Archives de catégorie : T20 – cdc dcd

Dors: ce lit est le tien … Tu n’iras plus au nôtre. — 1873 (31)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Sonnet posthume

Dors: ce lit est le tien … Tu n’iras plus au nôtre.
– Qui dort dîne. – À tes dents viendra tout seul le foin.
Dors: on t’aimera bien –  L’aimé c’est toujours l’
Autre….
Rêve: La plus aimée est toujours la plus loin…


Dors: on t’appellera beau décrocheur d’étoiles!
Chevaucheur de rayons! … quand il fera bien noir;
Et l’ange du plafond, maigre araignée, au soir,
– Espoir – sur ton front vide ira filer ses toiles.


Museleur de voilette! un baiser sous le voile
T’attend … on ne sait où: ferme les yeux pour voir.
Ris: les premiers honneurs t’attendent sous le poële.


On cassera ton nez d’un bon coup d’encensoir,
Doux fumet! … pour la trogne en fleur, pleine de moelle
D’un sacristain très-bien, avec son éteignoir.

Q60 – T20 – y =x (d=b)

Nos fesses ne sont pas les leurs. Souvent j’ai vu — 1872 (11)

Rimbaud les stupra

Nos fesses ne sont pas les leurs. Souvent j’ai vu
Des gens déboutonnés derrière quelque haie,
Et dans ces bains sans gêne où l’enfance s’égaie,
J’observais le plan et l’effet de notre cul.

Plus ferme, blême en bien des cas, il est pourvu
De méplats évidents que tapisse la claie
Des poils; pour elles, c’est seulement dans la raie
Charmante que fleurit le long satin touffu.

Une ingéniosité touchante et merveilleuse
Comme l’on ne voit qu’aux anges des saints tableaux
Imite la joue où le sourire se creuse.

Oh! de même être nus, chercher joie et repos,
Le front tourné vers sa portion glorieuse
Et libres tous les deux murmurer des sanglots.

Q15 – T20  – Le mot ‘cul’ employé pour rimer en ‘u’ est une vieille licence; certains d’ailleurs écrivent ‘cu’.

Les anciens animaux saillissaient, même en course, — 1872 (10)

Rimbaud

Les stupra

Les anciens animaux saillissaient, même en course,
Avec des glands bardés de sang et d’excrément.
Nos pères étalaient leur membre fièrement
Par le pli de la gaine ou le grain de la bourse.

Au moyen âge pour la femelle, ange ou pource,
Il fallait un gaillard de solide grément;
Même un Kléber, malgré la culotte qui ment
Peut-être un peu, n’a pas dû manquer de ressource.

D’ailleurs l’homme au plus fier mammifère est égal;
L’énormité de leur membre à tort nous étonne;
Mais une heure stérile a sonné: le cheval

Et le boeuf ont bridé leurs ardeurs, et personne
N’osera plus dresser son orgueil génital
Dans les bosquets où grouille une enfance bouffonne.

Q15 – T20

Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier, — 1872 (8)

Rimbaud

Oraison du soir

Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier,
Empoignant une chope à fortes cannelures,
L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier
Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures.

Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier,
Mille Rêves en moi font de douces brûlures:
Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier
Qu’ensanglante l’or jeune et sombre des coulures.

Puis, quand j’ai ravalé mes Rêves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille, pour lâcher l’âcre besoin:

Doux comme le Seigneur du cède et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin,
Avec l’assentiment des grands héliotropes.

Q8 – T20

Zéphire qui revient ramène le printemps, — 1848 (6)

Gustave Garrison Les voix du matin

Imité de Pétrarque

Zéphire qui revient ramène le printemps,
Les herbes et les fleurs, sa riante famille,
L’amour, nouveau soleil qui féconde et qui brille,
Rajeunit l’air, la terre, et tous ses habitants.

Le flots sous les glaçons enchaîné trop longtemps
A travers les cailloux joyeusement babille,
Dieu soulève du ciel les voiles éclatants

Comme pour admirer la nature sa fille.
Moi seul, je ne sens pas le printemps dans mon cœur,
Un éternel hiver y poursuit ses ravages :

Laure, en fuyant au ciel, ma pris tout mon bonheur.
Le sol, plein de parfums, et de chants, et d’ombrages,
Où la vierge au front pur brille comme une fleur,
Est un désert pour moi plein de monstres sauvages.

Q14  T20  . (Pétrarque rvf CCCX : Zefiro torna)

Ne regardons jamais de femme dans la rue; — 1842 (1)

Alfred Philibert Les étincelles

Sonnet

Ne regardons jamais de femme dans la rue;
La femme nous fait mal et fuit en nous frappant;
Son regard nous fascine et son souffle nous tue:
C’est l’oeil et le dard du serpent.

Ces rencontres souvent nous laissent l’âme émue;
On en sourit d’abord; plus tard on s’en repent.
Le démon a toujours quelque ruse inconnue;
Il ne nous perd qu’en nous trompant.

On rentre tout mouillé sans songer à la pluie;
On ouvre sur la table un livre commencé;
Mais au second feuillet le livre nous ennuie.

On chante; on se promène; on se couche lassé;
On se tourne en rêvant vers une image enfuie.
Le beau soir que l’on a passé!

Q8 – T20 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

Les vers courts marquent les quatrains et le dernier vers.

Humble, pauvre, oublié sur un sol inconnu, — 1839 (11)

Adelphe NouvillePremier amour, poème en sonnets in Le Monde poétique

XVIII  L’appui

Humble, pauvre, oublié sur un sol inconnu,
Lorsque, seul avec Dieu, l’ermite pleure et prie,
Il voit souvent un ange, à son aide venu,
Lever un doigt brillant vers une autre patrie.

Quand, las de ses tourments, le pécheur montre à nu
Ses dégoûts, ses terreurs, sa poitrine meurtrie,
Par l’espérance encore il se sent soutenu:
Car la rosée abreuve aussi la fleur flétrie.

Si la mer en courroux se perd dans un ciel noir,
Le pilote inquiet retrouve son courage
Dans les rayons lointains de l’étoile du soir.

Ah! contre le désert, le monde, et tout orage,
N’ai-je pas et mon ange, et mon astre, et l’espoir?
N’ai-je pas mon amour? n’ai-je pas votre image?

Q8 – T20

Mon nom parmi leurs noms! Y pouvez-vous songer? — 1828 (4)

–  Charles Nodier in Album d’Emile Deschamps

Mon nom parmi leurs noms! Y pouvez-vous songer?
Et vous ne craignez pas que tout le monde en glose?
C’est suspendre la nèfle aux bras de l’oranger,
C’est marier l’hysope aux boutons de la rose.

Il est vrai qu’autrefois j’ai cadencé ma prose,
Et qu’aux règles des vers j’ai voulu la ranger;
Mais sans génie, hélas, la rime est peu de chose,
Et d’un art décevant j’ai connu le danger.

Vous, cédez à la loi que le talent impose;
Unissez, dans vos vers, Soumet à Béranger,
Et l’esprit qui pétille à la raison qui cause.

Volez de fleurs en fleurs, comme, dans un verger,
L’abeille qui butine et jamais ne se pose.
Ce n’est qu’en amitié qu’il ne faut pas changer.

Q8 – T20 – y=x : c=b&d=a

Honneur de cette heureuse et brillante contrée, — 1814 (2)

–  Pierre-Louis Guinguené Fables inédites …

Sonnet à M. Piccini sur son opéra de Roland

Honneur de cette heureuse et brillante contrée,
Où Naples voit encor, sous le ciel le plus beau,
D’un laurier immortel la tige révérée
Du cygne de Mantoue ombrager le tombeau,

Ta lyre assez long-temps, aux Grâces consacrée,
Enchanta ces beaux lieux, fiers d’être ton berceau :
Tu viens charmer enfin notre oreille épurée,
Et joindre à tant de gloire un triomphe nouveau.

Vois frémir à tes pieds une ligue ennemie :
Ne redoutes plus rien de ses jaloux transports :
Que pourrait sa fureur sur les fruits du Génie ?

Roland te soutiendra seul contre ses efforts ;
Et les cris étouffés du Démon de l’Envie
Prêtent un nouveau charme à tes divins accords.

Q8  T20

Je vais seul et pensif, des champs les plus déserts, — 1811 (2)

P.L Ginguené Histoire littéraire de l’Italie, tome II…

Solo e pensoso

Je vais seul et pensif, des champs les plus déserts,
A pas tardifs et lents, mesurant l’étendue,
Prêt à fuir, sur le sable aussitôt qu’à ma vue
De vestiges humains quelques traits sont offerts.

Je n’ai que cet abri pour y cacher mes fers,
Pour brûler d’une flamme aux mortels inconnue:
On lit trop dans mes yeux, de tristesse couverts,
Quelle est en moi l’ardeur de ce feu qui me tue.

Ainsi, tandis que l’onde et les sombres forêts,
Et la plaine, et les monts, savent quelle est ma peine,
Je dérobe ma vie aux regards indiscrets;

Mais je ne puis trouver de route si lointaine
Où l’amour, qui de moi ne s’éloigne jamais,
Ne fasse ouïr sa voix et n’entende la mienne.

Q14 – T20 -rvf

Guinguené dans un des volumes de sa monumentale Histoire littéraire de l’Italie, propose cette traduction en forme de sonnet (une première au 19ème) du poème n°35 du Rvf de Pétrarque, avec ce commentaire:  « … peut-être, selon moi, le plus heureux, le plus touchant de tous les siens, et où il a porté au plus haut point d’intimité l’alliance de ces deux grandes sources d’intérêt, la solitude champêtre et la mélancolie. J’ai tâché de le traduire en vers, et même ce qui est, comme on sait, le comble de la difficulté dans notre langue, de rendre un sonnet par un sonnet. Il y a peut-être beaucoup d’imprudence à hasarder de si faibles essais, et pour faire l’imprudence toute entière, j’engagerai encore ici à relire dans l’original le sonnet de Pétrarque. Peut-être au reste quand on s’en sera rafraîchi la mémoire, appréciant mieux les difficultés de l’entreprise, en aura-t-on pour le mien plus d’indulgence.  »

La formule de rimes, abba  abab  cdc  dcd, ne respecte pas celle de l’original (abba  abba  cde  cde), impossible à reproduire si on satisfait à l’exigence de l’alternance des rimes (qui n’a pas été violée avant une date beaucoup plus tardive). Il choisit cependant pour les tercets la deuxième formule pétrarquiste dominante, sur deux rimes, cdc  dcd. Cela lui a été reproché plus tard (1870) par Mr de Veyrières, qui mentionne  » sa version (un peu irrégulière dans la forme) .. ». La notion de régularité varie régulièrement au cours des âges.

Remarque: j’ai choisi, comme on le verra amplement, bon nombre de sonnets en traduction, en particulier différentes versions du premier sonnet du Rerum Vulgarum Fragmenta (Canzoniere); et du sonnet 52 de Shakespeare (j’en donnerai la liste dans la partie formelle). Pour d’autres sonnets (en traduction) que ces deux-là, j’ai en général privilégié ceux dont les traductions sont le fait de poètes.