Mais si, mon vieil ami, votre secret mystère — 1970 (8)

Antoine Pol Croquis : 17 variations sur le sonnet d’Arvers

Mais si, mon vieil ami, votre secret mystère
Je l’avais deviné quand vous l’aviez conçu.
Une femme sait bien l’amour qu’on veut lui taire,
J’attendais votre aveu sans que vous l’ayez su.

Hélas ! il est trop tard mon cher inaperçu !
Vous méritez un peu de rester solitaire :
Qui ne demande rien sur cette ingrate terre
Ne peut pas s’étonner de n’avoir rien reçu.

Puisque vous savez bien écrire des mots tendres,
J’aurais peut-être aimé, jeune encor, vous entendre
Au lieu du bruit discret de vos pas dans mes pas.

Vous n’avez pas senti, quoiqu’étant tout plein d’elle
Les rêves que peut faire une femme fidèle
Dans le lit d’un époux qui ne la comprend pas.

Q10  T15  arv

Princesse sidérée à la source des sens — 1970 (7)

Jean Queval En somme

Sonnet en S

Princesse sidérée à la source des sens
Les serpents suppliciés au secret de tes songes
Ces lentes saturnies de saveur et d’absence
Les somnolences sont-ce des sondes des sondes

Ta scissure suscite une amorce de stance
Ta nasse de capture espère aux feux garçons
Ta soif et ton serment s’allient par descendance
Ta source prise s’orne et s’arme des saisons

La sphère comme amphore un astre de ton aire
La césure et la stase et la course corsaire
La serre enfin promise à la scène incendiaire

Tes seins pléniers sanglés au soufre des censures
Tes reins très assaillis par ces muscles augures
Tes liens tant saccagés au souffle des centaures

Q32  T5

Avec les sentiments de nos sens analogues, — 1970 (6)

Jean Queval En somme


Déclaration d’indépendance

Avec les sentiments de nos sens analogues,
L’intelligence existe, existant plus ou moins
La volonté voudrait casser les équivoques
Trois facteurs qu’on ordonne en des écrits témoins.

Il y a le langage où se fait notre langue
La sensibilité registre et notation
Soit les pouvoirs moraux dépouillés de leur gangue
Ce sont là matériaux, suit la cogitation :

Tu corrigeras donc en silence le trait
De ton discours patient impatient d’une rose
Tout le temps te tairas aux échos importuns :

Quand par démonstration le vrai sens est soustrait
Quand la pensée se pense et se complaît morose
Borgne et sourd nul poète en un morne écrivain.

Q59  T36

Tu pus l’ut d’un luth, sûr Ubu! L’us fut vu d’un turlututu, — 1970 (5)

Adolphe Haberer a e i / y o u (ed.1993, chez l’auteur)

U

Tu pus l’ut d’un luth, sûr Ubu!
L’us fut vu d’un turlututu,
D’un rut dru, d’un but, d’un tutu –
Chut! D’un cul nu – d’un fût brut bu

Sur un tumulus. D’un Sud sûr,
Plus d’un suc plut d’un cumulus,
Surplus chu bu pur d’un humus
Qu’un turf d’urus crût du jus mûr.

Vu plus d’un club: stucs, trucs, lunch, pub.
Tu bus, duc, un jus cru d’un tub.
Mû d’un pus dur, tu fus sûr d’un

Lupus. Tu sus; nul futur vu,
Nul. Sur un mur un urubu
Sûr d’un cumul – un Turc, un Hun.

aaaa  a’bba’ T15 – y=x :e=a – octo  monovocalisme

Vos corps poltrons d’homos ronchons — 1970 (4)

Adolphe Haberer a e i / y o u (ed.1993, chez l’auteur)

O

Vos corps poltrons d’homos ronchons
Photos pornos d’ostrogoths mols,
Prolos pops, gros provos cochons,
Gotons, cocos, mormons, mongols,

Honorons donc vos dons d’Oxford,
Fox-trot, loto, bocks, grogs, porto.
Mon Lord, nos crocs sont forts, on mord
Vos hot-dogs con oloroso.

Long corso? Cosmos fol? Zoo toc?
(Porcs, crocos, condors, dodos coqs-
troncs, kohol corrompt vos bords blonds)

Trop tôt sont morts Cronos, Job, Thor –
Mots, noms d’os, profond port oblong –
Oh! hors d’Oxford dort logos d’or.

Q59 – T14 – d=a ? – octo  – monovocalisme

« Qi vit ici?  » Cris d’ibis vifs. — 1970 (3)

Adolphe Haberer a e i / y o u (ed.1993, chez l’auteur)

i / y

« Qi vit ici?  » Cris d’ibis vifs.
« Qi vit?  » Lys, iris gris, vit-il?
Cris (bis) vils; six pics incisifs.
 » S’il y vit, fils d’Isis viril?

Si vit Lilith?  » Il vit nid d’if,
N’y prit d’instinct l’incivil lit,
Ni inscrivit l’infini pli.
(Ci-gît l’incipit instinctif)

Styx-sis, ni lin, ni riz, ni vin;
Lys, iris, inscrits, six, dix, vingt,
Prix d’incisifs pics. (VIDI, VI-

CI) –  » Qi rit ici?  » Ni d’isis
Fils viril, ni Lilith, l’ibis
Rit l’infini. « Ici, qui vit? »

Q33 – T15 – y=x: d=b’ – octo

Monovocalisme en ‘i’.

Note liminaire de l’auteur (1993): « Cette suite de sonnets fut composée en 1970. Le premier, le sonnet en « e », fut écrit comme un défi lancé à Georges Perec qui venait de publier La disparition. Le défi fut si bien relevé que Perec publia en 1972 Les revenentes, dans lequel figure, à la page 86,  » ces vers vrément cherments  » que je lui avais dédiés. Les autres furent écrits à Oxford.

J’ai adopté l’une des règles de Perec, qui fait que « Qu » s’écrit « Q ». « 

Since I left you mes yeux sont de mémoire. — 1970 (2)

Marcel Thiry Attouchements des sonnets de Shakespeare


CXIII – ‘Since I left you mine eye is in my mind’

Since I left you mes yeux sont de mémoire.
Vous me voilez la montagne ou la mer.
Laissez mes yeux attoucher cette moire
De nos instant dont j’abolis la mort.

A vous les yeux de ma secrète vue
Qui semblent voir le monde et n’ont que vous
Pour ciel, montange, et la mer, et la vie,
Et n’ont plus vu que vous since I left you.

Laissez que ma mémoire vous compose
Comme au matin l’arbre sort de la nuit;
Pendant qu’avec des vers aux doigts de rose,

Frère des yeux pour défaire la nuit,
Un lent Sonnet que le Temps vous dévoue
Change l’absence en essence de vous.

abab cdcd efef gg=shmall – disposition de rimes des sonnets de Shakespeare   déca – tr

Dans les roseaux le printemps se balance. — 1970 (1)

Lanza del Vasto Le Viatique, II


Printemps sur le marais

Dans les roseaux le printemps se balance.
Par-dessus les buissons, sur l’étang plat
La nue est plate avec de blancs éclats,
Le vent se lève et retombe en silence.

Le pas est mou, dans les joncs emmêlés,
Le sol mouillé, jetant sous les chaussures,
Un cri d’oiseau, glisse à la pourriture,
Un brouillard vêt les saules mutilés.

L’étang est plat, l’air veuf de voix humaines
Même de cloche, et sans une félure,
Et le regard à nul arbre ne mène

Nous marchons vite et cherchons les vrais champs
Car le printemps est mort ici: nature
Chante en ces lieux toute seule son chant.

Q63 – T24 – déca

Avec ces mots choisis, ces points de suspension — 1969 (10)

Thiéri Foulc Vingt écrits

L’aigrefin

Avec ces mots choisis, ces points de suspension
Qui ne signifient rien peut-être, ou pas grand chose,
Mais qu’en industrieux plein de ruse il dispose
Pour feindre de poser des interrogations,

Il joue à extirper des abominations
Qui aient l’air de saigner au cœur papier des roses
Et à clamer des whâââh qui sonnent grandi-oses
Mais sont bulles de l’âme et de l’élocution.

Sa machine à écrire est l’outil qui perpètre
Ses voltiges dorées dans les tringles de l’être
Avec complicité des jolis circonflexes.

Mais il se peut qu’un jour une tringle se casse …
« Retour-arrière ! x,x ! » il en périra presque,
Empêtré qu’il sera dans ses lignes – vraie nasse !

Q15  T20  Les titres des 20 sonnets de la plaquette sont des variations sur le titre général : ça vous fait mal que j’écrive, hein ?Le nègre vintLe vin aigre ….

par Jacques Roubaud