Vos cheveux sont-ils blonds, vos prunelles humides? — 1846 (5)

Baudelaire in L’Artiste

Sur l’album d’une dame inconnue

Vos cheveux sont-ils blonds, vos prunelles humides?
Avez-vous de beaux yeux à ravir l’univers?
Sont-ils doux ou cruels? Sont-ils fiers ou timides?
Méritez-vous enfin qu’on vous fasse des vers?

Drapez-vous galamment vos châles en chlamydes?
Portez-vous un blason de gueules et de vairs?
Savez-vous le secret des lointaines Armides?
Ou bien soupirez-vous sous les ombrages verts?

Si votre corps poli se tord comme un jeune arbre,
Et si le lourd damas, sur votre sein de marbre,
Comme un fleuve en courroux déborde en flots mouvants,

Si toute vos beautés valent qu’on s’inquiète,
Ne laissez plus courir mon rêve à tous les vents:
Belle, venez poser devant votre poête!

Q8 – T14

Ils vont criant partout, blêmes, la larme à l’oeil: — 1846 (3)

Philothée o’ Neddy (Théophile Dondey)   – Livres de sonnets

La vraie noblesse

Ils vont criant partout, blêmes, la larme à l’oeil:
 » Toute aristocratie est morte… hélas! quel deuil!  »
Mes maîtres, jugez mieux. La vôtre est au cercueil;
Mais la nôtre est debout, pleine d’un saint orgueil.

La nôtre, entendez-vous, sur votre blason fruste
Elle a posé le pied. C’est la noblesse auguste
Du penseur, du poëte, au coeur simple et robuste,
Cherchant le vrai, le beau, n’adorant que le juste.

Notre aristocratie, à nous, verra le jour,
La raison, notre reine, a pour tenir sa cour
Trois astres: l’Equité, la Liberté, l’Amour.

Oui, sachez-le, bourgeois, financiers, diplomates!
Les nobles, maintenant, les vrais aristocrates,
Les vrais patriciens – ce sont les démocrates!

A4B4C3D3

Du temps que je croyais aux dogmes catholiques, — 1846 (2)

Philothée o’ Neddy (Théophile Dondey) – Livres de sonnets

Madonna col bambino

Du temps que je croyais aux dogmes catholiques,
Que mes pensers d’enfance, ardemment ingénus,
Admettaient le pouvoir des saints et des reliques;
Que j’allais des autels baiser les marbres nus;

Parmi les beaux tableaux des grandes basiliques,
Celui que j’adorais, que je priais le plus,
C’était la Vierge blanche aux voiles angéliques,
Dans ses bras maternels portant l’enfant Jésus.

Et – bien que maintenant les doctrines sceptiques
Aient guéri mon cerveau des rêves chimériques
Bien que j’ose nier la Vierge et les élus,

J’ai toujours néammoins des tendresses mystiques,
Pour une femme assise en des prismes confus,
Qui tient un nouveau-né dans ses bras fantastiques.

Q8 – T7 – y=x (c=a, d=b)

Terrible trinité: le maigre Robespierre — 1846 (1)

Philothée o’ Neddy (Théophile Dondey) – Livres de sonnets

Les triumvirs
Terrible trinité: le maigre Robespierre
Entre le beau Saint-Just et l’infirme Couthon,
Trois hommes? Non, trois sphynx-de fer, d’airain, de pierre,
Dévorants léopards, lions – même Danton!

O problème! allier à la grandeur austère
De vertus qu’envieraient l’un et l’autre Caton,
Un fanatisme noir qui fait trembler la terre,
Et qu’au fond de l’Erèbe applaudit Alecthon!

Mais ne tolérons pas que de la bourgeoisie
L’hypocrite sagesse informe et sentencie
Contre ces hauts Nemrods, ces chasseurs de Tarquins.

Cela ne sied qu’aux fils de la démocratie.
Silence donc, silence, ô bourgeois publicains!
A nous seuls de juger ces grands républicains!

Q8 – T8

Incise 1845

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J. Dessiaux dans son Traité complet de versification française, cite le vers fameux de Boileau et le fait suivre d’un sonnet du même, avec ce commentaire:  » le style de ce sonnet est loin d’être sans défaut ‘.

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C’est dans l’isolement, sur l’arbuste effeuillé, — 1845 (12)

Auguste Desplaces La couronne d’Ophélie

La dernière couronne de l’été
sonnet imité de Thomas Moore

C’est dans l’isolement, sur l’arbuste effeuillé,
Que brille le carmin de la rose dernière,
Ses compagnes ayant vu tomber en poussière
Leur calice battu de l’orage, et souillé.

Sans y languir encore, ô triste solitaire !
Comme elles disparais du rameau dépouillé,
Tes sœurs ont, loin de toi, par les champs sommeillé,
Va rejoindre en débris leurs débris sur la terre.

Puissè-je, de mon ciel quand fuiront sans retour
Les espoirs les plus chers, les visions d’amour
Suivre ainsi dans la mort ces étoiles éteintes !

Quand tout a fui, quand sont couvertes du linceul
Les ferventes amours et les amitiés saintes,
En ce monde désert qui voudrait vivre seul ?

Q16  T14  tr

Le soir, quand je m’assieds près d’elle à la fenêtre, — 1845 (11)

Charles Bethuys Phases du cœur

Discrétion

Le soir, quand je m’assieds près d’elle à la fenêtre,
Effleurant ses genoux de mes genoux tremblans,
De peur des yeux furtifs qui veulent trop connaître,
Je cache mon amour sous quelques faux-semblans.

J’étouffe mes soupirs, toujours prompts à renaître,
Et j’abjure à ses pieds mes rêves accablans :
Elle sourit, et moi que le trouble pénètre
J’ai l’air de regarder la nue aux flocons blancs.

Puis, pour me dérober à ma pose distraite,
Je lis tout haut des vers, et ma bouche discrète
Choisis ceux où l’amour ne se reflète pas.

Le cercle, en m’écoutant, se trompe à l’apparence
Et ne trouve à ma voix que de l’indifférence
Car il ne saisit point ce que je dis tout bas.

Q8  T15

L’hiver, quand l’ouragan se déchaîne avec rage — 1845 (10)

J. Lacou Amours, regrets et souvenirs

Sonnet

L’hiver, quand l’ouragan se déchaîne avec rage
Et attriste la terre, que j’aime, dans la nuit,
A m’éveiller surpris, et entendre le bruit
Que font les éléments, surtout j’aime l’orage

Et la pluie qui tombe et bat avec tapage
Les grands vitraux carrés qui font face à mon lit,
Oh ! j’aime à voir aussi l’éclair qui soudain luit
Et un serpent de feu qui sillonne un nuage ;

Car c’est dans ces moments de terreur et d’effroi
Que le lâche et l’impie ont le cœur en émoi,
Reconnaissant un Dieu et craignant sa colère.

Celui qui fut la veille blasphémateur, méchant,
A la voix du tonnerre devient pâle et tremblant,
Et fait avec ferveur longtemps une prière.

Q15  T15  versification très incorrecte : hiatus : v2, 3, 8,11 – césure épique : v2,12,13 – ‘e’muet non élidé intérieur à un mot : v5 (pluie)

Dans ce vaste tombeau qui porte jusqu’aux cieux — 1845 (9)

Jules Ravier œuvres

Sonnet à Jacques Delille

Dans ce vaste tombeau qui porte jusqu’aux cieux
La force des guerriers, la gloire du génie,
Je parcourais un jour, plein de mélancolie,
De ses sombres piliers les plis majestueux.

Et tremblant, je sondais ce séjour ténébreux,
Guidé par la lueur d’une faible bougie.
Mais que vois-je ? un flambeau dont le feu s’irradie
A vous ! Rousseau, Voltaire, interprètes des dieux.

Les genoux et le front inclinés vers la terre,
Leur mémoire aussitôt inspire ma prière,
Qui rendit à l’écho ce penser de mon cœur :

Si tu sais rendre hommage à celui, noble France,
Dont l’esprit te laissa des marques de grandeur,
Delille a tous les droits à ta reconnaissance.

Q15  T14 – banv

par Jacques Roubaud