coda 21 Ou bien je survivrai pour faire ton épitaphe,

Jacques Darras William Shakespeare sur la falaise de Douvres

Le souffle jusqu’au fond de la bouche

Ou bien  je survivrai pour faire ton épitaphe,
Ou bien tu survivras quand ma chair pourrira.
Il s’ensuite que la mort n’aura pas ta mémoire,
Mais que moi mes atomes perdront mémoire de moi.
Il s’ensuit que ton nom aura vie immortelle
Et que moi dans ma mort je n’aurai que l’oubli.
La terre m’accordera un coin de fosse commune,
Tu brilleras sous des yeux aujourd’hui non créés,
Et gisant somptuaire sous ces yeux abaissés,
Tu dormiras au lit de mes vers monuments;
Les langues qui naîtront ressusciteront ton être,
Quand les contemporains auront leur souffle rendu,
Ton souffle perdurera (ma plume a ce talent)
Jusqu’en la source du souffle la bouche des vivants.
(d’après le sonnet 81)

coda 20 Lorsque en ses silencieuses ses secrètes assises ma pensée

Jacques Darras William Shakespeare sur la falaise de Douvres

Sonner sans trébucher

Lorsque en ses silencieuses ses secrètes assises ma pensée
Convoque à son mandat l’image des choses anciennes,
Soupirs soupirs alors de m’accabler tant mon enquête est vaine
Et mon chagrin recru accuse la perte du temps gâché.
Mon oeil se noie ensuite n’ayant l’art de couler,
D’un tel naufrage d’amis sombrés au fond des nuits foraines
Blanchi dans ses chagrins d’amour mon coeur à peine,
A peine qu’ils soient perdus pour mes yeux éplorés.
S’ensuit que je m’afflige d’afflictions en chaîne
L’une à l’autre s’emmaillant, gravement endetté
Tant que comptant la somme des soupirs dépensés
Je le repaie de neuf quoique l’eusse acquitté.
Mais qu’il advienne qu’à toi ami sur l’heure je pense
D’un coup s’assèche mes yeux, remises mes dépenses!
(d’après le Sonnet 30)

coda 19 Ainsi vieillit s’usa disparut Alexandre

Alain Lance Temps criblé

*

Ainsi vieillit s’usa disparut Alexandre
Lui qui ne ratait pas une U.V. d’Aristote.
Il prit à Chéronée goût à la castagne ….
Thèbes boudait il en fit du ragoût ………

Athènes vint lécher ses orteils ………….
L’empire avait besoin d’espace ………..
Vital hardi la piétaille ……………………………
Darius au tapis en ……………………………….

Trois reprise le noeud ………………………….
Gordien tranché …………………………………….
Persépo …………………………………………………..

Lis en ……………………………………………………….
Cendres …………………………………………………….
……………………………………………………………………..

coda 18 vraiment ce n’est pas ça qui fait passer la trouille

Léon Robel

Souvenirs de Queneau

vraiment ce n’est pas ça qui fait passer la trouille
vivre à l’envers courir au lieu d’où vient le vent
aux pommiers postuler d’improbables citrouilles
affirmer que l’après sera comme l’avant
cependant le temps pleut et le vieux métal rouille
si l’on rit quelquefois ce n’est pas bien souvent
et le vif devient terne et le précis se brouille
on n’a plus d’avenir qu’en se ressouvenant
le temps s’en va très vite et bientôt seul l’espace
consent à contenir notre immobile corps
et la pierre vous dit que plus rien ne se passe
que l’oubli qui la brise ou l’hiver qui l’efface
un trait entre deux ans voilà toute la place
que tient toute une vie au livre des records

coda 17 Beaux parleurs vernissés d’un pittoresque argot,

Didier Malherbe L’anche des métamorphoses

2 à 2

Beaux parleurs vernissés d’un pittoresque argot,
Les escargots, les escargots escamotables,
Sur la route des prés, dans leurs décapotables,
Foncent à belle allure, en chantant, tout de go.

Androgynes heureux, sexuellement égaux,
Ils ne sauront jamais leur genre véritable
Mais qu’importe à leur libido insatiable,
Harmonieuse et riche de plaisirs totaux!

Parfois, sous la feuillée, afin de se distraire
De leur logis d’impossibles célibataires,
Ils osent en sortir et, les yeux dans les yeux,

Ivres d’altérité, comme garçons et filles,
Se font l’amour et puis, rentrent dans leur coquille
Goûter, chacun pour soi, le bonheur d’être deux.

coda 16 Blasonnant le Roseau, je veux en faire un mythe,

Didier Malherbe L’anche des métamorphoses

Arundo donax

Blasonnant le Roseau, je veux en faire un mythe,
Un personnage haut en couleur, une entité!
Mais le soufflé de l’emphase va retomber
Si je dois le nommer d’un vilain mot: phragmite,

Massette, scirpe, quenouille, butome, jonc …
Le roseau, le roseau … ce terme est générique.
Parmi d’autres espèces, la canne à musique,
En latin Arundo Donax, porte ce nom

A merveille, car c’est vrai qu’elle donne et donne,
L’herbacée-graminée monocotylédone
A toutes et à tous rondement de la voix,

Saxophones, bassons, hautbois et clarinettes,
Anches sur le qui-vive, à sonnet toujours prêtes,
Il n’y a de limite au don complet de soi.

coda 15 D’après les résultats d’un sondage récent,

Didier Malherbe L’anche des métamorphoses

L’anche et la hanche

D’après les résultats d’un sondage récent,
Plus de quatre-vint-dix francophones sur cent,
Diraient, spontanément: la anche, au lieu de l’anche.
Et quel est ce roseau qui roule de ses hanches?

Le mot possède un « h » passager clandestin
L’accompagnant partout, ombre de son destin
Erratique mais fort de l’habitude acquise.
Il vaut mieux le traiter comme une faute admise,

Phénomène mutant, champignon lexical,
Le langage parlé se pliant à l’usage.
Si vous voulez ne pas confondre l’os coxal

Avec notre chère anche de roseau, l’image
Que voici peut vous aider à mémoriser:
« Les hanches dansent, les anches les font danser. »

coda 14 Allez voir sans savoir Les Enfants du Placard.

François Regnault

Sonnet

Allez voir sans savoir Les Enfants du Placard.
Benoît Jacquot l’a fait, c’est le film d’un artiste.
L’hystérique, le prof, le maître et l’analyste
Y vont d’un pas égal et le samedi soir.

Le maître y voit un Diop lui damer son pion noir,
A la voix de sa soeur l’hystérique s’attriste,
L’analyste se fie à ce film oedipiste,
Le prof est éprouvé d’un soudain retour d’art.

La haine du héros qui dans son lit s’enkyste,
Nul ne sait s’il en est la piqûre ou le dard:
C’est que ‘ dupont- latin’, sans quartier ni sans fard,

De ce benoît malin est le signe de piste
Qui fait au Luxembourg tourner d’un ou deux quarts
Le discours d’amour court du lecteur d’Ornicar?

coda 13 Y’a pas pire, et y’a pas meilleur:

Dominique Buisset

Hop, hop, hop, la langue

Sonnet sauteur (à cloche-rime)

Y’a pas pire, et y’a pas meilleur:
Où qu’elle aille quêter le goût,
Dans la gousse ou dans le sagou’,
Elle trie fadeur et saveur.

Parlante elle assied un empire,
Hop, sa jactance amadoue tout;
Et s’il a du bagou, tout doux,
Ça ne peut pas nuire au vampire …

Aussi le sage esclave Esope,
Ayant la bosse de la fable,
Sans gêne en prit à son aise, hop!

Offrant à son maître sans rire
Ce mets le meilleur et le pire:
Langue à la langue, et hop, à table!

coda 12 Vibrait et criait, ravie,

Jean-François Goyet Initiales sonnaient – douze acrobaties érotiques et progressives sur la forme du sonnet – in Nioques

Tristes traces au matin

(7)

Vibrait et criait, ravie,
L’aimée qu’il avait enculée.
L’étroit têtait dur le vit
Violet et maculé.

Raide, il roulait l’ourlet. Trait
Issant, rouge, d’ubac qui plisse,
Y sapait. En son adret
Réclamait le clitoris.

Humiliée de jouir en cul,
Versa la belle, et se tut.
Une fois l’aube amère levée,

L’anus noir qu’elle révéla
Versait une sève salie. Las!
La nuit n’avait rien lavé.

par Jacques Roubaud