c’était toujours demain :
Près de moi j’entendais marcher le genre humain
Comme un troupeau sans maître et perdu sur la grève.

Je disais à mon ame : Allons-nous en enfer ?
Ma lampe s’éteignait comme n’ayant plus d’air ;
Tout était à l’entour d’un gris couleur de cendre.

La science est ce puits éternel et profond ;
Et, depuis six mille ans que l’on sue à descendre,
Nul encor ne peut dire en avoir vu le fond.

Q15  T14 – banv

L’allée en longs détours sous la feuille qui tremble — 1846 (7)

Paul Mantz in L’Artiste


Poésie

L’allée en longs détours sous la feuille qui tremble
S’égare. – je descends ses méandres ombreux,
Et, pendant que j’ébauche un sonnet amoureux,
Une mère et son fils, devant moi, vont ensemble.

La mère est jeune et belle, et son fils lui ressemble;
Ils sont blonds l’un et l’autre et l’un par l’autre heureux ;
Je crois les voir s’aimer et se sourire entre eux
Comme deux frais pastels qu‘un seul cadre rassemble.

Retenus tout le jour dans l’austère maison,
Oiseaux à l’aile vive, ils quittent leur prison
Quand les loisirs du soir à leurs ennuis font trève ;

Ils prennent un sentier dans le bois, et souvent
Jusques à la nuit close ils s’en vont poursuivant
L’enfant ses papillons et la mère son rêve.

Q15  T15

Il est des moments de mélancolie — 1846 (6)

Alfred des Essarts Les chants de la jeunesse

Il est des moments de mélancolie
Où le cœur se lasse, où coulent les pleurs,
Où le noble espoir s’appelle folie,
Où l’homme à plaisir cherche des douleurs.

Il est des moments où brille la joie
Alors à nos yeux le ciel est d’azur ;
Comme un beau tapis le sol se déploie ;
La fleur est suave et l’air est plus pur.

Mais si le sourire est doux, que de charmes
Vous avez parfois, poétiques larmes !
Et quand trop d’éclat fatigue l’esprit,

Que ne donnerait l’heureux de la terre
A qui le destin constamment sourit,
Pour sentir des pleurs mouiller sa paupière !

Q59  T14  tara

par Jacques Roubaud