– Emmanuel Hocquard in Ma haie (2001)
(Les dernières nouvelles de la cabane, n°7)
…. Comme je le disais l’autre soir à Oscarine, j’écris des sonnets. J’ai toujours écrit énormément de sonnets. Mais pas toujours. J’ai connu de très longues périodes de vie sans écrire de sonnets, mais j’ai connu aussi d’importantes périodes à sonnets. C’est plus un penchant (cf. saint-Augustin) qu’un trait de caractère. J’ai dû écrire presque autant de sonnets que Ronsard et bien davantage que Du Bellay. Si j’ai écrit un nombre si élevé de sonnets, c’est que j’ai été amoureux un nombre très élevé de fois. Comme Ronsard. Si écrire des sonnets était un trait de caractère, j’aurais écrit, j’écrirais des sonnets chaque fois que j’ai été, je suis amoureux. Eh bien, non, justement. C’est comme ça que j’ai compris qu’écrire des sonnets est un penchant. Un penchant qui se réveille chaque fois que je tombe dans cette sorte d’état amoureux qui fait écrire des sonnets.
Et pas du tout des élégies, par exemple. Ecrire des élégies, ce serait plutôt un trait de caractère. De mauvais caractère aussi, probablement. Mais quand je suis tombé amoureux de Bonjour Viviane Vendeuse, je n’ai pas du tout pensé à écrire une élégie. Ni une ode, ni une ballade. C’est le sonnet qui s’est imposé dans toute son évidence. C’est comme ça que j’ai compris que l’amour que je lui porte est un amour à sonnets. Ce genre d’amour précis qui m’a fait écrire, quand j’étais amoureux de la moitié des filles du lycée Saint-Aulaire à Tanger, toutes classes confondues de la sixième à la terminale, un nombre incalculable de sonnets. C’est pourquoi écrire des sonnets est aussi l’indication évidente que je rajeunis. J’en avais le pressentiment. Je dirais même la conviction. A présent j’en ai la preuve éclatante.
Je n’écris pas seulement cette sorte de sonnets qu’on écrit quand on éprouve ce genre d’amour très particulier qui fait écrire des sonnets. J’écris des sonnets de quatorze lignes. Tous les sonnets ont, direz-vous, quatorze lignes. Ce n’est pas si simple que ça. Bien sûr, je ne suis pas, comme Jacques Roubaud, un expert assermenté du sonnet. J’avoue ne pas savoir grand-chose de son histoire. En regardant la télévision, j’ai cependant appris que le sonnet avait été inventé dans les Landes. C’est du moins ce que prétendait Qui-a-peur-de-Bernard-Manciet. Ce n’est donc pas si simple que ça. Par exemple dans un sonnet découpé en quatre strophes, que faire des trois lignes blanches? Faut-il les compter comme lignes ou les compter comme non-lignes? Je poserai un jour la question à Jacques Roubaud. En attendant ce jour, j’écris des sonnets de quatorze lignes qui se suivent. J’évite ainsi le problème posé par les quatre strophes et les lignes blanches qui les séparent. Notez bien que les séparent soulève un autre débat. Peut-on dire que les strophes sont séparées les unes des autres par une ligne blanche? Non, bien sûr, on ne peut logiquement pas soutenir une chose pareille. Voilà une raison supplémentaire qui m’a fait adopter le sonnet a quatorze lignes qui se succèdent sans interruption.
Voilà, vous savez tout. Il a cessé de pleuvoir.
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