Monnayer l’or des couchants! — 1920 (14)

Raymond Radiguet in Oeuvres, ed. 2001

Champ de Mars

Monnayer l’or des couchants!
Que les clairons militaires
Berceurs du stérile champ
Ensemencent d’autres terres

Oreille insensible aux chants
Qui s’envolent de Cythère
Je suis devenu méchant
A force de battre l’aire

Le temps est un laboureur:
Rides tracées sans charrue
Vaine d’un astre empereur

Car son pégase qui rue
Ne pourrait voir sans horreur
Fleurir les chansons des rues

Q8 – T20 – 7s

Une poupée autour du doigt — 1920 (13)

Raymond Radiguet in Oeuvres, ed. 2001

Froid de loup

Une poupée autour du doigt
Trop inhabile à l’escarmouche
Votre aiguille fit la farouche
Pardon si je fus maladroit

A la rencontre d’autres mois
Un décembre fermant la bouche
Candide (c’est ce qui me touche)
Nous de nouveau sommes en froid

La charpie imite la neige
En clignant des yeux pourquoi n’ai-je
Vu qui de nous avait raison

Répétons encore si j’ose
Que l’on meurt en toute saison
Voyez s’évanouir les roses

Q15 – T14 – banv –  octo

Billet de faveur, I …. Hortense s’évanouit, apercevant  au bout de son petit doigt une goutte de sang rose comme la rosée. Elle revient à elle, et à moi, moyennant un sonnet

incise 1920 (2)

Valéry sur le sonnet

(1926)
« Il faut faire des sonnets. On ne sait pas tout ce qu’on apprend à faire des sonnets et des poèmes à forme fixe.
(1927) Le sonnet est fait pour le simultané. Quatorze vers simultanés, et fortement désignés comme tels par l’enchaînement et la conservation des rimes: type et structure d’un poème stationnaire.  »
degas danse dessin (1936)
« Rien, en littérature, n’est plus propre que le sonnet à opposer la volonté à la velléité, à faire sentir la différence de l’intention et des impulsions avec l’ouvrage achevé: et surtout, à contraindre l’esprit de considérer le fond et la forme comme des conditions égales entre elles. Je m’explique: il nous enseigne à découvrir qu’une forme est féconde en idées, paradoxe apparent et principe profond d’où l’analyse mathématique a tiré quelque partie de sa prodigieuse puissance »
 » Michel-Ange, qui a écrit:

Non ha l’ottimo artista alcun concetto
Ch’un marmo solo in se non circonscriva,
Il ne vient à l’artiste excellent point d’idée
Qu’un seul marbre ne suffise à contenir,

eût pu prescrire dans les mêmes termes les rapports du sonnet avec un poète accompli. « 

Si tu veux dénouer la forêt qui t’aère — 1920 (12)

Paul ValéryAlbum de vers anciens

Valvins

Si tu veux dénouer la forêt qui t’aère
Heureuse, tu te fonds aux feuilles, si tu es
Dans la fluide yole à jamais littéraire
Traînant quelques soleils ardemment situés.

Aux blancheurs de son flanc que la Seine caresse
Emue, ou pressentant l’après-midi chanté,
Selon que le grand bois trempe une longue tresse,
Et mélange ta voile au meilleur de l’été.

Mais toujours près de toi que le silence livre
Aux cris multipliés de tout le brut azur ,
L’ombre de quelque page éparse d’aucun livre

Tremble, reflet de voile vagabonde sur
La poudreuse peau de la rivière verte
Parmi le long regard de la Seine entr’ouverte.

Q59 – T23 – on note une préposition comme rime du vers 12


Nous avons pensé des choses pures — 1920 (11)

Paul ValéryAlbum de vers anciens

Le bois amical

Nous avons pensé des choses pures
Côte à côte, le long des chemins,
Nous nous sommes tenus par les mains
Sans dire … parmi les fleurs obscures;

Nous marchions comme des fiancés
Seuls, dans la nuit verte des prairies;
Nous partagions ce fruit de féeries
La lune amicale aux insensés.

Et puis, nous sommes morts sur la mousse,
Très loin, tout seuls parmi l’ombre douce
De ce bois intime et murmurant;

Et là-haut, dans la lumière immense,
Nous nous sommes trouvés en pleurant
O mon cher compagnon de silence!

Q63 – T14 – 9s

incise 1920

Aragon sur le sonnet

(Entretien avec Dominique Arban 1968)

Dans tous mes livres…, à commencer par Feu de Joie, le premier, vous trouverez toujours, au moins, un sonnet, souvent un sonnet donné comme tel, comme par exemple le sonnet écrit pour la mort d’Apollinaire, mais aussi des poèmes où il faut regarder de près pour voir que j’y ai introduit le sonnet. Cela ne se voit pas parce que le sonnet y est coupé d’une autre façon, et ce jeu vous le retrouverez même dans Le Crève-Coeur.
– (Ecrits au Seuil, 1974)
Il me semble impossible de ne pas noter ici le caractère contradictoire d’un trait de notre conduite dans les premières années vingt: le goût gardé entre nous pour une des formes les plus décriées alors de la poésie traditionnelle, le sonnet. Je ne sais si dans le papiers d’André Breton on pourrait en trouver trace.
… (Breton Eluard et moi)… nous allions écrire des sonnets comme on écrivait des textes surréalistes, c’est à dire avec la technique de la rapidité abolissant la conscience. Nous parvenions à reproduire le sonnet régulier de cette façon. Les sonnets ainsi obtenus étaient sans doute assez différents par le contenu, la nature des images de ce que sont les sonnets, habituels, mais c’étaient des sonnets, deux quatrains, deux tercets, respectant l’ordonnance classique du sonnet par l’alternance et le croisement des rimes. Ce sont des choses dont on ne se fait pas aujourd’hui une représentation exacte. On imagine mal aujourd’hui l’extrême habileté de Breton à ce jeu. Nous nous comportions alors comme pour les exercices d’écriture automatique, allant dans un café nous asseoir à des tables différentes pour ne pas nous gêner, et pouvoir nous montrer notre texte après, établir ce que nous appelions notre tableau de chasse, parce que l’écriture fait naître en particulier, que ce soit en prose ou en sonnet, beaucoup d’animaux ou de végétaux, jusque-là inconnus.

L’oiseau sur l’affiche BOTTINES — 1920 (10)

Aragon (sonnets non repris dans Feu de joie)

La vie privée

L’oiseau sur l’affiche BOTTINES
L’amour revient de bon matin
Nous ne trouvons plus l’incertain
Regard des grâces enfantines

Le plancher danse tu destines
Ce bras de souvenir lointain
Aux fleurs du papier Nu satin
Tes yeux resteront mes cantines

Décor décor Madame au ciel
Quand abeille aux cheveux de miel
On recommence la tristesse

Tu défais le nœud des saisons
Alors et c’est l’essentiel
Je perds la raison des raisons

Q15 – T14 – – banv – octo


La fille vers minuit renonce au ton coquet — 1920 (9)

Aragon (sonnets non repris dans Feu de joie)

9
La fille vers minuit

La fille vers minuit renonce au ton coquet
Son regard s’alourdit du plomb d’impurs mystères
Elle chante à mi-voix pour que les locataires
N’accourent furieux secouer le loquet.
Mais le long de l’amant que le drap incommode
Comme un tribut plaintif à d’enfantins émois
(L’air (qui?) fut l’an dernier la rengaine à la mode)
Naît l’ingénuité des chansons d’autrefois
« Pour me payer par mois douze heures de peinture »
 » Mon père travaillait jusqu’au petit matin »
 » Pour le récompenser j’ai suivi la nature »
 » Et pour cinquante francs je me suis fait catin »

et il n’y a pas de raison pour
que cela finisse

Q62 – efef xy – m.irr – disp:12+2

A songer que l’état m’assigne — 1920 (8)

Aragon (sonnets non repris dans Feu de joie)

Satan, ses pompes et ses oeuvres

A songer que l’état m’assigne
Six francs, le prix d’une catin
Et le déjeuner du matin
Le noir registre je le signe:

Docteur, et ce nom qu’un destin
Favorable doit rendre insigne
Non sans quelque gaieté maligne
De mentir à ce bulletin.

Il n’est de titre que j’envie
garder ou l’une ou l’autre vie
comme en-tête pour mes papiers,

sinon celui que me confère
ce doux emploi de ne rien faire:
Médecin des Sapeurs-Pompiers.

Q16 – T15 – octo – sns

L’habitude — 1920 (7)

Aragon Feu de joie
(sonnet caché dans Lever, (Feu de joie))


L’habitude
Le pli pris
L’habit gris
Servitude
Une fois par hasard
Regarde le soleil en face
Fais crouler les murs les devoirs
Que sais-tu si j’envie être libre et sans place
Simple reflet peint sur le verre

Donc j’écris
A l’étude
Faux Latude
Et souris

Que les châles
les yeux morts
les fards pâles

et les corps
n’appartiennent
qu’aux riches
Le tapis déchiré par endroits.

r.exc. – m.irr

par Jacques Roubaud