L’Apologue est indien ; — 1898 (16)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Le sonnet est limousin

L’Apologue est indien ;
L’Attique trouve le Drame ;
L’Elégie est de Pergame ;
Le Poème est rhodien.

Un berger arcadien
Composa l’Epithalame ;
L’inventeur de l’Epigramme
Fur le barbier lydien.

Enna fit parler Tityre ;
Rome conçut la Satire ;
Byzance orna le Dizain ;

La Ballade est allemande ;
La Villanelle, normande ;
Et le Sonnet, limousin !

(Abbé Joseph Roux)

Q15  T15  7s  s sur s

Dans sa forme attrayante, avec art modelée, — 1898 (15)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Le sonnet

Dans sa forme attrayante, avec art modelée,
Nous aimons le sonnet, concis et gracieux.
Nous le voulons parfait : accents hamonieux,
Œuvre finement ciselée.

Elevant son essor vers la voute étoilée,
Dont les astres sans nombre éblouissent nos yeux,
Ainsi que l’ode il peut, dans l’infini des cieux,
Monter sur une stance ailée.

Souvent le cœur y parle un langage charmant ;
L’esprit en fait jaillir comme d’un diamant
Les plus brillantes étincelles.

Oui, c’est un joyau rare, une perle, un trésor …
Avouons-le pourtant : c’est une cage d’or
Où n’entrent pas les grandes ailes.

(Léon Magnier)

Q15  T15  s sur s –  2m (octo 4-8-11-14

Voulant te rogner l’aile, ô libre poésie ! — 1898 (14)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Voulant te rogner l’aile, ô libre poésie !
Un sévère critique et peu lyrique auteur
Soutint que le sonnet est une œuvre choisie
Dont rien ne peut, en vers, atteindre la hauteur.

Maintenant, pour Boileau, pédant législateur,
Nous ne témoignons pas beaucoup de courtoisie :
Nous l’appelons perruque, et du vieux radoteur
Nous raillons volontiers la docte fantaisie.

Nos poètes du jour, il est vrai, sont plus forts.
Ils maîtrisent la langue et riment sans efforts.
Le métier ne voit plus l’ouvrage de la veille.

Quant à moi, pour finir le travail que voici,
Mon cerveau n’a pas eu grand’peine, Dieu merci !
Et j’avoue humblement n’avoir pas fait merveille.

Q11  T15  s sur s

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème, — 1898 (13)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

« Un sonnet sans défaut »

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème,
A dit certain gâteux du temps du roi-soleil.
Un bon sonnet, pour moi, c’est une joie extrême,
Un régal délicat, un bijou sans pareil.

J’ai pâli bien souvent, ami, sur ce problème :
Faire aussi mon sonnet ! A l’horizon vermeil
Un rêve me montrait une pensée, un thème,
Qui s’évanouissait souvent à mon réveil.

Quand, revenant à moi, je saisissais la plume,
Pour fixer ce croquis estompé dans la brume,
Hélas ! de mon esprit le vent l’avait banni.

Aussi, sans plus chercher, je me tais, j’y renonce,
Ce n’est pas un sonnet qui sera ma réponse.
Tiens ! – mais, sans y songer, mon sonnet est fini.

(Ernest Lacoste)

Q8  T15  s sur s

Dans l’église où jadis, en pieux appareil — 1898 (12)

Paul Reboux Les iris noirs

Vitrail

Dans l’église où jadis, en pieux appareil
Inclinant son beau front qu’effleura l’eau bénite,
Elle s’agenouillait et, son oraison dite,
De Monseigneur Jésus invoquait le conseil.

La haute châtelaine est encore présente,
Car, maints jointes, dormant de l’éternel sommeil,
Le granit du tombeau nous la montre gisante.

Elle est morte, pourtant, lorsqu’un rai de soleil
Traverse les rideaux et se glisse vers elle,
Son doigt semble étoilé d’une gemme nouvelle,
Son manteau resplendit comme un brocart vermeil,

Un reflet d’améthyste anima la paupière
Et l’on voit refleurir – miraculeux réveil –
Un sourire écarlate à sa lèvre de pierre.

abba cdc ab’b’a ede, y=x: d=a – Avec cette notation de la formule de rimes, le poème est un candidat à la rigueur acceptable pour une disposition Q1 T1 Q2 T2 (qui pourrait être également Q1 T2 Q2 T1).

Le soleil a chauffé notre toit tout le jour — 1898 (11)

Jean Amade


Notre toit

Le soleil a chauffé notre toit tout le jour
faisant luire comme une rose chaque tuile,
tandis que pour bercer leur rêve et leur amour
dans les frênes chantaient les cigales divines ;

autour de lui ont bourdonné toutes les guêpes
cherchant à prendre quelque chose de sa vie ;
et maintenant, Myrta, il tombe sur la terre
du silence, de la fraîcheur et de la nuit.

Rentrons : nous serons mieux sur le lit séculaire
l’un près de l’autre dans la chambre aux rideaux clairs ;
l’abri est sûr, reposons-nous en confiance …

Demain quand sourira l’aurore, notre toit
élèvera dans l’air comme une fumée blanche
sa petite prière et sa petite joie.

Q59  T14  r.exc.

Des profondeurs du rêve en lequel tu t’exiles — 1898 (10)

Alban Roubaud in La Cité d’Art

Appareillage

Des profondeurs du rêve en lequel tu t’exiles
ô mon âme pour fuir un peu la vérité
n’entends-tu pas, ce soir, comme un appel jeté
par delà l’horizon, en de magiques îles ?

Viens ! je veux m’affranchir du souffle impur des villes
et murer à jamais mon cœur ensanglanté :
Allons nous abreuver aux sources de clarté,
loin des désirs malsains hurlant en troupes viles.

Cinglons vers d’irréels pays que tu nommas :
peut-être qu’il fleurit sous de nouveaux climats
l’oubli que nous cherchons à nos douleurs secrètes.

Et qu’enfin tu pourras en des sites d’espoirs,
accouder ta pensée au bord croulant des soirs
et ne la confier qu’à des choses muettes.

Q15  T15

L’impertinent petit vieillard, — 1898 (9)

Franc-Nohain Les flûtes

Sonnet de l’inutile impertinence

L’impertinent petit vieillard,
Ayant tiré de sa poche une énorme
Tabatière en corne,
Me dit d’un air goguenard:

‘Voilà du bon tabac, cher Monsieur, je m’en flatte,
Mais pour vous c’est comme des dattes;
Vous pouvez admirer comme on l’a bien râpé,
Mais d’en prendre un seul grain il vous faut vous taper. »

– Monsieur, dis-je au vieillard, vous ignorez sans doute
Que je chique, et ne prise pas;
Gardez-le donc, votre sale tabac:
Qu’est-ce que vous voulez que j’en foute?

12v – métrique irrégulière

Mon âme à fonds secrets pleure le ministère — 1898 (8)

Jean Goudezki Hercule ou la vertu récompensée

Sonnets des revers

Mon âme à fonds secrets pleure le ministère
Le pouvoir éternel en un moment conçu.
Le mal n’est pas bien rare et je pourrais le taire,
Car si je fus ministre on n’en avait rien su.

Ainsi j’aurai passé, ministre inaperçu
Aussi triste qu’un ver et non moins solitaire,
Et je vais retourner à mes pommes de terre,
Ayant tout demandé et n’ayant rien reçu.

L’électeur, quoique Dieu l’ait fait naïf et tendre,
Va peut-être, à présent, m’oublier, sans entendre
Les appels au scrutin placés dessous ses pas.

A l’austère devoir correctement fidèle,
Le Président va dire en lisant la nouvelle:
« Quel était ce monsieur? » et ne comprendra pas …

Q10 – T15 – arv

par Jacques Roubaud