Qu’il est saint, qu’il est pur ton beau front sous le voile ! — 1840 (8)

J.L.Tremblai Maladie et guérison

Sonnet à la Vierge Marie

Qu’il est saint, qu’il est pur ton beau front sous le voile !
Sous ses plis longs et blancs que l’on aime à te voir !
Tu parais à nos yeux comme un riant espoir,
Comme l’ardente foi qu’un beau nuage voile !

Ainsi qu’au nautonier qui flotte au loin sans voile ,
Battu par tous les vents sous un horizon noir,
Et lève au ciel ses mains froides de désespoir,
Tu brilles à nos yeux comme une blanche étoile !

Ta bouche vient sourire au cœur souffrant, aigri ;
Aux paroles d’amour dont ta voix sainte abonde,
Le pécheur a pleuré, l’orphelin a souri.

Moi, je souffrais errant, et cherchant en ce monde
A qui dire mes maux et ma peine profonde :
Mes yeux l’on rencontré, et mon cœur a guéri.

Q15  T21

Si j’avais sous la main un jardin de Lenôtre, — 1840 (7)

Victor Hugo Théâtre en liberté (Maglia)

(sonnet)

Si j’avais sous la main un jardin de Lenôtre,
Je vous l’arpentrais du soir jusqu’au matin ;
Si j’avais sous la main un vieux psautier latin,
J’y courrais, comme un loup, dire ma paternôtre ;

Si j’avais sous la main mon épée ou la vôtre,
J’en percerais dix fois ma veste de satin ;
Si j’avais sous la main la maîtresse d’un autre,
Je l’aimerais, pour faire enrager ma catin !

Hier sur ce cheval que tout le monde admire
Polyclète passait, et j’ai vu Lindanire
Le suivre de cet œil qui rêve et qui sourit ;

Depuis ce moment-là, je me creuse la tête.
Le cavalier lui plaît pour avoir l’air très bête,
Et le cheval lui plaît pour être plein d’esprit.

Q17  T15

Le ‘sixième’ sonnet de Hugo, dissimulé dans du théâtre. Il a échappé à beaucoup de commentateurs. La date de composition n’est pas certaine (je suis l’édition de la Pléiade). Hugo méprise souverainement une recommandation expresse de Boileau : les répétitions sont nombreuses.

Ce livre est toute ma jeunesse; — 1840 (6)

Alfred de Musset Poésies complêtes


Au lecteur

Ce livre est toute ma jeunesse;
Je l’ai fait sans presque y songer.
Il y paraît, je le confesse,
Et j’aurais pu le corriger.

Mais quand l’homme change sans cesse,
Au passé pourquoi rien changer?
Va-t-en pauvre oiseau passager;
Que Dieu te mène à ton adresse!

Qui que tu sois, qui me liras,
Lis-en le plus que tu pourras,
Et ne me condamne qu’en somme.

Mes premiers vers sont d’un enfant,
Les seconds d’un adolescent,
Les derniers à peine d’un homme.

Q9 – T15 – octo

Rien n’est grand qu’avec Dieu; sa pensée est l’essence — 1840 (5)

Auguste Barbier Rimes Héroïques


Christophe Colomb

Rien n’est grand qu’avec Dieu; sa pensée est l’essence
Des nobles actions, des sublimes exploits;
Il élargit la tête, et donne la puissance
Aux plus frêles humains qui marchent à sa voix:
Heureux l’homme qui fonde en lui son espérance,
Et qui pour lui s’embarque en une tâche  immense!

C’est Dieu qui t’inspira, magnanime Génois,
Quand ton esprit rêvait une nouvelle terre.
C’est lui qui ranima ton courage aux abois
Dans l’ouragan sans fin de la rude misère;
C’est lui qui chez les rois d’un orgueil saint et beau,
T’arma contre la vie et son lâche troupeau.

En vain autour de toi l’Océan en colère
Roula sa verte écume et ses montagnes d’eau,
Dieu te fit sans terreur traverser l’onde amère,
Et rencontrer le monde enfant de ton cerveau.

babaa bcbcdd cdcd – disp: 6+6+4 – 16v

Auguste Barbier fait preuve d’audace en ajoutant deux vers plats au premier quatrain (faisant écho aux premiers vers habituels des tercets). Les critiques l’ont incité à ramener le poème à plus de sagesse ; ce qu’il fit dans une édition ultérieure.

On sonnait un baptème au clocher du hameau, — 1840 (4)

Ferdinand DuguéLes gouttes de rosée


LXII

On sonnait un baptème au clocher du hameau,
La famille accourait à la fête chérie
Et le joyeux cortège à travers la prairie
Cheminait en chantant, car le ciel était beau:

Soudain les bras chargés du précieux fardeau
Le laissent échapper, on s’empresse, on s’écrie,
Mais couché sain et sauf parmi l’herbe fleurie
L’enfant sourit et dort comme dans un berceau.

Alors, en son effroi, la vierge belle et sage
Dont les pudiques mains portaient selon l’usage
Un vase plein de fleurs, d’eau de rose et de nard,

Laissa tous ces parfums ruisseler sur la tête
De l’heureux nouveau-né: c’est ainsi que Ronsard
Avant d’être chrétien fut baptisé poète.

Q15 – T14 – banv

Pétrarque nous a dit l’histoire d’un vieillard — 1840 (3)

– comte Ferdinand de Gramont – Sonnets

XXXII

Pétrarque nous a dit l’histoire d’un vieillard
Qui, de l’Age sentant venir le dernier terme,
Rassembla ses enfants; et là, tranquille et ferme,
Des biens et des conseils fit à chacun sa part;

Puis il leur dit adieu, prend son bâton, et part.
De la douce famille et de l’antique ferme
Il s’éloigne, et son coeur dans son désir s’enferme;
Il se hâte, craignant qu’il ne soit déjà tard.

Quand le blanc pèlerin fut à Rome la Sainte,
Il mourut, en voyant l’image de Celui
Qu’il allait retrouver dans la céleste enceinte;

O poésie! Ainsi, repoussant toute plainte,
Je m’achemine au but d’où ton éclair m’a lui;
Que la Mort jusque là suspende son atteinte!

Q15 – T17

Amis, à nous la lyre à défaut de l’épée! — 1840 (1)

– comte Ferdinand de GramontSonnets

Ferdinand de Gramont est félicité par Gautier pour avoir choisi (abondamment, en presque 200 exemples) « cette forme si artistement construite, d’un rythme si justement balancé et d’une pureté qui n’admet aucune tache »

Proemium

Amis, à nous la lyre à défaut de l’épée!
Les gaulois sont vainqueurs; de la race des Francs
Nos pères auront clos la royale épopée;
Leurs noms de leurs destins cessent d’être garants.

Puisqu’échappe l’empire à notre main trompée,
Retournons vers les Dieux, laissons, indifférents,
Peser aux révoltés leur puissance usurpée;
Notre gloire à jamais nous chasse de leurs rangs;

Partons donc! et tandis qu’acharnés à la terre
Ils fouilleront ses flancs pour y fonder leur ère,
Le ciel abritera nos malheurs expiés.

Et nous vous atteindrons, couronnes immortelles!
Et nous humilierons, sous l’ombre de nos ailes,
Ces trônes autrefois l’escabeau de nos pieds!

Q8 – T15

Incise 1839

[…]Au moyen âge les Milanais étaient braves comme les Français de la Révolution et méritèrent de voir leur ville entièrement rasée par les empereurs d’Allemagne. Depuis qu’ils étaient devenus de fidèles sujets, leur grande affaire était d’imprimer des sonnets sur de petits mouchoirs de taffetas rose quand arrivait le mariage d’une jeune fille appartenant à quelque famille noble ou riche.

Stendhal (La Chartreuse de Parme, page 1)

Ami ! dois-tu venir à moi, les yeux en pleurs, — 1839 (18)

Pierre Battle Poésies

Sonnet
A mon ami J.S.

Ami ! dois-tu venir à moi, les yeux en pleurs,
Parce que, sans pitié, sur ta guirlande aimée,
La critique porta sa dent envenimée,
Et que de ses poisons elle souilla tes fleurs ?

Es-tu donc à ce point ignorant de nos meurs,
Enfant, ne sais-tu pas que toute renommée
Vois se dresser contre elle une meute enflammée
De jaloux, l’entourant d’aboyantes clameurs ?

Le poète, abreuvé de fiel durant sa vie,
Ne parvient qu’en mourant à désarmer l’envie ;
C’est alors que son nom resplendit glorieux ;

Flambeaux tardifs, ses vers ressemblent aux étoiles
Qui ne brillant, du soir diamantant les voiles,
Qu’après que le soleil a disparu ces cieux.

Q15  T15

par Jacques Roubaud