Je suis la marguerite, et j’étais la plus belle — 1843 (6)

(Balzac)

Lucien fut piqué de la parfaite immobilité de Lousteau pendant qu’il écoutait ce sonnet; il ne connaissait pas encore la déconcertante impassibilité que donne l’habitude de la critique, et qui distingue les journalistes fatigués de prose, de drames et de vers. Le poète, habitué à recevoir des applaudissements, dévora son désappointement; il lut le sonnet préféré par madame de Bargeton et quelques-uns de ses amis du cénacle.
– Celui ci lui arrachera peut-être un mot, pensa-t-il.


DEUXIEME SONNET

La Marguerite

Je suis la marguerite, et j’étais la plus belle
Des fleurs dont s’étoilait le gazon velouté.
Heureuse, on me cherchait pour ma seule beauté,
Et mes jours se flattaient d’une aurore éternelle.

Hélas! malgré mes voeux, une vertu nouvelle
A versé sur mon front sa fatale clarté;
Le sort m’a condamnée au don de vérité,
Et je souffre et je meurs: la science est mortelle.

Je n’ai plus de silence et n’ai plus de repos;
L’amour vient m’arracher l’avenir en deux mots,
Il déchire mon coeur pour y lire qu’on l’aime.

Je suis la seule fleur qu’on jette sans regret:
On dépouille mon front de son blanc diadème,
Et l’on me foule aux pieds dès qu’on a mon secret.

Q15 – T14- banv

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