Du sonnet, moi j’ai la manie, — 1843 (3)

Gustave Levavasseur – in Vers

Sonnet

Du sonnet, moi j’ai la manie,
J’aime calembourgs et rébus,
J’aime la royauté bannie,
J’invoque Pégase et Phoebus.

Je dis au soir ma litanie,
Et mon feutre insulte Gibus;
Je compterais pour avanie
De m’encaisser en omnibus.

Que l’on me fronde ou qu’on me loue,
Devant notre siècle de boue,
Je me couvre d’un air hautain;

Et si j’étais moine ou bien prêtre,
Je sais ce que je voudrais être:
Abeilard ou l’abbé Cotin.

Q8 – T15 – octo – s sur s

Aux honneurs du poëme, ô toi qui veux prétendre, — 1843 (2)

MollevaultCinquante sonnets,

xlvi – Le Sonnet

Aux honneurs du poëme, ô toi qui veux prétendre,
Toi, tyran de ma verve, impérieux sonnet!
Qui, vanté par Boileau, daigne à peine m’entendre,
Au risque d’un cartel, je te veux parler net.

Lorsque que mon jeune coeur était facile et tendre,
Que l’heure du plaisir pour ma Muse sonnait,
J’allais, près de Vénus, sur le gazon m’étendre,
Et, sans peine, à ses pieds mon vers se façonnait.

Fatigué des travaux, quand du luth je m’escrime,
Mal avec les amours, et mal avec la rime,
Je les suis hors d’haleine, et ne les atteins pas.

Ah! quand l’arrêt du Temps vient tout nous interdire,
Il faut battre en retraite, et chaque jour se dire:
Adieu la rime riche et les riches appas.

Q8 – T15 – s sur s

Alors qu’avec bonheur votre verve s’exprime, — 1843 (1)

MollevaultCinquante sonnets, dédiés au cinquante membres titulaires et honoraires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres

xiv – Le sonnet de mr Nodier, offrant huit rimes pareilles, contre la règle

Alors qu’avec bonheur votre verve s’exprime,
Malgré votre talent, je le dis sans façon,
Huit rimes, même soeurs, que je gronde et supprime,
Ont du docte Boileau négligé la leçon.

Si des chants les pensers seuls emportaient la prime,
Vous pourriez vous livrer à ce retour de son,
Et vous verriez le Pinde, où votre talent prime,
Fier de vous présenter son plus cher nourrisson.

Avec un saint respect la langue vous contemple,
Et l’éditeur qui veut lui consacrer un temple
Grave sur le fronton le chiffre de Nodier.

Moi qui n’ai point l’essor de vous ou de Racine,
Au sol des éditeurs je ne prends point racine,
Et mon arbre est, hélas un vrai baguenaudier.

Q8 – T15

Incise 1842 (2)

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Une douzaine d’années après Sainte-Beuve, le sonnet semble promis à un nouveau grand avenir. Louis Reybaud fait dire à Jerome Paturot, le personnage principal de son roman:  » Pendant six mois je n’ai guère vécu que de sonnets; au déjeuner un sonnet, au dîner deux sonnets, sans compter les rondeaux; toujours des sonnets, partout des sonnets »

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Le printemps est venu. Le mois des giboulées — 1842 (21)

Emile de La Bedollière in Les français peints par eux-mêmes

Le printemps est venu. Le mois des giboulées
Cesse de détremper les flancs de nos côteaux,
Voici des jours de flamme et des nuits étoilées,
Un soleil radieux se mîre dans les eaux.

Et déjà l’amandier, sans craindre les gelées,
D’une blanche dentelle argente ses rameaux ;
L’on entend gazouiller sous les vertes feuillées
Un cœur harmonieux d’insectes et d’oiseaux.

N’est-ce pas ? Il est doux d’errer dans la contrée,
Qui s’égaie au soleil, de mille fleurs parée ;
Allons ensemble, ami ; viens, donne-moi la main.

Loin d’un monde brillant quand le bonheur s’exile,
Pour le suivre à la trace abandonnons la ville,
Et puissions- nous bientôt le trouver en chemin.

Q8 – T15

Vous partez, chers amis; la brise ride l’onde, — 1842 (20)

Théophile Gautier Oeuvres poétiques (ed.1880)

A des amis qui partaient, sonnet

Vous partez, chers amis; la brise ride l’onde,
Un beau reflet ambré dore le front du jour;
Comme un sein virginal sous un baiser d’amour,
La voile sous le vent palpite et se fait ronde.

Une écume d’argent brode la vague blonde,
La rive fuit. Voici Mante et sa double tour,
Puis cent autres clochers qui filent tour à tour
Puis Rouen la gothique et l’Océan qui gronde.

Au dos du vieux lion, terreur des matelots,
Vous allez confier votre barque fragile,
Et flatter de la main sa crinière de flots.

Horace fit une ode au vaisseau de Virgile:
Moi, j’implore pour vous, dans ces quatorze vers,
Les faveurs de Thétis, la déesse aux yeux verts.

Q15  T23

Toi qu’on vit récemment, de ton fauteuil critique, — 1842 (19)

Xavier Marmier Chants populaires du Nord

La conversion au sonnet

Toi qu’on vit récemment, de ton fauteuil critique,
Sur nos pauvres sonnets déverser à longs flots,
Raffinement cruel ! – le sel de ces bons mots
Qui pénètrent au vif par leur mordant attique ;

O blanc cygne venu du pur Olympe antiques !
Pourquoi sur son hermine aujourd’hui sans défauts,
Cette tache aujourd’hui de nos bourbeuses eaux ?
Te serais-tu souillé d’un sonnet romantkjque ?

As-tu donc oublié tant de dérisions,
Et du vieux maître Voss les déclamations
Qu’envenimaient l’injure et les cris d’anathème ?

Ah ! tu me fais penser au précepteur grondant,
Pour des fruits dérobés, son élève imprudent,
Et qui s’éloigne après pour en manger lui-même !

Q15  T15  tr (d’un sonnet de Uhland adressé à Goethe, tardivement converti à cette forme)

Il est vrai, cher ami, qu’à voir ton Italie, — 1842 (18)

Accurse Alix Poésies

A un italien

Il est vrai, cher ami, qu’à voir ton Italie,
On dirait que la mort a fermé ses beaux yeux,
Mais, comme Juliette, elle n’est qu’endormie,
Au milieu des tombeaux de ses nobles aïeux.

Son cœur bat, et parfois à l’oreille ravie
Sa bouche exhale encor un souffle harmonieux ;
Elle ne peut mourir, elle qui fut choisie
Pour hôtesse autrefois de la gloire des Dieux.

Il ne faut, pour rouvrir ses paupières divines,
Qu’un doux rayon du ciel tombé sur ses racines
Qu’un son de voix ami par l’écho répété.

Le cri d’un de ses fils que la vague ramène
Au rivage natal d’où le bannit la haine,
Rapportant son amour avec la liberté.

Q8  T15

Oh, oui, notre Bretagne est belle, n’est-ce pas ? — 1842 (17)

Armand Guérin Bretagne

Sonnet épilogue

Oh, oui, notre Bretagne est belle, n’est-ce pas ?
Avec son ciel de brume, et ses landes sauvages,
Avec les mille flots qui sapent ses rivages,
Ses vieux fils chevelus dont résonne le pas ?

Son sol tranquillisé n’entend plus les débats,
Des chevaliers bardés de fer et de courage ;
Des guerres d’autrefois s’est éteinte la rage :
Le foyer garde seul le récit des exploits.

Pourtant, toujours encor, quand il faut à la France
De ces homme de cœur, espoirs de sa souffrance ,
Elle va les chercher au pays des granits ;

Car dans les rochers seuls les aigles ont leurs nids ;
Il leur faut, pour grandir, l’air en pleine poitrine,
Pour berceau la tempête ou la vague marine.

Q15  T13 débats/ exploits/ hum, hum

J’avais sur le sommet d’une colline aimée, — 1842 (16)

Théodore Marquis de Foudras Chants pour tous

Souvenir du pays natal

J’avais sur le sommet d’une colline aimée,
Au milieu du jardin une blanche maison,
D’où l’oeil voyait d’abord une plaine animée,
Puis de riches côteaux, plus loin à l’horizon.

Là, riche de bonheur plus que de renommée,
J’ai passé tous les jours de ma jeune saison,
Là, ma famille était par les pauvres nommée,
Là, j’ai vu mes enfans jouer sur le gazon.

Là, j’avais trois tombeaux ! … dans l’un était ma mère ;
Dans l’autre, à ses côtés, reposait mon vieux père ;
Le troisième à mes vœux avait été promis.

Là, j’avais des amis bien reçus à toute heure …
Mais hélas ! à présent je n’ai plus la demeure !
Je n’ai plus les tombeaux ! ai-je encor les amis ?

Q8  T15

par Jacques Roubaud