Ces serpents qui jaillissent hors de cette serviette — 1942 (3)

Raymond Queneau – in Si tu t’imagines – les Ziaux IV – daté 1942

Magie blanche

Ces serpents qui jaillissent hors de cette serviette
Ce sont quatre foulards que jeta ce sorcier
Si vous saviez amis ce que vaut sa
Science vous ririez abattus par trop de scepticisme

Tonnez canons de cuivre! sur la corde tirez!
Tracez cercles de feu, fusées, pissat d’étoiles!
Travaillez par dur labeur douces colombes qui tombez
Tendres et blanches neiges hors du filet attrape

Dans tous les gobelets sont liquides ou dés
Des mépris du calcul liqueur chimie des diables
Déroute de la vue des cinq sens dérision

Dans la poche profonde se cache sa défense
Travailleur syndiqué en frac Noël des jours d’étrenne
Ce savant qui déçoit artiste qui se sauve

Ici on a les allitérations a: -s- b: -t-, c: -d- et la formule: aaaa bbbb ccc cba – remarque: il y a d’autres (nombreuses) allitérations internes dans chaque vers

Profitant de la nuit voici le sale prophète — 1942 (2)

Raymond Queneau – in Si tu t’imagines – les Ziaux IV – daté 1942

note manuscrite « Dans les deux poèmes qui suivent j’offre un modèle nouveau de versification. le nombre des syllabes n’importe plus mais celui des mots (huit par vers, ici). La rime est également éliminée au profit de l’allitération (le premier et le dernier mot de chaque vers allitérant, par exemple). D’autres règles sont également observées que les habiles découvriront sans peine. Tout ceci s’inspire de la technique anglo-saxonne, aussi ai-je dénommé ces vers beowulfins pour une raison analogue à celle qui fit baptiser l’alexandrin ».

Magie noire

Profitant de la nuit voici le sale prophète
Empruntant un noir chemin où seul se promène
Fleuve embourbant les bois où nulle nulle fleur
Flamine embarbouillé de foie avec nulle nulle flamme.

Prétexte que le soir lisant texte après texte
S’apprêtait à la solitude où lui inverse prêtre
Flânait terrifiant les démons et narguant les effluves
Flavescentes triviales en enfer ou dénigrantes et flambantes

Proue du destin mauvais malheur infect qui s’apprête
Prétendant dire les maux mais ignare du présent
Pourpre banalité vers les mots qu’il prononce

Fluide phonétique faux sons du guignon l’oriflamme
Flattant qui sourd néfaste orgueilleux de son flegme
Flétrisseur bonhomme il paraît à tout moment flébile

Le rôle de la rime est jouée par le groupe allitérant des débuts et fin de vers; ce qui donne: a-pr b-fl et la formule: aabb aabb ccc ddd avec c=a & d=b –

Au plus heureux lignage on souhaite un surgeon — 1942 (1)

Giraud d’Eccle Sonnets de Shakespeare

I

Au plus heureux lignage on souhaite un surgeon
qui sauve de la mort le Rosier de beauté.
Si la fleur plus ouverte avec le temps se fane,
qu’une tendre héritière assume sa mémoire.

Réduit au seul éclat de tes yeux, tu nourris
` de ton propre aliment le feu de tes regards.
A toi-même ennemi, trop cruel à tes charmes,
la famine s’installe où régnait l’abondance;

et toi, le plus récent ornement de ce monde
et l’unique héraut d’un fastueux printemps,
dans son bourgeon tu vas ensevelir ta joie,
et doux avare, gaspiller en lésinant

Prends le monde en pitié, ne sois pas ce vorace
Qui ravit avec soi, dans la tombe, son bien.

bl – disp: 4+4+4+2  tr  sh 1: « From fairest Creatures we desire increase »

incise 1941

———————————————————————————————————————-

J.Heugel – Dictionnaire de rimes : Les quatrains sont du type dit ‘à rimes encadrées’ . Les tercets son en réalité un sixain de forme libre, généralement sur trois rimes, ccd eed ou ccd ede, plus raement cdc dee ou cdd cee ; de très loin en très loin le type ccd dee. On recense aussi des tercets construits sur deux rimes seulement, ces deux rimes paraissant, en général, trois fois. Le sonnet est presque toujours isométrique ; mais aucune règle n’interdit l’emploi de deux mètres différents. Beaucoup de nos meilleurs poètes ont écrit des sonnets irréguliers

———————————————————————————————————————————————

Blum avait soutenu les rouges de l’Espagne, — 1941 (1)

Emile Bussière A la gloire du Maréchal : les grands noms de l’épopée française. Sonnets sur Roland, Jeanne d’Arc, Napoléon, Pétain

Le maréchal Pétain
L’ambassadeur

Blum avait soutenu les rouges de l’Espagne,
Et livré, conscient d’un criminel effort,
Nos armes, nos canons, pour les œuvres de mort,
D’effroyables bandits relâchés par le bagne.

Dans une foudroyante et savante campagne,
Le général Franco s’affirmant le plus fort,
Réduisit, sans pitié pour leur malheureux sort,
Les assassins traqués jusque dans leurs montagnes.

Depuis, le Maréchal dût, comme ambassadeur,
Pour réparer nos torts, plaider avec ardeur,
D’Irun à Malaga, de l’Ebre jusqu’au Tage

Partout on lui tendit une loyale main,
Mais il ne devait pas achever son voyage,
Car Dieu l’avait marqué pour un plus haut destin.

Q15  T14 – banv

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine — 1940 (2)

Olivier LarrondeL’ivraie en ordre (ed. 2002)


Juvenilia

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine
J’ai des mains plein ma poche et je les distribue.
Ta mèche de fer m’égratigne, j’aurais peine
A rhabiller de soie la mamelle où j’ai bu.

Il faudrait tout vous dire, oublier qui vous mène
Et si des mains coupées vous ont les bras tenus.
Un pirate déguise une peau de panthère
Ce pelage d’infante un autre dissimule.

Tes pieds gelés déforment  mon image, bouge,
Enlève ton sourire: il me coupe la bouche.
La bouteille vidée tend sa lèvre à la mer.

Une étoile vous brûle et vous perdez la tête
L’étoile qui vous brûle est une cigarette
(Vous devez regarder mon sonnet de travers).

Q8 – T15 – disp: 8+3+3

Hilversum Kalundborg Brno l’univers crache — 1940 (1)

Aragon Le Crève-Coeur


Petite suite sans fil

Hilversum Kalundborg Brno l’univers crache
Des parasites dans Mozart du lundi au
Dimanche l’idiot speaker me dédie ô
Silence l’insultant pot pourri qu’il rabâche

Mais Jupiter tonnant amoureux d’une vache
Princesse avait laissé pourtant en rade Io
Qui tous les soirs écoutera la radio
Pleine des poux bruyants de l’époux qui se cache

Comme elle – c’est la guerre – écoutant cette voix
Les hommes restent là stupides et caressent
Toulouse PTT Daventry Bucarest

Et leur espoir le bon vieil espoir d’autrefois
Interroge l’éther qui lui donne pour reste
Les petites pilules Carter pour le foie

Q15 – T28

Quand vous serez bien vieux, avec encor des dents — 1939 (1)

Raoul Ponchon in  Marcel Coulon: toute la poésie de Ponchon

Sonnet à Chevreul

Quand vous serez bien vieux, avec encor des dents
Plein la bouche, et déjà dorloté par l’Histoire,
Direz, si ces vers-ci meublent votre mémoire
Un tel me célébrait lorsque j’avais cent ans.

Lors, vous n’aurez aucun de vos petits-enfants
Qui n’ait soif à ce nom et ne demande à boire,
Répétant à l’envi votre immortelle gloire
Et le nombre fameux de vos jours triomphants.

Pour moi, je serai mort depuis belle lurette
Mais je refleurirai dans quelque pâquerette
Vous, vous aurez toujours la même horreur du vin.

Ah ! si vous m’en croyez, ô vieillard sobre et digne,
Ainsi que tout le monde éteignez-vous demain
Mais cueillez aujourd’hui les roses de la Vigne.

(1886)

Q15 – T14 – banv

par Jacques Roubaud