Comme le fruit son ver, ma vie — 1933 (9)

Armand Masson in Felix  Arvers : articles (fonds rondel, RF 21313)

à la manière de P.J Toulet

Comme le fruit son ver, ma vie
Cèle un tourment secret,
Bien malin qui devinerait
Le nom de mon envie.

Toi-même ne me connais point,
Qui nourrit ma pensée,
Et qui plus distraite est passée
Que le vent sur les coings.

Car ce désir qui me lancine,
Il cède à ta vertu :
Et si je t’aime, je l’ai tu
Ou si c’est la voisine.

– arv  pastiche  3 qu – 2m: octo, 6syll

Je n’aime pas les dards trop maigres pour ma motte, — 1933 (8)

– ? La guirlande de Priape

Une compliquée


Je n’aime pas les dards trop maigres pour ma motte,
Je n’aime pas têter les bites bandant mou,
Qui tirent à regret un pauvre petit coup,
Je n’aime pas non plus les langues de gougnotte.

Me branloter moi-même en allant aux chiottes,
Ou me faire bouffer goulument les deux trous
Par le klebs bien dressé du voisin d’en-dessous,
Ou me planter au cul une froide carotte,

Ca ne me dit plus rien. J’aime boire à longs traits
D’un polard formidable et raidi le jus frais,
Pendant qu’un autre vit masturbe mes tétons,

Et me baise en nichons. Mais pour que j’éjacule,
Il faut qu’en même temps on lèche mon bouton,
Et qu’un troisième vit, jusqu’aux burnes m’encule

Q15  T14 – banv

Le grand cobra royal, au parc zoologique — 1933 (7)

– ? La guirlande de Priape

Charmeuse ou La revanche d’Eve

Le grand cobra royal, au parc zoologique
Promène son ennui splendide et paresseux,
Car on l’a désarmé : ses crochets venimeux
Tranchés au ras de l’os, l’ont rendu nostalgique.

Il traîne, apprivoisé, ses anneaux à musique,
Lorsqu’il voit Miss Edith, sur un talus herbeux,
Essayant de calmer, par un doigt langoureux
Savamment manœuvré, son ardeur hystérique.

A peine a-t-elle vu le docile serpent
Qu’elle cesse son jeu, grand’ouverte elle attend.
Perplexe, le cobra, dardant son corps en verge,

Au seuil des Paradis à ses yeux dévoilés
Se demande par où s’enfiler dans la vierge
Par le conin juteux ou l’anus étoilé.

(Leconte de Lisle Poèmes barbares)

Q15  T14

Neiges calmes, blancheur absolvant à jamais — 1933 (6)

Marcel Ormoy Les royaumes interdits

Reminiscere

Neiges calmes, blancheur absolvant à jamais
Toute l’ombre et la fièvre étroite des vallées,
L’esprit triomphe, ô dur vertige des sommets,
Sur ces hauteurs par les quatre vents désolées.

Vous mes frères, avec les noms de chaque jour
Voyez et que du fond des âges nous choisîmes
Pour la suprême étape et le plus clair séjour
Ces rocs environnés de présences sublimes.

Car nous retrouverons au niveau de la mer
Le patient travail de la terre et du fer
Et l’orgueil et l’ennui d’une besogne obscure,

Mais par le merveilleux et secret truchement
D’une rêve à quoi la mort elle-même consent
Toujours sur le Thabor un dieu se transfigure.

Q59 – T15

Jadis, quand on rimait et pensait richement, — 1933 (5)

H René Lafon La rôtisserie des Muses ou l’art d’accommoder les rimes

Sonnet au sonnet

Jadis, quand on rimait et pensait richement,
Nos poètes faisaient, avec respect, usage,
Pour abriter l’idée ou pour fixer l’image
D’un tout petit hôtel particulier charmant.

On l’appelait : Sonnet. Cet étroit logement
Suffisant pour l’aïeul, semble au fils d’un autre âge ,
Et l’on fuit ce cher cadre où l’on tenait langage
Quatuordecimoversiculairement.

Le temps était auguste, il fleurait son naguère.
Pétrarque l’habita. Bombardé par la guerre,
La Muse en cheveux courts, ingrate, l’éconduit.

Un sonnet, pensez donc ! trois étages ! trop maigre ! …
Et c’est pourquoi l’on voit triompher aujourd’hui
Le gratte-ciel yankee… ou la paillotte nègre !

Q15  T14 -banv –  s.sur s

Un soir Il viendra vous surprendra — 1933 (4)

Roger Gilbert-Lecomte La Vie l’Amour le Vide et la Nuit

Un soir

Un soir Il viendra vous surprendra
Mais apprenant soudain que Il
C’est trois boules multicolores
La peur vous allume la tête

Sous le diadème de boules
Et ma colonne de mercure
Un homme se trouve si seul
Qu’il en demande ciel au ciel

Ne sachant pas encore ou plus
Que par des chemins inconnus
A cette heure monte vers lui

Annoncé par l’oiseau-tempête
Le cheval volcan de tout feu
Né du frottement des trois boules

r.exc – octo

O vous qui recherchez dans ces rimes éparses — 1933 (3)

Fernand Brisset Pétrarque à Laure

1

O vous qui recherchez dans ces rimes éparses
L’écho de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Dans le dérèglement de ma prime jeunesse,
Quand j’étais en partie autre que je ne suis.

Sous le style changé dans lequel je déplore
Tant de vaines douleurs et tant de vains espoirs,
J’espère, de vous tous, si vous avez aimé,
Obtenir indulgence et même sympathie.

Mais je vois que je fus longtemps pour tout le monde
Un objet de risée, et, souvent, j’en éprouve
A part moi, pour moi-même, un sentiment de honte,

Car la honte est le fruit de toutes mes folies,
Comme mon repentir, comme ma certitude
Que le plaisir sur terre est un songe bien court.

bl – tr  – La version qu’il avait publiée en 1899 était en prose

Choses, que coule en vous la sueur ou la sève, — 1933 (2)

Jacques Lacan (in Le Phare de Neuilly)

Hiatus irrationalis

Choses, que coule en vous la sueur ou la sève,
Formes, que vous naissiez de la forge ou du sang,
Votre torrent n’est pas plus dense que mon rêve;
Et, si je ne vous bats d’un désir incessant,

Je traverse votre eau, je tombe vers la grève
Où m’attire le poids de mon démon pensant.
Seul, il heurte au sol dur sur quoi l’être s’élève,
Au mal aveugle et sourd, au dieu privé de sens.

Mais, sitôt que tout verbe a péri dans ma gorge,
Choses, que vous naissiez du sang ou de la forge,
Nature, – je me perds au flux d’un élément:

Celui qui couve en moi, le même vous soulève,
Formes, que coule en vous la sueur ou la sève,
C’est le feu qui me fait votre immortel amant.
H.P. août 29

Q8 – T15

Avec sa grande voix hâlée, — 1933 (1)

Henri-Philippe LivetChants du prisme

Avec sa grande voix hâlée,
Le matin chante dans les vergues;
Le matin rit dans les huniers
Aux mille mouettes en exergue.

Il bondit la joue en plein feu,
S’éclabousse d’azur limpide
Et jette ses deux bras à Dieu
Qui sur l’abîme se décide.

Pour les pleureuses de rosée,
Pour les pleureuses de lumière,
Il bat d’étincelles les cieux,
Bouillonne aux profondeurs perlières.

Et des semis de fleurs d’étoiles
S’effacent au doigt ineffable
Qui passe lucide et songeur

Sur les brumes aux douces nacres,
Des lagunes roses et ocres,
Où, fluide, fuit un vapeur.

3Q: abab a’b’a’b’ a »b »a »b »– T15  octo

Sans plus tacher de plaire ou même d’émouvoir, — 1932 (4)

Natalie Clifford Barney in  Le Manuscrit autographe

4
SONNET

Sans plus tacher de plaire ou même d’émouvoir,
Laisse-moi m’approcher de toi, plus virginale
Que la neige ; apprends-moi ta paix impartiale,
Anéantis en moi la force et le vouloir.

Je veux cacher mes yeux, plus tristes que le soir,
A tes yeux ; oublier jusqu’au petit ovale
De ta face, et, mon front dans le frais intervalle
De tes seins, sangloter des larmes sans espoir.

Mes pleurs sont un poison trés lent que je veux boire,
Au lieu de mendier en quelque amour banal
L’ingrate guérison, l’aveuglement final…

Prés de toi mon désir se consume illusoire.
O mes regrets ! combien j’éprouve encor ce mal
De rêver au bonheur auquel on ne peut croire !

Q15 -T28 – c=a*, d=b*

par Jacques Roubaud