Mon âme a ses dessous, ma vie en est l’émule: — 1987 (9)

Jacques Jouet in une réunion de l’Oulipo

La Dissimulation ou Sonnet à une mule
dédié aux mânes de Luc Etienne

Mon âme a ses dessous, ma vie en est l’émule:
Un penchant sans limite en un moment conçu,
Le mal est accompli, je le tais, dissimule,
Et celle qui l’a fait, l’a fait à son insu.

Maudit attouchement d’un dos bis et fessu,
Utopique passion qui sans cesse accumule
Les silences, non-dits, le dédain je simule,
Et jamais ne me plains cependant que déçu.

Mais dites-moi comment semblable sauvageonne,
Anesse mi-cheval que Dieu fit douce et bonne,
Me put ainsi… Hélàs!, noble calamité!

Une mule au mulet pïeusement fidèle
Lit sans aucun émoi ce sonnet tout plein d’elle
En ne constatant pas son impudicité. »

Q10 – T15 – arv

Un rectangle de ciel avec l’angle d’un toit — 1987 (8)

Robert Marteau Liturgie(1992)


(Trouville, mai)

Un rectangle de ciel avec l’angle d’un toit
S’inscrit dans la croisé où l’aile des mouettes
Glisse et dans la vitre en même temps se reflète,
Faisant que chaque oiseau forme une double croix
Volatile qui disparaît sans que l’oeil sache
Où à cause des persiennes dont le bois
En échelle ajusté, à gauche, à droite, cache
L’espace devenu perte, ainsi nous arrache
Tout ce qui traverse en mouvement bref l’étroit
Sas transparent que la fenêtre nous ménage
Haut, à la mi-hauteur d’un morceau de quadrant
Courbe, turquoise et bleu, parfois qui s’ennuage
De laine légère et flottante s’encadrant
Dans les carreaux où le goéland passe et nage.

bl avec quelques rimes – 12s – sns

Les amoureux fervents des fleuves impassibles — 1987 (7)

OulipoLa Bibliothèque Oulipienne , vol. II

Marcel BénabouAlexandre au greffoir


Les chats

Les amoureux fervents des fleuves impassibles
Aiment également, à l’ombre des forêts,
Les chats puissants et doux comme des chairs d’enfants
Qui comme eux sont frileux dans les froides ténèbres.

Amis de la science et de Pasiphaé,
Ils cherchent le silence et les cris de la fée;
L’Erèbe les eût pris aussi bien que l’Euripe,
S’ils pouvaient au servage gémir, pleurer, prier.

Ils prennent en songeant le sévère portique
Des grands sphinx allongés au Théâtre Français,
Qui semblent s’endormir aux feuillets souvent lus;

Leurs reins féconds sont pleins d’une profonde nuit,
Et des parcelles d’or, plus belles que vos jours,
Etoilent vaguement les grands pays muets.

bl

L’odeur de l’eau qui sèche sur le sable — 1987 (6)

Jean Grosjean La reine de Saba

L’odeur de l’eau qui sèche sur le sable
Comme un poisson qu’on retire du fleuve
A moins hanté mon âme que ne peuvent
La hanter tes départs irrespirables.

Comment vivre après toi? Le soleil même
N’est plus qu’un vieux lampion sur la campagne
Le coeur dont toute absence est la compagne
Va-t-il se souvenir longtemps qu’il t’aime?

Mais si tu n’avais l’art de t’éloigner
Tu haïrais sans doute un coeur novice
Et si mon coeur n’était pas si novice

L’amour parfait t’aurait bientôt lassé.
A ta façon de détourner la tête
J’ai su que tes départs étaient nos fêtes.

Q63 – T30=shmall* – disp: 4+4+4+2 – déca

L’ombre d’un micocoulier — 1987 (5)

Jean Grosjean La reine de Saba

L’ombre d’un micocoulier
S’est couchée sur le chemin.
J’entends les grillons crier
Dans l’air tremblant du matin.

Le chemin va par les près
Comme vont les orphelins,
L’ombre se met à tourner
Sans presque bouger les mains.

Bien que l’horizon m’invite
A marcher à l’aventure,
Je reste avec ta brochure,

Je m’endors sous le feuillage
Sans avoir tourné la page
Et ta durée me visite.

Q8 – T35 – 7s

Elle est sensible à l’amitié comme une sensitive — 1987 (4)

Xavier BordesLa pierre amour

Anti-sonnet  – Ariane, ma soeur

Elle est sensible à l’amitié comme une sensitive
Et pourtant se jette à la guerre avec le cri rauque
de l’Insomnie

Elle aime également ce qu’elle connaît
et ce qu’elle ne connaît pas
fait surgir une source là
où ne dormait pourtant que l’ombre du désert

Arrondit ses hanches dorées d’une ténèbre douce
comme celle frisante de la dune
Partage en deux la nuit de son astre d’argent
au creux de son écrin de mousse noire
telle une perle de rosée oubliée par la sylphide
lorsqu’elle a cassé dans sa hâte le pectoral de l’araignée

Et voici que soudain notre destin perd le nord
et se croit à l’article de la mort

Que la mer avançant dans les plis de sa toge
et sans cesse annonçant sa chute
ne sait plus si elle était à la lève ou à la retombe
et reste suspendue comme aux photos des calendriers

‘anti-sonnet’ – 19v

Elle dit de l’amour des choses qu’elle-même ignore — 1987 (3)

Xavier BordesLa pierre amour

Faux sonnet – Parmi nous

Elle dit de l’amour des choses qu’elle-même ignore
sans jamais répéter deux fois ses confidences insonores

Elle parle aux vents froids des secrets de l’ombre
quand à guerroyer elle se déshonore

Elle enseigne aux vents chauds la liste de ses exploits
allongée nue et la poitrine offerte

Elle raconte sa maison dans le désert
comme si c’était à la fois un taudis et un palais
une caverne et une tente rayonnant aux sables

seul point de fraîcheur noire à des siècles à la ronde
autour de laquelle bourdonne l’air comme autour d’une fumée

‘faux sonnet’ – 11v

Après le sommeil des grandes années fluviales — 1987 (2)

Xavier BordesLa pierre amour

Sonnet – Après le sommeil

Après le sommeil des grandes années fluviales
Voici que s’approche le jeu d’argile de l’été;
La terre qui durcit dans la fournaise du jour
La forme qui se creuse dans les golfes de lave.

Debout seul à parler du temps, des roses, des saisons
Cultivant les friches du langage, et seul, de profil
Tranchant sur le froid des étoiles environnantes,
Je jette mes regards dans les gouffres interdits.

Je sais entendre, qui chante, le temps, dans les âmes,
Une complainte de tristesse et de séparation …
Je sais l’Eveil, et le torrent des images cachées;

Et le sens qui plaque sur l’orgue profond des forêts
Un accord continu qu’arpègent les saisons:
Je m’absente au pays qui remplit ma raison.

bl – m.irr

O ceci est la bête qui point n’existe. — 1987 (1)

Roger Lewinter – (trad. des Sonnets à Orphée de Rilke) –

2, IV

O ceci est la bête qui point n’existe.
Point ne le savaient et l’ont à toute fin
– son évoluer, son port, son cou, jusqu’à
la lumière de l’impossible regard – aimée.

Point n’était certes. parce que l’aimaient pourtant,
bête pure se fit. De l’espace toujours laissaient.
Et dans l’espace, clair et d’économie,
la tête leva légère et eut à peine

besoin d’être. La nourrissaient non de grain,
seul du possible, toujours, qu’elle fût.
Et voilà qui telle force à la bête donna

Qu’elle poussa de soi une corne au front. Licorne.
près d’une vierge vint à passer blanche –
et dans le miroir d’argent et en elle, fut.

bl – m.irr – tr

Quando en vesper blanc s’extourbit lougarou — 1986 (4)

René BellettoLoin de Lyon – XLVII sonnets –


XLVII

Quando en vesper blanc s’extourbit lougarou
Et dravant tout sbubu in vivo castrati
Barjaque parlamor nonobstant qui est qui
Anscrut les stachichi au su des roudoudous,

Quando maliss (tendo limass) il vi dermou
S’éruminentérut au verso des étri
Au persu des foutrons sevré de mal en pis
Et ris noir aïe jailli tout prurit et rectou,

Alor alor, pastan hors les basoubasax
(Mais par un trou carré esquintant tous les axes),
Rinlaidron touboubou kif kif kes amours fussent

Dénérénélés déjà éternels par l’art
Sans loup, effaçons ma chérie hors papyrus
De lapins et moutons à jamais le départ

Q15 – T14 – banv

par Jacques Roubaud