Lorsqu’en mes jours semés de beaux soleils et d’ombre, — 1839 (7)

Louis Ayma Les préludes


XXXIX – Invocation

« Quelle âme est sans faiblesse et sans accablement » V.Hugo

Lorsqu’en mes jours semés de beaux soleils et d’ombre,
Tu veux intercaler, mon Dieu, quelques jours sombres,
Et me faire expier par des pleurs mes plaisirs.

Quand tu veux sous mes pas entr’ouvrir un abîme,
Des complots des méchants me faire la victime,
De fermer ton oreille à mes pieux soupirs!,

Quand tu veux que je souffre, et que la calomnie
Triomphe quelque jour de ma vertu honnie:
Quand tu veux que je doute, et que sur mon chemin
L’esprit du mal se jette et me tende la main:

Daigne, dans ces moments de secrète agonie,
M’inonder, ô mon Dieu, de torrents d’harmonie;
Fais que la poésie alors sur ses genoux
Me prenne, et sur mon front pose un baiser bien doux.

s.rev. eec ddc bb’a’a’ bbaa – Un sonnet renversé, genre qu’il pratique avant Auguste Briseux.

Sous le pliant osier vous êtes prisonnières, — 1839 (6)

Louis Ayma Les préludes


A mes linottes – Sonnet redoublé

Sous le pliant osier vous êtes prisonnières,
Vous ne respirez pas l’air pur de vos forêts,
Et, quand viendra pour vous le moment d’être mères,
Vous ne suspendrez pas vos nids dans les bosquets;

Mais, lorsque dans les airs gronderont les orages,
Vous aurez pour abri mon toit hospitalier,
Et vous ne craindrez pas que du sein des nuages,
Sur vous, comme l’éclair, tombe un fauve épervier.

Vous ne raserez pas de vos têtes légères
Les épis jaunissant sous les yeux de Cérès;
Vous n’irez pas chanter sur les vertes fougères,

Vous ne chercherez pas de grain dans les guérets;
Mais, quand l’hiver jaloux entre ses deux rivages
Forcera le ruisseau de gémir prisonnier,
Vous trouverez toujours la fraîcheur des bocages

Et des grains abondans chez votre bon geolier.
Geolier! … car l’oiseleur à moi vous a vendues
Faibles, sans mouvement, encore toutes nues,
Mais, depuis ce jour-là, ma main avec bonté

Vous tout prodigué, grains, eau pure, caresses …
Pourquoi donc tant gémir, mes petites hôtesses?
Dites! vous faudrait-il encor la Liberté?

Ah! quand vous aurez vu ma Laure bien-aimée,
Quand vous aurez senti son haleine embaumée
Et ses baisers si doux;

Votre amère douleur sera bientôt calmée;
Vous oublierez des bois la brise parfumée,
Pour vous bercer sur ses genoux.

Quatre quatrains alternés, quatre tercets – un vers de 6s un octo

Sous le pliant osier vous êtes prisonnières,
Vous ne respirez pas l’air pur de vos forêts,
Et, quand viendra pour vous le moment d’être mères,
Vous ne suspendrez pas vos nids dans les bosquets;
Mais, lorsque dans les airs gronderont les orages,
Vous aurez pour abri mon toit hospitalier,
Et vous ne craindrez pas que du sein des nuages,
Sur vous, comme l’éclair, tombe un fauve épervier.
Vous ne raserez pas de vos têtes légères
Les épis jaunissant sous les yeux de Cérès;
Vous n’irez pas chanter sur les vertes fougères,
Vous ne chercherez pas de grain dans les guérets;
Mais, quand l’hiver jaloux entre ses deux rivages
Forcera le ruisseau de gémir prisonnier,
Vous trouverez toujours la fraîcheur des bocages
Et des grains abondans chez votre bon geolier.
Geolier! … car l’oiseleur à moi vous a vendues
Faibles, sans mouvement, encore toutes nues,
Mais, depuis ce jour-là, ma main avec bonté
Vous tout prodigué, grains, eau pure, caresses …
Pourquoi donc tant gémir, mes petites hôtesses?
Dites! vous faudrait-il encor la Liberté?
Ah! quand vous aurez vu ma Laure bien-aimée,
Quand vous aurez senti son haleine embaumée
Et ses baisers si doux;
Votre amère douleur sera bientôt calmée;
Vous oublierez des bois la brise parfumée,
Pour vous bercer sur ses genoux.

Quatre quatrains alternés, quatre tercets – un vers de 6s un octo

Du Parnasse français législateur classique, — 1839 (5)

Louis Ayma Les préludes

Louis Ayma, un provincial (dont la BNF ne possède qu’un microfilm tiré sur l’exemplaire de la bibliothèque municipale de Cahors) annonce dans sa préface:  » La troisième et dernière partie, Des bords de l’Adour, se compose exclusivement de sonnets. … Ces sonnets ont tous, ou presque, été composés à Dax, jolie et
aimable ville du département des Landes, traversé par l’Adour
Presque tous ces sonnets sont de ceux que nous appelons Sonnets libres. Nous n’avons pas la prétention de faire ici une poétique à notre usage; mais nous devons expliquer les raisons qui nous ont autorisé à préférer la forme libre à la forme stricte préconisée par Boileau … Le sonnet en effet, par l’étendue moyenne et précise de ses dimensions, par la coupe variée de ses strophes, est le cadre le plus heureux qu’on puisse imaginer pour mettre en relief une idée unique, un portrait, un souvenir, un symbole, une pensée morale, une impression, un élan, une émotion. Mais, comment conserver ce précieux privilège sous les chaînes ridicules dont les faiseurs de poétique l’ont surchargé? Certes le plus grave reproche qu’on puisse faire à notre poésie, c’est le retour monotone des rimes, vice inné, que les grands maîtres ne dissimulent qu’à force d’art! que sera-ce donc, si pour 8 vers vous n’autorisez que 2 rimes symétriquement disposées? Votre sonnet sera lourd par nécessité et pénible, et aura juste la valeur de quatorze bouts-rimés. Aussi, lisez sans prévention les plus vantés des sonnets réguliers, et vous y remarquerez à première vue un air de gêne qui fatigue et fait mal.
…. nos autorités pour l’affranchissement du sonnet sont …. Shakespeare, qui a fait une quarantaine de sonnets, tous libres. M. Philarète Chasles, dans son volume Caractères & Paysages, a traduit librement deux de ces sonnets, qui font connaître sous sa face intime, le sombre auteur d’Hamlet. On trouvera dans la troisième partie de notre livre un de ces sonnets que nous avons essayé de traduire.

Nous pensons que ces autorités, que nous avons choisies, et non comptées autorisent suffisamment notre tentative de réhabilitation Du reste on trouvera, par-ci, par-là, dans le nombre, quelques sonnets réguliers: mais nous prions le lecteur de croire que nous n’y avons pas songé.

Les poètes espagnols ont introduit dans le sonnet une modification importante: après les tercets, qui chez nous terminenent le sonnet, ils ajoutent deux autres tercets, et quelquefois deux quatrains; ils appellent cela sonnets à queue.
Nous avons aussi essayé de donner au sonnet régulier une autre forme qui, en faisant disparaître le gêne des rimes suivies, permît en quelque sorte de donner quelque développement au tableau, un peu restreint quelquefois dans quatorze vers. Notre modification consiste à croiser deux sonnets réguliers, de façon à ce que le 1 et le 3, le 2 et le 4 soient composés de rimes semblables, mais alternées. Après les quatre quatrains viennent au lieu de deux tercets, deux sizains. On verra un exemple de ce sonnet, que nous appelons redoublé, dans la pièce XIX, à mes linottes.  » (6).

Mr Ayma n’a qu’une idée assez vague de l’histoire du sonnet. Il attribue le ‘sonetto caudato’ aux espagnols et donne 40 sonnets à Shakespeare. Mais il compose ce qui est, il me semble, le premier sonnet renversé.


I – A Boileau

Du Parnasse français législateur classique,
Permets qu’à tes genous, plein d’un pieux effroi,
Le front dans la poussière, un auteur romantique
Vienne se confesser de violer ta loi.

Il s’agit du Sonnet , de ce poème-roi,
Que, dans le chant second du Code poétique,
Tu déclares valoir mieux qu’un poème épique.
Eh bien! des ces Sonnets j’en ai fait cent-un, moi!

Mais hélas! les quatrains de mesure pareille,
La rime avec deux sons frappant huit fois l’oreille,
Je n’ai rien observé dans mon fol abandon;

J’enjambe quelquefois, et souvent je répète
Le même mot, enfin ma folie est complète,
Car je suis romantique, ô Despréaux, pardon!

Q09 – T15 – s sur s

Vous avez, à mes yeux, la grâce de Cynthie, — 1839 (4)

A. Eude-DugaillonFiel et miel

A Léona

Vous avez, à mes yeux, la grâce de Cynthie,
Du type athénien la douce majesté,
Et Corinne pour soeur, mais votre modestie
Rougit en déclinant si docte parenté! …

Oui, quand, sur un clavier, vous parlez d’harmonie
Comme avec un ami qu’on n’a jamais quitté,
Sur votre front descend le parfum du génie,
Vous êtes belle, alors, comme l’antiquité;

Vous animez, nourrie à la sublime école,
Les chants que votre esprit pour plaire imagina
Et ceux des vieux auteurs que le temps couronna;

Heureuse à qui le ciel accorde une auréole!
Par le génie et l’art vous brillez, Léona,
Au lieu d’une c’est deux que le ciel vous donna.

Q8 – T29

La rose au papillon reproche l’inconstance; — 1839 (3)

A. Eude-DugaillonFiel et miel

Sonnet

La rose au papillon reproche l’inconstance;
Reine parmi les fleurs, elle voudrait fixer
Cet enfant du soleil, si beau dès sa naissance,
Qui ne vit qu’un printemps et meurt sous un baiser;

Mais l’insecte choisit, pour son dernier caprice,
Une rose sans tache, au brillant incarnat,
Et, prenant pour linceul ce fragile calice,
Expire en s’enivrant de parfums délicats:

De même le poète, en passant sur la terre,
De qui sait le comprendre invoque tour à tour
Un sourire, un regard, des chants et de l’amour;

Puis, avant de mourir, à l’ombre du mystère,
Il fait choix d’une amie, illustre sa beauté,
Et jette un nom de femme à l’immortalité.

Q59 – T30 – quatrains à quatre rimes : abab  a’b’a’b’

Le Sonnet qui jadis, donnait dans notre France, — 1839 (2)

Emile PehantSonnets

A MM. Sainte-Beuve et Barbier

Le Sonnet qui jadis, donnait dans notre France,
Tant de fleurs et de fruits à nos bons vieux auteurs,
Sembla longtemps languir, comme un arbre en souffrance
Qui s’épuise en boutons sans parfums ni couleurs.

Mais sa sève aujourd’hui revient en abondance
Et le fait reverdir comme au temps les meilleurs;
C’est plaisir de le voir monter avec puissance
Et balancer aux vents son front chargé de fleurs.

Vous, de toutes ces fleurs, vous cueillez les plus belles,
Sainte-Beuve et Barbier, car vous avez des ailes
Pour atteindre au sommet de cet arbre si haut.

Mais moi, dans ma corbeille, hélas, je ne recueille
Que celles qu’au gazon parfois la brise effeuille,
Et mon maigre bouquet se fanera bientôt.

Q8 – T15 – s sur s

Toi dont la douleur perce à travers la gaîté — 1839 (1)

Elzéar PinPoèmes et sonnets

Cervantes

Toi dont la douleur perce à travers la gaîté
Comme un rayon de pluie au milieu d’une fête,
Toi qui peignis si bien la folle humanité,
Toi qui sus réunir deux gloires sur ta tête,

O guerrier mutilé! magnanime poète!
De quel chagrin cuisant le coeur est attristé,
Quand il pense qu’un jour, de ta vie inquiété
La misère trancha la fleur dans son été!

Jour qui vit deux soleils s’éteindre dans le monde,
Deux océans tarir dans leur source profonde,
Car la mort, dont la main s’appesantit partout,

Sur l’univers en deuil ouvrant ses sombres ailes,
Voulut porter aux Cieux vos deux âmes jumelles,
Pour Shakespeare et pour toi frapper le même coup!

Q.exc , oc. dissym: abab abbb – T15

Shakespeare et Cervantès sont morts la même année: quelle coincidence!. C’est pour Elzéar Pin une occasion rêvée

incise 1838

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Jean-Baptiste Fellens Manuel poétique et littéraire – Au dix-septième siècle, on attachait un grand prix à un bon sonnet, et l’on regardait ce petit poème comme fort difficile. (il cite Boileau)… Aujourd’hui, nos poètes en composent rarement, et, quoiqu’en dise le régent du Parnasse, un ‘sonnet sans défaut’ serait un chef d’œuvre de peu de mérite.

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Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure, — 1838 (15)

Edouard-L. de Blossac Heures de poésie

Sonnet

Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure,
Où défaillent vos vœux ;
Allez, et repassez le seuil de la demeure,
Où vous fûtes heureux.

Je ne sais quoi d’amer s’en exhale à toute heure !
Tout est sombre en ces lieux !
L’écho souffre et se plaint ; un vent froid vous effleure,
La foudre gronde aux cieux ! ….

Là, pourtant, du bonheur vous connûtes l’ivresse ;
Là, peut-être, le joug dont l’amour vous oppresse,
Longtemps s’est prolongé ….

C’est le même ciel bleu, sur le lac sans orage,
Ce sont les mêmes fleurs encor, le même ombrage :
L’homme seul est changé !

Q8  T15  – 2m (octo : v2,4,6,8,11,14)

Déjà vous publiez, ô Muse téméraire, — 1838 (14)

Charles de Chancel Juvenilia

A ma muse

Déjà vous publiez, ô Muse téméraire,
Vos chants, dont nul encor n’avait ouï les chœurs,
Et vous vous envolez de mon toit solitaire,
Avide de trouver un écho dans les cœurs !

Hélas ! tout n’est pas rose au monde littéraire !
Si quelques écrivains, y traînent en vainqueurs,
Le plus grand nombre y rampe et la critique austère,
A fustigé leurs noms de leurs rires moqueurs.

Mais, grâce à vos doux yeux, Muse, à votre jeune âge,
Peut-être qu’elle aura pour vous un doux langage,
Et que pour vous guider elle tendra la main ……

Partez, que Dieu vous garde, ô belle voyageuse,
Et que des vents amis vous ramènent joyeuse,
Sans déchirer votre aile aux ronces du chemin.

Q8  T15

par Jacques Roubaud